MÉMOIRE - Tout ça pour ça. Voilà ce que pensent en résumé des intellectuels, militants et politiques de la prise de parole d’Emmanuel Macron, soixante ans après la violente répression des Algériens par la police dirigée par Maurice Papon à Paris, le 17 octobre 1961.
À la veille de cet anniversaire, le chef de l’État a effectivement reconnu des “crimes inexcusables pour la République” et pointé la culpabilité et la responsabilité du préfet de police d’alors.
Sauf qu’il n’a aucunement, dans le communiqué diffusé par la présidence, admis un quelconque manquement des policiers, ni même nommé les responsables des atrocités commises contre des militants pacifiques qui dénonçaient alors une discriminante obligation de rester chez eux à partir de 20h30.
Des morts sans tueurs ?
″Étonnamment, le président actuel ne concède que la seule responsabilité individuelle de Papon, effaçant les autres coupables, la préfecture de police n’étant même pas évoquée dans le communiqué présidentiel”, s’est par exemple insurgé, en complément d’une tribune au JDD, le député LFI de Seine-Saint-Denis Alexis Corbière.
“Le président reconnaît les morts, mais ne dit pas qui sont les tueurs ?”, déplore-t-il encore au sujet d’un drame qui a officiellement fait une centaine de morts “et, probablement, deux ou trois fois plus”, comme le rappelle l’élu.
Alexis Corbière conclut son texte ainsi : “Emmanuel Macron doit encore reconnaître le massacre des Algériens pour ce qu’il a été : un crime d’État”.
Un registre sur lequel le député insoumis est loin d’être seul. Samedi 16 octobre, au soir de la prise de position d’Emmanuel Macron, le politologue et historien Olivier Le Cour Grandmaison l’a par exemple rejoint sur le plateau de nos confrères de franceinfo, expliquant que le chef de l’État avait “fait un petit pas pour éviter d’avoir à en faire un plus grand”.
Une politique étatique raciste
“Ce qui manque, c’est la qualification précise de ce qui a été commis, c’est-à-dire un crime d’État”, a clamé l’universitaire, spécialiste notamment des questions liées à l’époque coloniale française. “Imputer la seule responsabilité de ce qui a été perpétré de manière générale en octobre 1961 à Maurice Papon relève de la fable élyséenne. Aucun historien et aucun de ceux qui s’intéressent à la manière dont fonctionne la police en situation de crise ne pense qu’il a pu agir sans l’aval de ses supérieurs hiérarchiques, le ministre de l’Intérieur et le Premier ministre de l’époque, Michel Debré.”
Toujours sur franceinfo, Olivier Le Cour Grandmaison rappelle encore que la France avait à l’époque mis en place une politique raciste de discrimination puisque seuls ceux qui étaient alors appelés “Français musulmans d’Algérie” étaient concernés par la mesure de couvre-feu. Et de regretter à nouveau une déclaration en trompe-l’œil de la part d’Emmanuel Macron, “faite de manière à ne pas avoir à aller plus loin”.
“Dans la déclaration qui a été faite, il n’y a rien de précis qui a été dit sur l’accès aux archives”, explique par exemple le chercheur, signe selon lui que comme pour de nombreux historiens depuis 60 ans, des blocages politiques empêchent et devraient continuer à empêcher que toute la lumière soit faite sur les événements tragiques de 1961.
Maurice Papon, seul coupable
Une idée qui revenait aussi samedi du côté des militants algériens et de ceux qui réclament la reconnaissance d’un crime d’État. Rahim Rezigat, 81 ans, ancien de la fédération France du Front de libération nationale (FLN), présent à une action menée par SOS Racisme en cette date anniversaire, regrettait par exemple auprès de l’Agence France presse que le président de la République ait “joué sur les mots” pour louvoyer sans heurter la sensibilité d’une partie de son électorat et ne pas reconnaître de responsabilité étatique.
Même son de cloche du côté de Dominique Sopo, le président de SOS Racisme, qui a fustigé la “politique des petits pas” d’Emmanuel Macron ainsi qu’une “frilosité” dans la non-évocation du colonialisme. Le “crime est réduit à la responsabilité de Maurice Papon”, dans la prose du chef de l’État, mais “il n’était pas un État dans l’État” assure encore le dirigeant associatif.
“On espérait plus. Papon n’a pas agi seul : on a torturé, on a massacré au cœur de Paris et là-haut, ils étaient au courant”, a complété, toujours pour l’AFP, Mimouna Hadjam, porte-parole de l’association Africa93 qui revendique aussi la “reconnaissance d’un crime d’État” après les événements du 17 octobre. “Pourquoi les archives fluviales par exemple ne sont-elles pas encore ouvertes pour que la vérité soit faite ?”
Lors de la manifestation qui a réuni près de 1800 personnes ce dimanche 17 octobre à Paris, de nombreux participants ont déploré une reconnaissance trop partielle : “Le #17octobre1961 on a tué et torturé au cœur de Paris. Il ne s’agit pas d’un “coup de folie” du préfet Papon. Il s’agit d’un crime d’État”, a tweeté Julien Bayou, secrétaire général de EELV. “Le président a raté l’occasion de faire un pas de plus vers la réconciliation”, a déploré le candidat du parti à la présidentielle Yannick Jadot.
Des demandes et des regrets qui montrent bien qu’en dépit du geste fait samedi 16 octobre 2021 par Emmanuel Macron en faveur de la mémoire, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
Paul Guyonnet