En attendant des traitements efficaces contre le SARS-CoV-2, la vaccination reste la stratégie optimale. Mais comment les publics économiquement les plus fragiles sont-ils pris en compte dans cette stratégie ? En France, 9,1 millions de personnes étaient en situation de pauvreté en 2019, selon l’Insee, soit 14,5 % de la population. Selon l’Observatoire national des inégalités, « les données pour l’année 2020 ne seront connues qu’en 2022, mais on voit mal comment elles pourraient ne pas être marquées par une forte croissance du nombre de personnes pauvres ».
Alors qu’il y a quelques semaines, la vaccination contre le Covid-19 remportait une faible adhésion, la situation semble aujourd’hui très différente, puisqu’un public de plus en plus important souhaite se faire vacciner très rapidement. D’un autre côté, une pénurie de vaccins est annoncée, en lien avec les défaillances de certaines chaînes de production. Dans ce climat tendu, que deviennent les populations socialement les plus vulnérables, sachant que ce sont elles qui adhérent le moins à la vaccination ?
Depuis plusieurs mois, de nombreuses voix s’élèvent pour alerter sur cette situation inquiétante. Ce cri d’alarme vient aussi bien des acteurs de la solidarité, engagés au plus près de ces publics, que de chercheurs. Toutes les études le montrent, il existe un risque majeur d’accroissement des inégalités de santé lié à l’accentuation massive de la pauvreté générée par la crise sanitaire et ses conséquences économiques.
Absence des publics vulnérables
Une priorisation des populations à vacciner a été proposée par la Commission technique des vaccinations de la Haute Autorité de santé (HAS). Elle a été établie en tenant compte de la hiérarchisation des risques face à cette maladie. Un calendrier comprenant des vagues successives de vaccination a ainsi été promulgué pour les prochains mois. Quand les autorités sanitaires parlent de donner la priorité pour la vaccination aux publics les plus fragiles, elles évoquent à juste titre les sujets âgés et les personnes atteintes de pathologies chroniques, mais ne mentionnent pas les publics en grande précarité.
Dans son document « Stratégie de vaccination contre le SARS-CoV-2 : recommandations préliminaires sur la stratégie de priorisation des populations à vacciner », publié en novembre 2020, la HAS indique que seulement dans une quatrième phase « pourront être vaccinées les personnes vulnérables et précaires (sans domicile fixe), ou encore vivant dans des collectivités où les conditions d’application des mesures barrières sont rendues plus difficiles (prisons, établissements psychiatriques, foyers), et les professionnels en contact régulier avec elles, dont les travailleurs sociaux ».
Dans la déclaration faite par le premier ministre, le 16 décembre 2020, le déploiement de la stratégie vaccinale est séquencé en trois phases. Les publics socialement vulnérables ne sont pas cités. Il est donc urgent de soutenir tous ceux qui, depuis le début de cette crise, agissent auprès de ces publics. Ce sont très majoritairement des communes, des acteurs de la politique de la ville, et des associations.
Pour une stratégie vaccinale juste et équitable
Leur proximité et leur capacité de dialogue les rendent particulièrement efficients pour accompagner et faciliter des choix plus favorables à la santé. Leur démarche de soutien s’appuie souvent sur des médiateurs, des « ambassadeurs » ou des pairs-aidants. Ces acteurs essentiels vont à la rencontre de ces personnes, soutiennent leur expression dans leurs différents milieux de vie, les aident à repérer les sources d’information fiables, les accompagnent dans la recherche de solutions, et renforcent l’acceptabilité et l’applicabilité des gestes de prévention.
Leur impact sur l’accès de ces personnes à la vaccination peut être considérable, à condition qu’elles disposent des moyens pour agir. Des solutions organisationnelles sont également nécessaires pour faciliter l’accès de tous à l’information, à la prise de rendez-vous et à la vaccination elle-même, en raison de l’éloignement des centres de vaccination et de la faible mobilité des personnes.
Par ailleurs, le Comité de contrôle et de liaison Covid-19 vient de le rappeler dans son point de vigilance n° 1 sur la campagne de vaccination : « Les inégalités d’accès sont accentuées par la fracture numérique. Le dispositif de prise de rendez-vous doit, pour tous les territoires, inclure une solution pour les personnes sans téléphone et sans accès Internet ». L’adaptation de la stratégie vaccinale à la spécificité des besoins et des conditions d’existence de l’ensemble de la population concernée sera garante de son caractère juste et équitable.
Près de 10 millions de personnes dans la pauvreté
Seules des démarches solidaires et bienveillantes sont à même de rendre possible un accès éthiquement acceptable à une vaccination aujourd’hui essentielle pour tous, mais de façon encore plus urgente pour près de 10 millions de personnes vivant aujourd’hui dans la pauvreté. La priorité des priorités est de vacciner les plus précaires.
Ces personnes seront-elles aussi prioritaires que les autres dans chacune des phases de déploiement de la stratégie de vaccination contre le Covid-19 ? Ou parlerons-nous d’elles dans un an comme « les grandes oubliées » de cette stratégie ? Il est impératif d’agir vite, faute de quoi, l’inégalité d’accès au vaccin viendra aggraver ce que le premier ministre Jean Castex décrivait, le 29 janvier, comme « la crise de l’égalité des chances qui affaiblit la République comme le virus affaiblit les organismes ».
François Baudier
Président de la Fédération nationale d’éducation et de promotion de la santé (FNES).
Christine Ferron
Déléguée générale de la Fédération nationale d’éducation et de promotion de la santé (FNES)