Le 5 mai, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé que la pandémie de Covid-19 était désormais considérée comme « un problème de santé établi et à caractère persistant qui ne constitue plus une urgence de santé publique de portée internationale ». La crise sanitaire mondiale, ouverte le 30 janvier 2020, quand les malades affluaient dans les hôpitaux déjà confinés, se clôt.
La gestion du Covid se fera désormais « à long terme »,a expliqué le directeur général de l’OMS. Cette décision est justifiée par « la tendance à la baisse des décès, des hospitalisations et des admissions en unité de soins intensifs liées au COVID-19, ainsi que [par] les niveaux élevés d’immunité de la population contre le SARS-CoV-2 ». Il a tout de même reconnu « les incertitudes qui subsistent concernant l’évolution potentielle » du virus.
Entre 7 et 15 millions de morts dans le monde
Le coronavirus a causé près de 7 millions de décès dans le monde. Mais ce chiffre, un décompte par l’OMS des décès officiellement attribués au virus, est très en dessous de la réalité, a rappelé l’organisation dans son dernier rapport sur la santé mondiale, rendu public ce vendredi 19 mai. Pour tenter de l’appréhender, l’OMS a évalué l’excès de mortalité dans le monde qu’elle chiffrait, fin 2021, à près de 15 millions de morts. L’Asie du Sud-Est, en particulier la Chine et l’Inde, affiche un excès de mortalité très important, sans commune mesure avec les décès officiels du Covid.
En focalisant les moyens autant que l’attention, la pandémie de Covid a aussi causé des dommages indirects. Les autres campagnes de vaccination ont reculé, notamment celles des enfant. La malaria, la tuberculose et le choléra ont repris. L’épidémie mondiale des maladies non transmissibles – maladies cardio-vasculaires, cancers, malades respiratoires chroniques et diabète – n’a pas cessé de progresser.
Devant le memorial dédié aux victimes du Covid, à Londres, octobre 2022 © Crédit Niklas HALLE’N / AFP
L’OMS insiste aussi sur le risque environnemental, grandissant pour la santé humaine. Un quart des décès dans le monde sont déjà attribuables à la dégradation de l’environnement : qualité de l’air, de l’eau, exposition aux produits chimiques, etc. Pour la première fois, l’OMS intègre les risques liés au dérèglement climatique, qui menace la santé physique et mentale de 3,6 milliards de personnes dans le monde : multiplication des inondations, des sécheresses, des incendies, progression des maladies transmises par les moustiques, les tiques et les rongeurs, etc.
« Ce n’est pas hors sol de considérer que le Covid-19 n’est plus une urgence de santé publique, car de nombreux autres pathogènes circulent. Il faut avancer et mettre en place une surveillance plus globale », estime l’épidémiologiste Éric D’Ortenzio, de l’agence nationale de recherche ANRS-Maladies infectieuses émergentes et de l’Inserm.
L’épidémie reste-t-elle sous surveillance ?
En France, l’épidémie de Covid-19 n’a jamais autant reflué, selon Santé publique France : depuis la mi-janvier 2023, le nombre de cas positifs est passé en dessous de 100 pour 100 000 habitants par semaine. Au pic de la vague Omicron, début 2022, l’incidence avait dépassé les 3 800 cas pour 100 000 habitants.
Mais pour Yvanie Caillé, porte-parole de l’association de malades des reins Renaloo, les chiffres récents ne reflètent pas la réalité : « Le thermomètre est cassé », estime-t-elle. Car les Français se testent désormais très peu : le taux de dépistage oscille autour de 250 tests par semaine pour 100 000 habitants, contre près de 15 000 début 2022.
Le virologue Bruno Lina, à la tête du Centre national de référence sur les virus causant des infections respiratoires, défend cependant ces chiffres : « Bien sûr, on ne peut pas comparer la solidité de ces données avec celles qu’on produisait quand on faisait un million de tests par semaine. Mais on ne dit pas pour autant n’importe quoi. C’est une estimation, à partir des remontées des tests des laboratoires privés et hospitaliers, qui donnent la proportion de cas positifs, combinées avec les données hospitalières. »
Mais il le reconnaît volontiers : « On est dans une quasi-normalisation de la surveillance du Covid, car on ne voit plus de bouffées épidémiques, causées par l’échappement du virus à l’immunité acquise par la population. Le coronavirus continue à évoluer, mais plus lentement. »
Le variant Omicron continue à dominer et est omniprésent en France. Son sous-lignage BA.5 est peu à peu remplacé par un autre sous-lignage, XBB.1.5, classé par l’OMS comme un « variant à suivre », qui soulève peu d’inquiétudes.
En réanimation, des personnes âgées et immunodéprimées
Mais le Covid continue à tuer : 100 à 200 personnes en moyenne meurent chaque semaine en France des suites du virus (il y avait plus de 3 700 morts par semaine au pic de la première vague, plus de 2 000 au pic de la vague Omicron début 2022).
Ne succombent désormais au virus que deux catégories de malades : « Les plus de 80 ans dont la vaccination est ancienne, et les personnes immunodéprimées, pour lesquelles le vaccin est inefficace »,explique le professeur Lina. « Les immunodéprimé·es représentent un quart des malades du Covid en réanimation »,précise Yvanie Caillé, qui siège aux côtés du professeur Lina au sein du Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars), qui a remplacé le conseil scientifique.
Une immunité à durée limitée
Les dernières données françaises sont celles du groupement d’intérêt scientifique Epi-phare, qui associe l’agence du médicament et l’assurance maladie, et qui exploite les données anonymisées de 60 millions de Français de 12 ans et plus (collectées au sein du Système national des données de santé et croisées avec les données sur la vaccination et le dépistage du Covid). Entre juin et octobre 2022, les vaccins à ARN messager monovalent (qui ne ciblent pas le variant Omicron) « sont restés efficaces contre le risque d’hospitalisation », d’autant plus que « le nombre de doses reçues était élevé ». Mais cette efficacité s’estompe avec le temps : autour de six mois après la dernière injection, elle n’est plus que de 50 % contre les formes graves.
Contre les infections, les vaccins à ARN messager sont efficaces dans les premières semaines seulement suivant l’injection, puis cette protection « diminue significativement »,note la Haute autorité de santé (HAS) dans ses dernières recommandations vaccinales, publiées en février, en s’appuyant sur une revue de la littérature scientifique.
Quand aux données d’efficacité des nouveaux vaccins à ARN messager bivalent (qui visent le virus historique et le variant Omicron), elles restaient encore « limitées », toujours selon la HAS. Se dessine cependant une efficacité légèrement supérieure au vaccin monovalent.
La HAS n’a en revanche trouvé aucune donnée d’efficacité en vie réelle sur les deux derniers vaccins mis sur le marché, à la technologie traditionnelle, ceux de Sanofi et de Novavax.
La stratégie vaccinale est pour l’instant inchangée : seules les personnes à risque sont invitées à un rappel vaccinal à parti de six mois après leur dernière dose. Une campagne de vaccination a été déployée ce printemps et une autre le sera cet automne.
Les Ehpad, où les personnes âgées sont vaccinées régulièrement, prouvent que la stratégie est efficace : s’il y a encore des cas de Covid, les décès sont très peu nombreux.
La vaccination est devenue un choix personnel : ceux qui ne souhaitent pas être vaccinés régulièrement s’exposent plus que les vacciné·es à de nouvelles infections et à d’éventuelles formes graves, car l’immunité acquise au contact du virus s’estompe également à partir de six mois.
« L’intérêt collectif de la vaccination, qui freine la diffusion du virus et protège les plus fragiles, n’est plus prise en compte. Or, on n’est pas tous égaux face au virus »,rappelle Bruno Lina. Le membre du Covars n’exclut pas, à l’avenir, de nouvelles campagnes de vaccination en population générale contre le Covid.
« On n’est pas tout à fait sûrs de ce qu’on fait,reconnaît lui aussi Éric D’Ortenzio. Car 10 à 20 % des personnes infectées développent un Covid long, sur lequel beaucoup de recherches ont été lancées, mais dont on sait encore très peu de choses. »
Les traitements manquent
Pour les malades à risque, un seul traitement reste efficace à ce jour contre les formes graves : le Paxlovid de Pfizer, efficace s’il est pris rapidement après l’infection. Seule bonne nouvelle : « Le niveau de prescription a augmenté, car les interactions se gèrent mieux, même pour les patients greffés qui prennent des médicaments anti-rejet, confirme Yvanie Caillé de l’association Renaloo. Mais les remontées des patients confirment que beaucoup d’équipes n’osent toujours pas prescrire le Paxlovid. »
Les anticorps monoclonaux, un temps administrés en prévention aux personnes immunodéprimées qui ne sont pas protégées par les vaccins, ne fonctionnent plus face aux nouveaux variants.
Eric d’Ortenzio le reconnaît : « Une partie de la population, notamment les immunodéprimés, pâtissent du manque de traitements curatifs et préventifs. Ils sont en danger, c’est vrai. Ce n’est pas une négligence : la recherche se mobilise. »
Les soignants non vaccinés en cours de réintégration
Le 13 mai est paru le décret qui suspend l’obligation vaccinale des personnels de santé et organise la réintégration des suspendu·es dans les deux semaines. La circulaire ministérielle précise que les agent·es ont le droit de retrouver le poste qu’ils ou elles occupaient ou « un emploi équivalent », dans la « même implantation géographique » et à rémunération équivalente. En revanche, pendant le temps de leur suspension, les agent·es ont perdu leur avancement de carrière. Devant l’Assemblée nationale, François Braun a promis qu’il n’y aurait pas de « chasse aux sorcières ».
Au nom de l’association Renaloo, Yvanie Caillé critique cette décision prise « sans intégrer la dimension éthique ni les conséquences pour les plus fragiles ». Les associations qui représentent les malades les plus exposés à des formes graves – comme Renaloo, la Ligue contre le cancer ou Aides - ont très largement opposé un net refus à la levée de l’obligation vaccinale.
« Pour les patients que nous représentons, c’est un motif d’anxiété. Ils sont passés par de grandes épreuves de santé et sont conscients de devoir leur survie à leur médecine, à la science. Ils sont heurtés de se retrouver entre les mains de soignants qui sont dans une défiance forte. » Et sur le risque que ces soignant·es représentent, il est, aux yeux d’Yvanie Caillé, « non négligeable dans le cadre d’une stratégie de réduction des risques. Le vaccin protège tout de même à 30 % contre une infection ».
Le gouvernement s’est contenté de suspendre l’obligation vaccinale des soignant·es, se laissant donc la possibilité de la réinstaurer. Les député·es voudraient aller plus loin en supprimant le chapitre 2 de la loi du 5 août 2021 qui instaure cette obligation : par 157 voix pour (les membres de la Nupes, des groupes LIOT, Les Républicains et Rassemblement national), les député·es ont adopté la proposition de loi en ce sens de l’élu guyanais Jean-Victor Castor (Gauche démocrate et républicaine).
Pour François Braun, « cela nous priverait d’un outil précieux qui nous permet, sous le contrôle de la HAS, de réinstaurer si c’est scientifiquement établi comme nécessaire, et de suspendre quand cela ne l’est plus, une obligation vaccinale des professionnels de santé ».
Le professeur Bruno Lina, qui travaille aux Hospices civils de Lyon (HCL), les soignant·es non vacciné·es sont « une minorité. Aux HCL, sur 24 000 personnels, 28 ne sont pas vaccinés. Je n’ai rien contre leur retour, s’il est serein, il faut tourner la page. Mais un retour prosélyte serait inacceptable ».
Le masque en cours d’abandon dans les hôpitaux ?
Les établissements de santé sont libres d’imposer les mesures de prévention, et certains décident d’abandonner les masques. Le centre hospitalier de Béziers en a fait un petit film joyeux, où les soignant·es arrachent leurs masques, les jettent à la poubelle, dévoilant de grands sourires, dans les couloirs et les services, jusqu’en néonatologie.
Dans son avis favorable à la levée de l’obligation vaccinale, la HAS a pourtant encore insisté sur l’importance des gestes barrière en milieu de soins. Le Covars, dans son avis du 5 avril, a enfoncé le clou : « Il est important que [...] le port du masque et le respect des gestes “barrière” soient maintenus dans les secteurs de soin en présence des malades, a fortiori dans les services prenant en charge des patients immunodéprimés. » Seulement, « beaucoup d’hôpitaux abandonnent le port du masque, même dans les services de dialyse, c’est incompréhensible », s’alarme Yvanie Caillé.
Face à ce relâchement général du reste de la société, les malades à risques réagissent de deux manières, estime Yvanie Caillé : « Il y a ceux qui sont entraînés par le mouvement global de la société, qui ont repris une vie normale, mais prennent sans le savoir des risques inconsidérés ; et il y a ceux qui restent très conscients des risques qu’ils encourent, cherchent à se protéger, et constatent qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. »
Et le regard porté sur ces personnes est de plus en plus hostile, assure-t-elle : « Les personnes masquées subissent des regards, des remarques. Il n’y a plus du tout de solidarité, mais au contraire du rejet, de la discrimination. »
Caroline Coq-Chodorge