En apparence, ce n’est qu’un courrier amical du président de la République au roi du Maroc, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de son accession au pouvoir. Dans la missive, rendue publique mardi 30 juillet, Emmanuel Macron annonce le soutien de Paris au plan de souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, rompant avec la position tenue par la diplomatie française depuis plus de trente ans.
« Je considère que le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine », écrit le chef de l’État. L’affaire a suscité la condamnation de l’Algérie, qui a annoncé dans la foulée le retrait de son ambassadeur en France, et la colère d’une partie de la gauche, qui invoque le « respect du droit international » et le « droit à l’autodétermination du peuple sahraoui » pour dénoncer une « trahison » présidentielle.
Les critiques ne se sont toutefois pas limitées à la teneur de la position exprimée par Emmanuel Macron. Plusieurs personnalités politiques ont dénoncé le timing et la légitimité d’une telle décision, au vu du contexte politique national. « C’est une décision grave et une erreur historique prise par un seul homme, à la tête d’un État sans gouvernement ni majorité », s’est par exemple indignée Marine Tondelier, secrétaire nationale du parti Les Écologistes.
Emmanuel Macron, le 27 juillet 2024, à la finale de judo des hommes de 60 kg, pendant les Jeux olympiques de Paris 2024. © Photo Ludvig Thunman / Shutter via Sipa
Le chef de l’État n’avait-il pas lui-même décrété une « trêve olympique et politique », appelant à se concentrer sur la bonne tenue de Paris 2024 ? Au-delà des contingences sportives, la position politique d’Emmanuel Macron ne plaide pas en faveur de grandes révolutions : ses soutiens ont perdu les élections européennes le 9 juin puis les élections législatives le 7 juillet. À l’Assemblée nationale, ses troupes n’ont plus de majorité, ni absolue ni relative. Et le gouvernement de Gabriel Attal a démissionné le 16 juillet, se contentant – en théorie – d’expédier les affaires courantes.
Sans se prononcer sur la légitimité politique d’Emmanuel Macron à agir en ce sens, plusieurs constitutionnalistes soulèvent le débat juridique lié à cette situation. « Le président de la République ne peut rien décider seul en matière diplomatique, pointe Thibaud Mulier, maître de conférences en droit public à l’université Paris-Nanterre. Contrairement à ce que laisse penser l’usage, il n’y a absolument aucun domaine réservé en la matière. Tout est dépendant d’un accord avec le gouvernement, qui contresigne la quasi-totalité des actes présidentiels. »
L’empressement d’Emmanuel Macron à acter une telle rupture diplomatique est d’autant plus questionnable qu’il a lui-même retardé la nomination d’un gouvernement, après les législatives anticipées. « De manière évidente, jusqu’à la mi-août, on doit être concentré sur les Jeux », avait-il justifié, refusant de « créer un désordre » juste avant les Jeux olympiques (JO) et paralympiques (JOP). Le voilà désormais embarqué dans une crise diplomatique majeure avec l’Algérie.
Avant le Sahara occidental, c’est une autre décision diplomatique qui avait suscité le courroux des oppositions de gauche. Par un courrier adressé le 26 juillet à Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, Emmanuel Macron a acté le soutien de la France au renouvellement de Thierry Breton en tant que commissaire. Un « nouveau coup de force insupportable », a dénoncé sur le réseau social X Manuel Bompard, le coordinateur national de La France insoumise (LFI).
Recasages en série au gouvernement
Au cœur des griefs de l’opposition, l’article 20 de la Constitution, qui prévoit que « le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ». Faute de gouvernement de plein exercice, c’est celui qui vient de démissionner qui est chargé de gérer les affaires courantes. Une situation « inconfortable », aux dires d’un ministre, qui n’était jamais allée – dans l’histoire de la Ve République – au-delà d’une période de neuf jours.
Face aux interrogations des ministres, le secrétariat général du gouvernement (SGG) a tenté, dans une note, de fixer un cadre aux prérogatives de l’exécutif. « Les acteurs disposent de peu de repères pour adapter leur mission », concèdent les hauts fonctionnaires, qui rappellent que l’action des futurs ex-membres du gouvernement doit se limiter à gérer les « affaires ordinaires », qui ne « nécessitent aucune appréciation de nature politique », et les « affaires urgentes », liées à une crise ou à une situation exceptionnelle.
Travailler dans les champs treize jours d’affilée ? C’est ce que permet désormais un décret signé le 9 juillet par le premier ministre et les ministres de l’agriculture et du travail, Marc Fesneau et Catherine Vautrin, pour une entrée en vigueur dès le lendemain. Il ne le dit pas explicitement, mais c’est pour les vendanges à venir qu’il vient de rallonger la durée de travail.
« Le repos hebdomadaire des salariés peut être suspendu une fois au plus sur une période de 30 jours », dit le texte publié au Journal officiel au surlendemain du second tour, précisant que cela concernera « les récoltes réalisées manuellement en application d’un cahier des charges lié à une appellation d’origine contrôlée ou une indication géographique protégée ».
C’est Anthony Smith, inspecteur du travail et néo-eurodéputé insoumis, qui a alerté
. « Nous nous félicitons que notre engagement en faveur du pragmatisme et de la simplification normative porte ses fruits », se sont réjouis, à l’inverse, quatre parlementaires marnais issus de la droite et de l’ex-majorité dans . La Marne est une grande productrice de champagne et c’est dans ce département – dont est originaire Catherine Vautrin – qu’avait émergé la demande. Le Rassemblement national (RN) avait également porté une mesure de ce type à l’été 2023.Cette énième dérogation au droit du travail ouvre la voie à des semaines de 72 heures de travail, et des séquences de 13 journées consécutives pouvant aller jusqu’à cumuler 144 heures. Selon nos informations, les syndicats de salarié·es avaient été consultés le 11 juin sur le sujet et avaient tous formulé des réserves ; la CGT avait émis un avis défavorable.
« Chaque année, des dérogations au Code rural sont accordées aux viticulteurs, souligne Benoît Delarce, secrétaire national de la CFDT Agri-Agro. Le décret vient préciser les conditions. Or il y a un gros manque aujourd’hui : on aurait besoin d’un texte pour limiter le travail agricole en extérieur à plus de 28 °C. Cela sauverait des vies. » L’été dernier, six personnes sont mortes au travail pendant les vendanges, dont quatre dans la Marne.
Amélie Poinssot
Dans l’éventail des dossiers encore gérés par l’équipe de Gabriel Attal figurent évidemment en bonne place les Jeux olympiques. Des cas de figure comme les incendies, les risques liés à la canicule ou la lutte antiterroriste, relèvent également des affaires courantes. Pour le reste, il s’agit normalement de prendre des décisions incontournables, liées à la rentrée scolaire, à la nomination d’un fonctionnaire ou au bon fonctionnement de l’administration.
Dans les faits, pourtant, le gouvernement Attal n’a jamais vraiment cessé de gouverner. Pour la quasi-totalité d’entre eux, les ministres et secrétaires d’État occupent toujours leurs bureaux et ont conservé un fonctionnement classique, cabinet et utilisation des moyens de l’État compris. Seul·es celles et ceux qui ont été élu·es à l’Assemblée nationale le 7 juillet ont cessé de recevoir leur rémunération ministérielle, au profit de l’indemnité parlementaire. Pour le reste, rien de nouveau sous le soleil.
Les nominations, au cœur des prérogatives de l’exécutif, ont été nombreuses depuis la dissolution de l’Assemblée nationale. Et l’heure est aux recasages, en prévision d’une éventuelle cohabitation. Lors du dernier conseil des ministres, le 16 juillet, ont été actées toute une série d’affectations très politiques. Valérie Delnaud, la directrice de cabinet d’Éric Dupond-Moretti, a été nommée directrice des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice – un des postes les plus prestigieux de la Chancellerie.
Brice Huet, directeur de cabinet d’Hervé Berville au secrétariat d’État à la mer et à la biodiversité, est devenu délégué interministériel au développement durable. Olivier Ginez, ancien directeur de cabinet de Sylvie Retailleau au ministère de l’enseignement supérieur, a été nommé directeur général de l’enseignement supérieur et de la recherche. Maëlig Le Bayon, directeur de cabinet de Fadila Khattabi, chargée des personnes handicapées et des personnes âgées, a été nommé directeur national de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.
Le PS alerte le Conseil d’État
Une vague de recasages qui a un intérêt double pour le pouvoir. D’une part, remercier des collaborateurs fidèles, dont le contrat de travail prend automatiquement fin avec la démission de leur ministre. D’autre part, s’assurer des relais politiques et loyaux au sein de la haute administration, une denrée précieuse en cas de cohabitation à venir.
Et la moisson devait être plus foisonnante encore. Gérald Darmanin bataille depuis plusieurs semaines pour que son directeur de cabinet, Alexandre Brugère, soit nommé directeur général de la police nationale. L’hypothèse, qui a fuité dans la presse, a soulevé une levée de boucliers jusqu’à l’Élysée. Elle est pour l’instant au point mort, comme un certain nombre de mouvements préfectoraux.
La situation a poussé le premier secrétaire du Parti socialiste (PS), Olivier Faure, à alerter le Conseil d’État. Dans un courrier révélé par Le Monde, le député de Seine-et-Marne attire l’attention de l’institution sur une « récente série de nominations », citant notamment celle du secrétaire général adjoint de la défense et de la sécurité nationale le 26 juin, une « bizarrerie » selon lui, ce haut fonctionnaire « pouvant être amené à travailler avec un premier ministre qui ne vienne pas du camp présidentiel ».
La missive du socialiste n’a toutefois aucune chance d’aboutir, ne relevant pas d’un recours formel à la juridiction administrative. Pendant ce temps-là, le gouvernement ne semble pas freiné dans ses ardeurs. Le 26 juillet a ainsi été publiée au Journal officiel la nomination d’un nouvel ambassadeur en Arabie saoudite, Patrick Maisonnave. « L’exécutif veut un profil plus politique » à Riyad, affirmait en mai une source « bien informée » citée par le magazine Challenges.
D’autres postes prestigieux sont encore à pourvoir et surveillés de près à l’Élysée et à Matignon. La présidence du Centre national du cinéma (CNC) est briguée par Sabrina Agresti-Roubache, la secrétaire d’État à la ville et à la citoyenneté. Celle de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) fait l’objet d’une candidature inattendue de Dominique Faure, la ministre déléguée aux collectivités locales et à la ruralité. Pour ces deux postes, une source gouvernementale souffle : « C’est Macron qui décidera avec [Alexis] Kohler », le secrétaire général de l’Élysée.
Ilyes Ramdani