Une crise politique qui s’ouvre et un second quinquennat déjà dans l’impasse. Le ciel est tombé sur la tête du camp présidentiel, dimanche, avec le résultat des élections législatives. Ensemble, la confédération des soutiens au chef de l’État, a remporté 245 des 577 sièges de la future Assemblée nationale. Loin, très loin de la majorité absolue que les Français·es lui avaient donnée en 2017 et qu’il appelait de ses vœux pour les cinq années à venir.
Le scrutin du 19 juin 2022 restera dans les annales de la Ve République. Jamais, depuis l’inversion du calendrier électoral en 2002, les élections législatives n’avaient désavoué avec une telle vigueur le président de la République. Réélu il y a moins de deux mois, Emmanuel Macron n’a pas de majorité pour mener son second quinquennat. Son parti, La République en marche (LREM), perd quasiment la moitié de ses sièges – elle en avait 314 en juin 2017, elle devrait en compter environ 160 demain.
« Cette situation constitue un risque pour notre pays », a dramatisé Élisabeth Borne, la première ministre. « C’est très loin de ce qu’on espérait, a reconnu Gabriel Attal, le ministre des comptes publics, sur TF1. Manifestement, les Français ne nous ont pas donné une majorité. » La porte-parole du gouvernement, Olivia Grégoire, a elle aussi redoublé de litotes pour décrire sa désolation. « On a connu meilleure soirée, a-t-elle dit sur France 2. C’est une première place décevante mais c’est une première place. »
Dans la déconvenue, le camp présidentiel perd plusieurs figures de premier plan. Trois membres du gouvernement vont devoir quitter leur poste après avoir été battues ce dimanche. Amélie de Montchalin, la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, a été battue par le socialiste Jérôme Guedj dans l’Essonne. Sa collègue de la santé, Brigitte Bourguignon, a été devancée par une candidate du Rassemblement national (RN) dans le Pas-de-Calais. Enfin, Justine Benin, la secrétaire d’État à la mer, a perdu sa circonscription guadeloupéenne face à un concurrent de gauche.
Au-delà des pertes gouvernementales, deux résultats viennent symboliser la déroute macroniste du soir : les défaites de Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale, et de Christophe Castaner, le président des député·es LREM. Deux rouages essentiels de la majorité, fidèles parmi les fidèles du chef de l’État, devancés tous les deux par des candidats de la Nupes.
À l’aube d’une législature inflammable, Emmanuel Macron perd ainsi ses deux principaux relais au Palais-Bourbon. D’autres députés influents, comme le questeur Florian Bachelier (Ille-et-Vilaine), le président du groupe MoDem Patrick Mignola (Savoie) ou le rapporteur général du budget Laurent Saint-Martin (Val-de-Marne), sont balayés par des Insoumis. Le sortant Pierre-Yves Bournazel (Paris), un proche d’Édouard Philippe qui était appelé à prendre la présidence du groupe Horizons, perd son siège au profit d’Aymeric Caron, investi par la Nupes.
Les regards se tournent vers LR mais...
Dimanche soir, l’horizon d’Emmanuel Macron ressemblait à un bourbier politique et institutionnel sans précédent. Il lui manque 44 député·es pour franchir le seuil de la majorité absolue. Un gouffre que personne dans la majorité n’imaginait si profond à la veille du scrutin. Alors, que faire ? Sans cette majorité absolue, c’est le château de cartes du quinquennat qui s’écroule : l’Assemblée était censée voter la confiance au gouvernement début juillet, puis la loi sur le pouvoir d’achat et toutes celles promises par le candidat Macron, dont la réforme des retraites.
Dans son allocution, Élisabeth Borne a évoqué ce futur incertain. « Nous travaillerons dès demain à construire une majorité d’action », a promis la première ministre. « Les sensibilités multiples devront être associées et les bons compromis bâtis afin d’agir au service de la France », a-t-elle poursuivi, appelant à « l’esprit de responsabilité » des forces politiques. La cheffe du gouvernement a conclu son discours par une formule dont l’ambition détonnait avec la tonalité de la soirée : « J’ai confiance dans notre pays […]. Nous avons tout pour réussir et c’est ensemble que nous y parviendrons. »
Les regards se tournent désormais vers le parti Les Républicains (LR), qui devrait occuper environ 70 sièges dans l’hémicycle. Vue d’un œil strictement politique, l’hypothèse a du sens. Après avoir siphonné le personnel politique, les idées et l’électorat de la droite LR, Emmanuel Macron pourrait sceller un « pacte de coalition » avec ce qui reste de l’ancien parti de Nicolas Sarkozy, fervent partisan de cette option. Le tout moyennant quelques concessions, comme la nomination d’un premier ministre issu de LR ou la promesse de réaliser la réforme des retraites.
Séduisante en théorie, l’éventualité paraît à ce jour hautement improbable. Les LR qui ont survécu à l’onde de choc qu’a constitué le score de Valérie Pécresse à la présidentielle (4,8 %) ont construit, pour la quasi-totalité d’entre eux, leur campagne sur le rejet d’Emmanuel Macron et la volonté d’incarner une opposition à sa politique. « Nous sommes dans l’opposition et nous resterons dans l’opposition à Emmanuel Macron », a insisté Christian Jacob, le président de LR, dimanche soir.
En privé, plusieurs élu·es LR confiaient aussi leur réticence stratégique à l’idée du « pacte de coalition » notamment défendue par l’ancien président du parti Jean-François Copé. Alors que le chef de l’État ne peut pas se représenter en 2027, rejoindre une barque macroniste en difficulté serait une décision court-termiste, estiment certains, de nature à dilapider les chances de LR d’apparaître comme une alternative dans cinq ans. Lundi, les cadres du parti doivent discuter de cette question à l’occasion d’un comité stratégique qui s’annonce crucial.
À défaut d’accord d’appareils, l’exécutif peut tenter de recomposer une majorité à la main, député·e par député·e. Chez LR, il reste quelques parlementaires à pouvoir répondre à l’appel au « rassemblement » d’Élisabeth Borne. À gauche aussi, le pouvoir peut tenter de rallier quelques socialistes opposés à la Nupes. Enfin, les élu·es d’outre-mer constituent un vivier potentiel pour la majorité. Les stratèges élyséens devraient passer un certain temps, dans la nuit de dimanche à lundi, à aligner les noms en espérant que l’addition fasse 289.
Là encore, le scénario est plein d’incertitude à cette date mais l’exécutif a-t-il meilleure corde à son arc ? Une autre option consisterait à construire des majorités texte par texte, vote par vote. Sur des textes techniques ou consensuels, c’est une option vraisemblable. Mais sur les textes les plus emblématiques ou sur les lois de finances, le ralliement ponctuel de plusieurs dizaines d’élu·es d’opposition paraît difficile à imaginer.
Borne, l’échec puis le déni
Dimanche soir, les éléments de langage de la majorité laissaient transparaître sans détour la stratégie de la Macronie : mettre la pression sur les forces d’opposition les plus proches, LR en tête, au nom de « l’intérêt supérieur » de la nation. « Il n’y a pas d’alternative à ce rassemblement », a même affirmé Élisabeth Borne, dans une formule aux accents thatchériens. « Les Français nous appellent à nous rassembler pour le pays », a avancé la première ministre.
À celles et ceux qui espéraient une réponse à la hauteur de la déflagration, la cheffe du gouvernement a opposé une fin de non-recevoir. Au prix d’un certain déni : « Depuis des semaines, le gouvernement est au travail et prend les mesures nécessaires pour protéger chacun, a-t-elle assuré. Demain, nous devons amplifier et accélérer notre action au service de tous les Français. » Malgré le mur électoral sur lequel sa majorité s’est fracassée, Élisabeth Borne semble donc décidée à continuer à avancer.
Il n’est pas tout à fait certain que le chef de l’État partage sa volonté de continuité. Chargée de mener la non-campagne des législatives, Élisabeth Borne a échoué. Elle-même a failli y passer : dans une circonscription du Calvados pourtant très favorable, elle n’a gagné que de justesse (52,5 %) face à son concurrent insoumis de 22 ans. Contraint d’ouvrir une nouvelle séquence de son quinquennat, Emmanuel Macron pourrait profiter du remaniement annoncé pour installer une nouvelle personnalité à Matignon.
Dire qu’il rêvait, il y a encore quelques semaines, d’obtenir la majorité absolue sans devoir s’appuyer sur ses partenaires d’Horizons et du MoDem… Les deux partenaires, et avec eux leurs chefs respectifs, Édouard Philippe et François Bayrou, sont désormais incontournables mais ils ne sont pas suffisants. Faute de soutien populaire, le chef de l’État doit désormais trouver des soutiens parlementaires sous peine de voir son second quinquennat mort dans l’œuf. La tâche est si rude que, déjà, se pose la question d’une éventuelle dissolution de l’Assemblée nationale.
Ilyes Ramdani