Depuis le 11 mai, la bande de Gaza se trouve une fois de plus sous un déluge de fer et de feu. Elle aura d’abord subi les affrontements entre les combattants du Hamas et les forces de sécurité contrôlées par une aile du Fatah, celle de Mohamed Dahlan, signe que la formation récente d’un gouvernement d’union nationale, regroupant les principales composantes du mouvement palestinien, n’avait nullement mis un terme à la décomposition d’une société victime de l’occupation israélienne autant que du blocus décrété par les États-Unis et l’Union européenne. À peine un cessez-le-feu avait-il été conclu, par l’entremise du président égyptien Hosni Moubarak, au terme d’affrontements ayant fait une cinquantaine de morts, que Tel-Aviv renouait avec sa politique traditionnelle d’escalade militaire sur le territoire palestinien.
L’occasion en aura été la reprise des tirs de missiles Qassam sur les villes israéliennes frontalières de Gaza. Profondément affaibli par son échec dans la guerre du Liban, à l’été 2006, et sorti discrédité de la publication du rapport Winograd sur les responsabilités des autorités israéliennes dans ce fiasco [1], le gouvernement d’Ehud Olmert cherche manifestement à se refaire une légitimité sécuritaire en se saisissant de ce prétexte. S’il se garde bien de déclencher encore une offensive terrestre généralisée, il n’en a pas moins concentré des troupes et décrété l’état d’urgence dans une zone de sept kilomètres autour de la bande de Gaza, tandis que son aviation renouait avec le cycle infernal des raids aériens. La politique des assassinats ciblés, comme celle qui a failli coûter la vie à un député du Hamas, Khalil al-Hayya, le dimanche 20 mai, s’est remise en marche. Bilan provisoire : quatre Palestiniens tués chaque jour. Et déjà, du côté des plus hauts dirigeants israéliens, se fait entendre la petite musique de la guerre totale décrétée au mouvement islamiste palestinien, allant jusqu’à l’évocation d’une élimination du Premier ministre issu de ses rangs, Ismaël Haniyeh.
Et c’est précisément à ce moment que l’armée libanaise a entrepris une vaste offensive militaire contre le camp palestinien de Nahr al-Bared, situé près de la ville de Tripoli (au nord du pays). Officiellement, l’objectif consiste à riposter aux agissements d’un groupuscule baptisé Fatah al-Islam, qui se dit proche d’Al-Qaida et dont toutes les composantes représentatives du mouvement national palestinien se sont démarquées, d’autant qu’il semble ne compter qu’un nombre infime de Palestiniens en son sein. Ce regain de violence intervient au moment où les grandes puissances manifestent l’intention de dénouer la paralysie politique du pays du Cèdre à leur bénéfice.
Elles entendent, en particulier, relancer à l’ONU le projet de création d’un tribunal international chargé de juger les assassins du dirigeant libanais Rafic Hariri, et régler la succession de l’actuel président, Émile Lahoud, dont le mandat arrive à expiration à l’automne. Certains organes de presse américains - comme le New Yorker - se sont ainsi fait l’écho d’une stratégie de tensions et de provocations, ourdie à Washington sous l’égide du vice-président Dick Cheney, dont le Fatah al-Islam pourrait être l’instrument et dont le but serait d’approfondir les divisions entre sunnites et chiites libanais, affaiblissant du même coup l’opposition et, plus particulièrement, le Hezbollah ainsi que les puissances régionales auxquelles il se trouve lié, en l’occurrence l’Iran et la Syrie.
Quoi qu’il en soit, les Palestiniens de Nahr al-Bared, camp qui abrite 22 000 réfugiés, acquittent le très lourd tribut des combats engagés le 21 mai. Selon le Croissant-Rouge palestinien, de très nombreux civils auraient été tués ou blessés, l’eau et l’électricité ayant de surcroît été coupées. Alors que l’on s’apprête à célébrer le soixantième anniversaire de l’occupation de Gaza et de la Cisjordanie, le peuple palestinien a plus que jamais besoin de notre solidarité.
Note
1. Lire Rouge du 17 mai, ou sur ESSF : Michel WARSCHAWSKI, Israël-Liban : les leçons d’une guerre