Lundi soir, Emmanuel Macron s’est prêté à son exercice favori : lancer des promesses depuis l’Élysée, sans questions de journaliste derrière, sans possibilité de rebond, sans détails auxquels s’accrocher pour comprendre de quoi il retourne exactement. Après un mois de confinement, il a ouvert de nombreuses portes pour y mettre un terme, en sommant son gouvernement de présenter « d’ici 15 jours » un plan suffisamment solide pour qu’elles ne se referment pas d’un simple coup de vent.
Ses annonces, et notamment celle d’une « réouverture progressive » des écoles à partir du 11 mai, ont pris tout le monde de court : les enseignants, les organisations syndicales, les collectivités locales, et même son propre ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer, qui avait déjà été informé très tardivement de leur fermeture, et qui s’est de nouveau illustré dans un numéro de contorsionniste en expliquant, mardi matin, qu’« il y [aurait] des aménagements ».
Logiquement, l’opposition a profité des questions au gouvernement de mardi, à l’Assemblée nationale, pour interroger le premier ministre sur la façon dont il comptait s’y prendre pour mettre en œuvre les « principes » édictés par le chef de l’État. « Je comprends l’impatience de l’ensemble de nos concitoyens […] mais le gouvernement doit étudier dans le détail, avec l’ensemble des acteurs concernés, la meilleure façon d’organiser une logistique complexe permettant de protéger nos concitoyens tout en garantissant leur sécurité sanitaire », a fait valoir Édouard Philippe.
Assurant qu’il présenterait son plan « largement avant le 11 mai », il a toutefois insisté sur le fait que celui-ci nécessitait un lourd « travail de préparation », qui a certes été engagé, mais n’est clairement pas abouti à ce jour. Interrogé sur la « réouverture progressive » des établissements scolaires, il a également reconnu que le plus dur restait à faire. « Je sais que certains commentateurs imaginent parfois que tout devrait être arrêté, comme si cela sortait, sinon de la cuisse…, a-t-il ajouté, laissant en suspens le surnom « Jupiter » que s’était lui-même donné Emmanuel Macron. Comme si cela sortait, du moins, tout armé de sa tête. » Or, à l’évidence, la réalité est elle aussi bien plus « complexe » que les promesses présidentielles.
Mardi, les réunions interministérielles se sont donc succédé à un rythme effréné afin de répondre à tous les points évoqués depuis l’Élysée la veille, à commencer par ceux qui devaient être appliqués « sans délai » : le versement d’une aide exceptionnelle aux foyers les plus modestes et aux étudiants les plus précaires ; l’organisation des visites de famille dans les hôpitaux et les Ehpad ; la mobilisation économique des assureurs… Un projet de loi de finances rectificative a également été adopté lors du conseil des ministres de mercredi, avant d’être soumis à un examen parlementaire dans la foulée.
Beaucoup de questions, et non des moindres, restent à ce jour sans réponse. Elles concernent évidemment les masques et les tests, qui continuent de manquer cruellement. Elles touchent également un autre outil, jugé indispensable par le conseil scientifique, pour envisager un déconfinement : les « lieux d’isolement ». « Les personnes ayant le virus pourront ainsi être mises en quarantaine, prises en charge et suivies par un médecin », a indiqué le président de la République lundi soir, sans entrer, là encore, dans le détail.
Dans un courrier adressé le 6 avril au premier ministre, la maire PS de Paris, Anne Hidalgo, se proposait de « faciliter la mobilisation de sites dédiés et d’hôtels » pour héberger les Parisiens touchés par le virus, et qui, sans avoir besoin d’être hospitalisés, « ne peuvent être confinés chez eux dans des conditions satisfaisantes pour protéger leur entourage d’une contamination ». Dans certains départements, comme les Pyrénées-Orientales, des hôtels ont déjà été réquisitionnés par la préfecture pour accueillir les malades.
Pour le moment, le dispositif n’a pas été généralisé. Depuis lundi soir, il est venu allonger la longue liste des questions auxquelles la cellule interministérielle de crise, dont l’« instabilité totale » inquiète jusque dans l’appareil d’État, va devoir apporter des réponses sous quinze jours. « Ces questions sont parfaitement légitimes, a indiqué le ministre de la santé et des solidarités Olivier Véran, à l’issue du conseil des ministres. Si nous ne vous répondons pas aujourd’hui, c’est parce que nous sommes en train d’y travailler, d’arrache-pied. […] Laissez-nous le temps de planifier, de programmer, d’organiser pour avoir quelque chose de structuré et de définitif. »
« Expliquer à une entreprise […] qu’elle doit multiplier par deux ou par trois ses capacités de production, ça ne se fait pas en un instant, ça ne se fait pas en claquant des doigts, a souligné un peu plus tard Édouard Philippe devant le Sénat, au sujet de la fabrication des masques. Il faut investir dans des machines, il faut sécuriser des circuits de distribution, il faut acheter la matière première, il faut former les femmes et des hommes… Bref, cela prend du temps. » Ce temps a été resserré par le président de la République en l’espace d’une allocution. « Pour l’interministériel, cette façon de faire est horrible », souffle un conseiller.
Cette façon de faire est pourtant celle qu’a choisie le chef de l’État depuis le début de son quinquennat. Il décide de tout, tout seul, en informant les principaux concernés à la dernière minute pour mieux préserver l’effet de surprise. Parce que c’est lui le patron. Mais surtout, parce qu’il a encore besoin de le faire savoir. « Je suis votre chef », assène-t-il depuis son élection. À l’exception du premier ministre, d’Olivier Véran et de quelques autres qui avaient reçu le discours dans l’après-midi, la plupart des membres du gouvernement ont été informés de ses annonces un quart d’heure seulement avant sa prise de parole.
Les soutiens d’Emmanuel Macron arguent qu’il s’agit là d’une « mise sous tension » indispensable des services administratifs, dont on ne cesse, au plus haut niveau de l’État, de regretter la lenteur. Les ministres ne savent pas comment répondre à telle ou telle injonction du président de la République ? « Ben, il faut qu’ils s’y mettent », balaie l’un de ses proches. Et tant pis si certains, y compris au sein du gouvernement, étaient contre l’idée d’annoncer une date. Tant pis aussi si le conseil scientifique, dont le dernier avis n’a d’ailleurs toujours pas été publié, était divisé sur la question de la réouverture des écoles.
Cette fois-ci, le chef de l’État, à qui l’on a reproché de suivre l’avis des « sachants » au détriment des décisions politiques, a souhaité reprendre la main tout seul. « Il a enfin compris qu’il ne pouvait pas être leur marionnette ! », se félicite un habitué de l’Élysée, dans les colonnes du Parisien, ravi de la visite surprise à Didier Raoult, le 9 avril. « C’est un grand scientifique, et je suis passionné par ce qu’il dit et ce qu’il explique », a d’ailleurs affirmé le président de la République sur RFI, bien conscient de l’engouement que suscite le professeur marseillais.
« On gère l’image, mais pas la crise »
Comme il l’avait fait en pleine crise des « gilets jaunes » ou après l’incendie de Notre-Dame de Paris, Emmanuel Macron a lâché ses décisions pour satisfaire l’opinion publique, sans s’être assuré au préalable que la logistique suivait. « Le salaire d’un salarié au Smic augmentera au total de 100 euros par mois » ; « Nous reconstruirons Notre-Dame en cinq ans » ; « À partir du 11 mai, nous rouvrirons progressivement les crèches, les écoles, les collèges et les lycées »… Vous voulez une licorne ? Aucun problème. On doit sans doute pouvoir croiser un cheval et un cornet de glace.
Les soutiens du chef de l’État applaudissent. Le gouvernement et les services administratifs font avec. « C’est toujours la même philosophie : il impulse, fixe un cap, et nous, on exécute derrière », indique un conseiller. Toutes les tares de la Ve République et de son ultra-présidentialisme s’exacerbent sous nos yeux : le Parlement n’est pas consulté en amont des décisions, les collectivités locales sont à peine écoutées, les ministres sont mis dans la confidence à la dernière minute et le premier d’entre eux est réduit au rôle de directeur de cabinet.
Parce qu’elle ajoute de la confusion à la confusion, cette méthode est aussi contre-productive. Dès le lendemain de l’allocution présidentielle, plusieurs membres du gouvernement ont tenté d’assurer le service après-vente, en expliquant que la date du 11 mai était « un objectif, pas une certitude » (Christophe Castaner), que l’école ne serait pas « obligatoire » (Jean-Michel Blanquer) et qu’il était impossible d’annoncer pour le moment quelque chose « de définitif » sur ce point (Édouard Philippe).
Toute la journée, les ministres ont semblé contredire Emmanuel Macron, entraînant ainsi une cacophonie à tous les étages, laquelle est venue s’ajouter à une gestion de crise déjà incompréhensible. « On multiplie les instances, les conseils, les comités qui font de leur mieux, mais il n’y a pas le souci des détails, ils n’ont pas de rôle opérationnel. Quand Clemenceau visitait le front au péril de sa vie, ce n’était pas seulement pour soutenir le moral des troupes. C’était aussi pour vérifier que l’intendance suivait », notait récemment l’ancien directeur général de la santé William Dab dans Le Monde.
Le sociologue Didier Torny, qui a travaillé depuis 2004 sur la prise en charge des maladies émergentes et la gestion des pandémies, l’expliquait dans cet entretien accordé à Mediapart, début avril : « On peut critiquer des mesures trop limitées ou trop tardives, mais plus fondamentalement ce sont les conséquences de telle ou telle mesure prise après le 14 mars qui n’ont pas été anticipées, faute précisément de préparation, disait-il. On ferme les écoles mais on n’a pas réfléchi en amont sur ce que seront les conséquences, pour qui, comment, pourquoi. » La même problématique se pose dans la perspective de leur réouverture.
Certes, les proches d’Emmanuel Macron, et dans leur sillage bon nombre de commentateurs, rappellent que son expression du 13 avril était soumise à des conditions, comme en témoignent au moins deux extraits : « Le lundi 11 mai ne sera possible que si… », « les règles pourront être adaptées en fonction de nos résultats »… Mais qu’a retenu le grand public de ces annonces ? La date du 11 mai, martelée 12 fois. Et la fameuse « réouverture progressive » des établissements scolaires dont on peine toujours à comprendre comment elle peut être possible.
Au sein de l’exécutif, trois arguments sont avancés pour défendre cette méthode contestable. D’abord, on rappelle qu’en France, c’est au président de la République de trancher et à lui seul. Ensuite, on répète que cette communication, ou plutôt cette absence de communication, est nécessaire pour éviter les fuites dans la presse. Enfin, on souligne que l’administration aura toujours de bonnes raisons pour expliquer que telle ou telle mesure est impossible à mettre en œuvre et qu’il faut donc que le pouvoir politique la place devant le fait accompli.
Même dans les rangs de l’opposition dite « constructive », ces arguments sont loin de convaincre tout le monde. Si chacun préfère parler sous couvert d’anonymat pour éviter d’alimenter « des polémiques », les mots sont sans appel. « Il a voulu faire le malin, estime un député issu de la droite. Tout ça donne le sentiment qu’on gère l’image, mais pas la crise. » « Il a fait un show personnel pour cocher toutes les cases, pour que les gens soient d’accord avec lui, ajoute un autre. Sur la forme, c’était sa meilleure intervention, mais sur le fond, c’est irresponsable. »
Que se passera-t-il, dans quinze jours, si l’on se rend compte que les promesses présidentielles sont intenables ? Quand il s’agit de reconstruire Notre-Dame de Paris, les enjeux ne sont pas si graves. Mais en pleine crise sanitaire, prendre de tels risques dans l’espoir d’un gain politique peut en effet s’avérer irresponsable. Le président de la République pourra toujours rappeler qu’il avait soumis ses annonces à des prérequis, et regretter que le gouvernement et l’administration n’aient pas su les mettre en œuvre.
Il pourra de nouveau pointer, comme il l’a fait lundi soir, les « failles » et les « insuffisances » des autres. Expliquer qu’il a vu lui aussi « des ratés, encore trop de lenteur, de procédures inutiles, des faiblesses aussi de notre logistique ». Et que « nous en tirerons toutes les conséquences en temps voulu ». Son plus ou moins proche entourage continuera de bavarder dans la presse [1] au sujet d’un gouvernement de « concorde » réunissant des personnalités de tous bords, une fois la crise passée. De Nathalie Kosciusko-Morizet à Manuel Valls, tous les noms seront cités. Pour mieux cacher que le problème se trouve d’abord à l’Élysée.
Ellen Salvi
• MEDIAPART. 15 AVRIL 2020 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/150420/crise-sanitaire-macron-en-fauteur-de-troubles?onglet=full
Macron promet la sortie de confinement, mais ne donne aucune garantie
Le président de la République a annoncé un confinement jusqu’au 11 mai et promis une « réouverture progressive » des établissements scolaires à compter de cette date. Il souhaite relancer la machine économique, mais ne donne aucun gage quant aux tests. Il assure même, contrairement aux scientifiques, que tester l’ensemble de la population « n’aurait aucun sens ».
Cette fois-ci, Emmanuel Macron a voulu l’énoncer clairement. « Je mesure pleinement l’effort que je vous demande durant les quatre semaines à venir », a-t-il déclaré lundi 13 avril au soir [2], après avoir annoncé que « le confinement le plus strict » – expression qu’il s’était refusé à prononcer lors de sa dernière allocution – serait prolongé jusqu’au lundi 11 mai. « C’est la condition pour ralentir encore davantage la propagation du virus, réussir à retrouver des places disponibles en réanimation et permettre à nos soignants de reconstituer leurs forces. »
Une condition rendue inéluctable par ce que le président de la République a lui-même qualifié de « failles » et d’« insuffisances », à commencer par l’absence de masques et de tests. « Comme vous, j’ai vu des ratés. Encore trop de lenteur, de procédures inutiles. Des faiblesses aussi de notre logistique. Nous en tirerons toutes les conséquences en temps voulu », a-t-il assuré, reconnaissant que l’État n’avait « pu distribuer autant de masques que nous l’aurions voulu pour nos soignants, pour les infirmières, les aides à domicile ».
Dans une telle situation, le confinement reste la seule mesure aujourd’hui possible, en complément des fameux « gestes barrières ». « Autrement dit, on fait peser sur la population la totalité des efforts de prévention », comme l’expliquait il y a quelques jours l’ancien directeur général de la santé William Dab dans Le Monde [3]. Pour en finir, Emmanuel Macron a promis qu’à partir du 11 mai, l’État, « en lien avec les maires », permettrait « à chacun de se procurer un masque grand public pour les professions les plus exposées et pour certaines situations, comme dans les transports en commun ».
« Son usage pourra devenir systématique », a-t-il précisé, sans donner plus de détails sur les masques en question. De quoi parle-t-on exactement ? De masques FFP2 ou chirurgicaux qui manquent encore cruellement ? De masques dits « alternatifs » comme les masques en tissu pour lesquels il n’existe, selon la Société française des sciences de la stérilisation (SF2S) et la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H) [4], « pas de preuve scientifique » de leur efficacité ? Impossible de le savoir. Le chef de l’État continue de s’exprimer seul, depuis l’Élysée, sans journaliste pour le questionner.
Le président de la République ne s’est pas attardé non plus sur le sujet des tests dont il reconnaît pourtant qu’ils constituent une « arme privilégiée pour sortir au bon moment du confinement ». « Dans les prochaines semaines, nous allons continuer d’augmenter le nombre de tests chaque jour », a-t-il cependant promis, indiquant que « le 11 mai, nous serons en capacité de tester toute personne présentant des symptômes » et que « les personnes ayant le virus [pourraient] ainsi être mises en quarantaine, prises en charge ».
Cette déclaration est d’autant plus étonnante que le gouvernement répète depuis des semaines que la question du déconfinement vire au casse-tête en raison du grand nombre de personnes porteuses du virus de façon asymptomatique. Comment éviter une deuxième vague épidémique si, comme l’a dit Emmanuel Macron, « on ne va pas tester toutes les Françaises et les Français » parce que « cela n’aurait aucun sens » ? Là encore, il n’a apporté aucune réponse. Et couvert l’un des plus grands problèmes de la crise sanitaire sous une nouvelle énormité.
Car tous les scientifiques, qui ne sont pourtant pas d’accord sur bon nombre de sujets, se rejoignent sur celui-ci : le dépistage massif est la condition sine qua non d’une sortie de confinement. « Nous avons un message simple à tous les pays : testez, testez, testez les gens ! », lançait le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dès le 16 mars. Cette nécessité est rendue d’autant plus impérieuse par l’annonce de la « réouverture progressive des crèches, des écoles, des collèges, des lycées le 11 mai ». Comment imaginer renvoyer des millions d’enfants, potentiellement contagieux, dans les établissements scolaires ?
Autant de questions restées en suspens dans l’attente du « plan de l’après 11 mai » et des « détails d’organisation de notre vie quotidienne » que le gouvernement est sommé de présenter d’ici quinze jours. Un plan qui, de toute évidence, est loin d’être prêt. Ce n’est pas la première fois que le chef de l’État fait des annonces en demandant à la machine administrative de se débrouiller avec. En pleine crise des « gilets jaunes » [5], ses mesures en faveur du pouvoir d’achat, dégainées par surprise le 10 décembre 2018 [6], avaient déjà entraîné une improvisation à tous les étages.
Lundi soir, l’opposition n’a pas tardé à pointer le flou de l’allocution présidentielle. « Ça devient très difficile de respecter l’unité d’action contre l’épidémie quand les consignes sont aussi confuses et que la stratégie semble rationnellement aussi hasardeuse », a commenté le chef de file de La France Insoumise (LFI) Jean-Luc Mélenchon [7]. « La logistique et l’intendance doivent suivre. Les mots ne suffiront plus », a également souligné le patron des Républicains (LR) Christian Jacob [8]. « Il faut tester massivement, et notamment tous ceux qui travaillent, pas seulement ceux qui ont des symptômes ! », a jugé le vice-président du Rassemblement national (RN) Jordan Bardella [9].
Pour justifier la réouverture des établissements scolaires à compter du 11 mai, Emmanuel Macron a évoqué les « inégalités » que leur fermeture creuse. « Trop d’enfants, notamment dans les quartiers populaires et dans nos campagnes, sont privés d’école sans avoir accès au numérique et ne peuvent être aidés de la même manière par les parents », a-t-il expliqué justement. Pour autant, cette réouverture a un autre objectif : celui de permettre aux parents de regagner le chemin du travail, afin de relancer la machine économique au plus tôt, comme le réclament certains [10].
« Le 11 mai, il s’agira aussi de permettre au plus grand nombre de retourner travailler, redémarrer notre industrie, nos commerces et nos services », a confirmé le président de la République dans la foulée. Il faut, pour cela, que les parents puissent être libérés de leurs enfants. Le problème ne se pose pas pour les étudiants de l’enseignement supérieur, qui ne reprendront pas les cours « physiquement » avant l’été. Les lieux rassemblant du public (« restaurants, cafés et hôtels, cinémas, théâtres, salles de spectacles et musées ») resteront eux aussi fermés. Et les événements rassemblant du public seront interdits jusqu’à mi-juillet.
Les personnes vulnérables, elles, devront rester confinées au-delà du 11 mai. Le chef de l’État a tout de même pris note de la situation dramatique dans laquelle se trouvent les familles empêchées d’accompagner leurs anciens lorsque ceux-ci ont été contaminés par le Covid-19. « Je souhaite […] que les hôpitaux et les maisons de retraite puissent permettre d’organiser pour les plus proches, avec les bonnes protections, la visite aux malades en fin de vie afin de pouvoir leur dire adieu », a-t-il affirmé.
Indiquant que nous sommes, pour l’heure, « loin » de l’immunité collective, « c’est-à-dire ce moment où le virus arrête de lui-même sa circulation parce que suffisamment d’entre nous l’avons eu », Emmanuel Macron a expliqué qu’« aucune piste [n’était] négligée » en matière de vaccin et de traitement. Avant de souligner toutefois que « nous aurons plusieurs mois à vivre avec le virus ». Sans se départir du ton grandiloquent dont il teinte chacun de ses discours, il a de nouveau appelé de ses vœux un « moment de refondation » de l’Union européenne, alors que le dernier accord conclu par l’Eurogroupe est loin d’être suffisant [11].
Tout au long de son allocution, le président de la République a insisté sur la question des inégalités, allant même jusqu’à citer l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 [12] : « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Parmi diverses mesures économiques, il a notamment annoncé le versement « sans délai » d’une « aide exceptionnelle aux familles les plus modestes avec des enfants […] et aux étudiants précaires ».
Sans pour autant se risquer à rentrer, là encore, dans le détail de l’après-pandémie, il a toutefois promis du changement. « Sachons, dans ce moment, sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et moi le premier », a-t-il dit, allant même jusqu’à rappeler « que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal ». Une manière d’effacer d’un coup de baguette – et non d’argent [13] – magique les politiques qu’il mène depuis le début de son quinquennat.
Après des jours de « politique spectacle », pour reprendre les mots du président de la fédération des Médecins de France Jean-Paul Hamon [14], ponctués par les images catastrophiques d’un bain de foule en Seine-Saint-Denis, une visite surprise au professeur Didier Raoult, ou encore des confidences de son entourage dans Le JDD sur le « discours churchillien » qu’il s’apprêtait à livrer [15], Emmanuel Macron a souhaité faire preuve d’« humilité ». Les enquêtes d’opinion, sur lesquels l’exécutif garde les yeux rivés, n’y sont pas pour rien. « Ils sont très inquiets par les derniers sondages qui disent qu’une grande majorité des Français pensent qu’ils ont menti », confiait récemment un membre de cabinet à Mediapart [16].
Délaissant le costume de « chef de guerre » qu’il avait tenté d’endosser au début de la crise, il a troqué sa formule initiale « nous sommes en guerre » par l’expression « temps de guerre », bien plus juste, comme l’explique l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau dans cet entretien [17]. Le chef de l’État a tout de même conservé l’analogie pour conclure son propos. « Mes chers compatriotes, nous aurons des jours meilleurs et nous retrouverons les jours heureux », a-t-il affirmé à la fin de son allocution, en référence au titre du programme du Conseil national de la résistance (CNR), adopté dans la clandestinité, le 15 mars 1944.
Ellen Salvi
• MEDIAPART. 14 AVRIL 2020 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/150420/crise-sanitaire-macron-en-fauteur-de-troubles?onglet=full
Masques pour tous : l’exécutif navigue à vue
einant à renflouer ses stocks, le gouvernement se retranche derrière le « consensus scientifique » pour repousser l’obligation de porter un masque dans l’espace public. Cette mesure paraît pourtant inéluctable.
L’argument ne passe plus. Il a beau être répété sur tous les tons, dans les médias ou à l’Assemblée nationale, il ne passe plus. Jeudi 9 avril, la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye s’est de nouveau attiré les foudres de l’opposition en déclarant sur France Info qu’il n’existait aucune « doctrine en France tendant à dire qu’il faut porter le masque en population générale ». Le gouvernement prendra une éventuelle décision en la matière « dès lors que nous pourrons la bâtir sur un consensus scientifique », a-t-elle ajouté.
« Ce n’est pas le consensus scientifique qui manque, ce sont les masques ! Arrêtez de mentir aux Français ! Qu’attendez-vous pour planifier la production et la distribution ? », a questionné le député La France insoumise (LFI) Bastien Lachaud [18]. « Nous savons que la pénurie n’est pas de votre seul ressort, mais s’il vous plaît, cessez de nous prendre pour des abrutis. Est-ce si difficile de s’abstenir de mentir ? Nous ne demandons pas de miracle, juste le respect de notre intelligence », a également commenté le député européen Raphaël Glucksmann [19].
Deux jours plus tôt, au Palais-Bourbon, le ministre des solidarités et de la santé Olivier Véran expliquait déjà qu’il n’y avait « aucune décision de recommandation du port du masque, ni obligatoire, ni recommandé, en tout cas à ce stade, pour la population générale ». En tout cas à ce stade. Toute la stratégie de l’exécutif, qui navigue au jour le jour, au gré des inconnues qui se présentent à lui, est résumée dans cette formulation. « On adapte la doctrine en fonction de la disponibilité des stocks, reconnaît un conseiller. Il n’y a rien d’autre à comprendre. »
Peinant à renflouer les stocks en question pour fournir du matériel aux soignants [20], le pouvoir se retranche depuis le début de la crise sur les divergences scientifiques afin de justifier ses propres tâtonnements. Les ministres citent ainsi régulièrement les préconisations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui, selon les dernières déclarations de Sibeth Ndiaye, « ne recommande pas le port du masque dans la population en général ». En vérité, il s’agit là d’une conclusion un peu courte tirée des avis rendus par l’agence internationale.
Certes, comme l’a récemment reconnu le directeur général de l’institution, le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus, « il n’y a pas de réponse binaire, pas de solution miracle ». Pour autant, « le port d’un masque médical est l’une des mesures de prévention qui peut limiter la propagation de certaines maladies respiratoires virales, dont le Covid-19 », peut-on lire dans cette notice de l’OMS, datée du 6 avril [21]. Au mois de février, l’agence internationale indiquait effectivement qu’il n’était pas nécessaire que les personnes asymptomatiques en portent. Mais elle précisait alors que cette recommandation visait notamment à préserver le marché.
Voilà des années que les scientifiques insistent sur le fait que le port du masque n’est pas un gage en soi [22]. Il faut savoir l’utiliser correctement et associer cette utilisation à « d’autres mesures d’ordre général », dont les fameux « gestes barrières ». Mais jamais ils n’ont dit que les masques ne « ne servaient à rien », comme l’a souvent martelé l’exécutif pour éviter de parler de pénurie. « Il aurait sans doute été plus simple d’expliquer qu’il n’y a pas assez de masques pour 68 millions de personnes, souffle un conseiller ministériel. Aujourd’hui, ça paraît évident que cette communication était absurde. »
D’autant plus évident que les enquêtes d’opinion, sur lesquelles le pouvoir garde les yeux rivés, l’attestent. « Ils sont très inquiets par les derniers sondages qui disent qu’une grande majorité des Français pensent qu’ils ont menti sur le sujet », indique un autre membre de cabinet. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’Emmanuel Macron souhaite « reprendre la main » en s’exprimant lundi 13 avril au soir, dans une allocution que certains présentent comme « décisive ». Un exercice visant à clarifier la donne après des semaines de communication en zigzag, rythmées par un renouvellement du confinement tous les 15 jours.
Ce qui a été fait jusqu’ici par le président de la République n’a pas franchement aidé à la compréhension. Une rhétorique guerrière critiquée dans ses propres rangs, des déplacements jugés inutiles, des images catastrophiques d’un bain de foule en Seine-Saint-Denis, une visite surprise au professeur Didier Raoult, interprétée comme un blanc-seing donné à ses études sur l’hydroxychloroquine, qui suscitent de vives controverses au sein de la communauté scientifique… Et derrière cette « politique spectacle », pour reprendre les mots du président de la fédération des Médecins de France Jean-Paul Hamon, une seule question, toujours en suspens : comment envisager un début de déconfinement en l’absence de masques et de tests ?
La France a officiellement commandé 2 milliards de masques à la Chine, lesquels sont censés être livrés par « toute une série de vols qui vont s’échelonner d’ici la fin du mois de juin », a récemment indiqué le ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, sur BFMTV. À ces importations s’ajoute la production française que le chef de l’État avait promue le 31 mars, depuis l’usine Kolmi-Hopen, dans le Maine-et-Loire. Mais cela ne suffira pas pour l’ensemble de la population. « Si on considérait que 100 % des Français devaient porter un masque en en changeant toutes les quatre heures, cela nous ferait 248 millions de masques par jour. Sur cent jours, il faudrait 24 milliards de masques… », notait Olivier Véran, dès le 24 mars [23].
Dans son avis du 2 avril [24], le conseil scientifique, présidé par Jean-François Delfraissy, soulignait la nécessité de préparer, dans le cadre de la stratégie post-confinement, « la disponibilité des protections matérielles comme les gels hydroalcooliques et les masques à l’usage des personnels soignants, des personnes en situation d’exposition au virus en priorité, puis à l’ensemble de la population, comme en Asie ». Pour l’heure, cette disponibilité, s’agissant des masques FFP2 et chirurgicaux, est loin d’être acquise. On comprend dès lors pourquoi Édouard Philippe répète que « le déconfinement n’est pas pour demain ».
Faute de stocks et face à un marché international de plus en plus tendu, une autre option se profile : celle de l’utilisation de masques dits « alternatifs ». Actant la pénurie, l’Académie de médecine s’est prononcée en faveur du port obligatoire « d’un masque grand public anti-projection, fût-il de fabrication artisanale dans l’espace public », en période confinement et après [25]. Dans la foulée, le directeur général de la santé Jérôme Salomon a lui aussi « encouragé le grand public, s’il le souhaite, à porter des masques alternatifs ».
Ces propos ont laissé penser à un changement de doctrine du gouvernement, qui a été contraint de redresser le tir, alors que les tutoriels de confection artisanale fleurissaient sur Internet et que la mairie de Paris annonçait vouloir fournir deux millions de masques en tissu réutilisables à ses administrés. « C’était vraiment une phrase malheureuse… », regrette un conseiller. Pour le moment, l’exécutif s’en tient à l’avis rendu fin mars par la Société française des sciences de la stérilisation (SF2S) et la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H), selon lequel « il n’existe pas de preuve scientifique de l’efficacité des masques en tissu ». Les masques FFP2 et chirurgicaux sont les seuls dont il est aujourd’hui attesté qu’ils offrent une protection.
Le problème reste donc entier : il n’y en a pas assez pour tout le monde. Mais au lieu de le dire clairement, le pouvoir continue de s’enferrer dans une communication inaudible, qui agace même ses soutiens. « Le masque est un “geste barrière”, c’est du bon sens. Ne tergiversons pas », a fait valoir l’ancien ministre de l’écologie François de Rugy [26]. En masquant les difficultés qu’il rencontre pour obtenir du matériel de protection, le pouvoir ne fait pas qu’entretenir la confusion : il s’attire aussi les foudres des collectivités locales. Il y a quelques jours, ces dernières dénonçaient les réquisitions de leurs commandes personnelles, opérées par la préfecture du Grand Est, à même le tarmac de l’aéroport Bâle-Mulhouse.
« C’est un manque de responsabilité absolu de la part du gouvernement », s’était énervée, dans un communiqué, la présidente Les Républicains (LR) du département des Bouches-du-Rhône Martine Vassal, évoquant « un nouveau scandale d’État ». Assurant qu’il n’était pas question de lancer une « guerre des masques », le ministre de l’intérieur Christophe Castaner a convenu que « la méthode [avait] été mauvaise ». « Il n’y a pas eu de réquisition », a-t-il toutefois juré devant le Sénat, en parlant de « droit de tirage prioritaire ». Cette dénégation n’a pas tardé à être mise à mal par L’Est Républicain [27], qui a publié un arrêté du préfet du Haut-Rhin « portant réquisition de masques chirurgicaux dans le cadre de la gestion du Covid-19 ».
En Île-de-France, une partie des millions de masques commandés par la région a été donnée à l’Agence régionale de santé (ARS) pour qu’elle se charge de la distribution, notamment dans les Ehpad, qui rencontrent toujours de grandes difficultés [28]. « L’État veut tout gérer tout seul, mais ils sont clairement embêtés, confie un cadre de la collectivité dirigée par Valérie Pécresse. Ils ne calculent pas les régions, c’est tout le problème du pouvoir de Macron depuis le début du quinquennat d’ailleurs. » Jeudi 9 avril, une réunion s’est tout de même tenue entre l’exécutif et les dirigeants d’associations d’élus pour calmer les esprits. Plusieurs participants ont souligné les difficultés de coopération avec les ARS, qualifiées de « baronnies », rapporte Le Monde [29].
Côté appareil d’État, certains confirment que la « centralisation » des décisions et la « compétition » qui s’est engagée entre les différents services ralentissent les procédures. Ils décrivent « une instabilité totale du dispositif » de crise, des gens qui partent, des gens qui arrivent, des « bagarres » pour assurer le pilotage de tel ou tel dossier. Sans compter l’énergie folle dépensée par les uns et les autres pour préparer les argumentaires dans la perspective des futures commissions d’enquête. « Ils savent qu’on va déjà leur reprocher beaucoup, ils ne veulent pas en rajouter, explique un conseiller. Ils sont terrorisés par le code des marchés publics. »
Parmi les soutiens d’Emmanuel Macron, d’autres en profitent pour pointer une nouvelle fois les lourdeurs de la technostructure et la nécessité d’un « reset » à l’issue de la pandémie – oubliant encore et toujours que le président de la République en est le pur produit. « Des commandes rapides et efficaces ? Ils ne savent pas faire », tranche l’un d’entre eux, visant « les technos de Matignon ». Dans les cabinets ministériels, les plus optimistes préfèrent souligner qu’« on est désormais dans une situation moins délicate qu’au début » de la crise. Moins délicate peut-être, mais délicate quand même.
Ellen Salvi
• MEDIAPART. 10 AVRIL 2020 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/100420/masques-pour-tous-l-executif-navigue-vue
Plusieurs contaminations frappent la cellule anti-Covid de l’Etat
Six membres de la Direction de la sécurité civile du ministère de l’intérieur, notamment son patron Alain Thirion, ont été testés positifs au coronavirus. L’affaire embarrasse la place Beauvau : ils étaient membres de la cellule interministérielle de crise qui pilote la lutte contre la pandémie.
Aéroport du Bourget, mercredi matin. Un avion de la sécurité civile débarque un détachement issu de plusieurs unités d’intervention des marins-pompiers de Marseille, du SDIS des Bouches-du-Rhône et d’une unité de pompiers militaires du Var, dépêchés d’urgence à Paris. Leur mission : décontaminer les locaux et tester des agents de leur direction centrale, la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), qui dépend du ministère de l’intérieur. Six membres de la sécurité civile ont été testés positifs, selon plusieurs sources.
Cette opération spectaculaire est le dernier épisode en date d’une affaire embarrassante pour la place Beauvau. Car comme l’a révélé jeudi le quotidien Vosges Matin, plusieurs personnels de la DGSCGC contaminés, dont son patron Alain Thirion, étaient aussi membres de la Cellule interministérielle de crise (CIC), l’organe central de l’État chargé de lutter contre le Covid-19, qui dépend du premier ministre mais dont les locaux sont situés place Beauvau, au ministère de l’intérieur.
Il y a donc un risque de dissémination de l’épidémie parmi des personnages clés de l’appareil d’État. La CIC est fréquentée par environ 70 personnes issues de différents ministères (qui ne sont pas forcément tous physiquement présents), mais aussi par le sommet de l’exécutif. Comme l’atteste une série de photos prises par l’AFP le 20 mars (ci-dessous), étaient réunis ce jour-là dans les locaux de la CIC le président Emmanuel Macron, les ministres Olivier Véran (Santé), Christophe Castaner et Laurent Nunez (Intérieur), ainsi que le directeur général de la santé Jérôme Salomon.
Interrogé par Mediapart, le ministère de l’intérieur a refusé de confirmer que des membres de la CIC ont été testés positifs. Beauvau nous a répondu que « 6 personnels sur les 72 » de la CIC ont été amenés à « se mettre en retrait » pour des « raisons médicales », et que ceux qui avaient « des symptômes pouvant s’apparenter à un Covid (fièvre notamment) ont été systématiquement isolés et renvoyés à leur domicile ».
Plusieurs témoignages recueillis par Mediapart mettent en cause le patron de la DGSC, Alain Thirion, qui aurait fait preuve d’une certaine légèreté dans l’application des « gestes barrières » à la CIC. Notre enquête met également en évidence le lancement tardif de l’opération de tests et de décontamination, mais aussi des imperfections dans la gestion sanitaire au tout début de la mise en place de la cellule de crise, qui ont été toutefois corrigées dans les jours suivants.
La pandémie de coronavirus a d’abord été gérée, à partir de la fin janvier, par la cellule de crise du ministère de la santé, qui ne s’occupe que des aspects sanitaires. Il a fallu attendre le 17 mars, le lendemain de l’annonce du confinement, pour qu’Édouard Philippe active la Cellule interministérielle de crise (CIC), un dispositif plus large utilisé en cas de pandémies mais aussi d’attentats.
La CIC, chargée de superviser tous les aspects de la crise du coronavirus, est dirigée par le préfet Thomas Degos. Elle rassemble des hauts fonctionnaires des différents ministères, dont les pontes de la police, de la gendarmerie et des pompiers.
Comme l’a révélé Valeurs actuelles, un premier membre de la CIC, un militaire haut gradé de la sécurité civile, a été testé positif « quelques jours » avant le 25 mars. Nous avons pu avoir confirmation qu’il s’agit d’un des plus hauts dirigeants du COGIP, la cellule de crise nationale des pompiers. Mais ce colonel « a été détecté très tôt et a été confiné », ce qui a limité les risques de contamination, selon une source proche de la sécurité civile au ministère de l’intérieur.
Les critiques se concentrent sur le second cas confirmé : le patron de la sécurité civile Alain Thirion, qui suscite, selon le témoignage de plusieurs sources, « une gêne certaine place Beauvau ».
Nommé en juillet 2019, ce préfet sans expérience opérationnelle chez les pompiers, peu apprécié de ses troupes selon plusieurs sources, est par ailleurs fragilisé par une enquête préliminaire pour harcèlement moral et sexuel ouverte au début de l’année 2020 à la suite d’une plainte déposée par l’ancienne sous-préfète de Calvi.
La première alerte remonte à trois semaines. Alain Thirion tombe malade, on lui diagnostique une grippe. Ce qui ne l’a pas empêché, après quelques jours d’arrêt, de revenir travailler. C’est seulement après qu’il a été testé positif au Covid, la semaine dernière, qu’il est finalement rentré chez lui, apparemment à la suite de demandes insistantes de membres de la CIC. « Le préfet Thirion voulait être très présent pour ne pas laisser la crise lui échapper… Dans son esprit, il n’était pas question qu’il ne la gère pas. Le fait d’être malade, pour lui, ce n’était pas possible », regrette une source interne au ministère de l’intérieur.
Plusieurs interlocuteurs nous ont indiqué que le préfet Thirion n’aurait pas respecté avec toute la rigueur nécessaire la mise en œuvre des « gestes barrières ». « Alors qu’il était malade, il se tenait trop près des gens, prenait les crayons d’autres personnes, toussait…, indique la source précitée proche de la sécurité civile au ministère de l’intérieur. À la CIC, les fonctionnaires présents travaillent à la pérennité des soins. On est au cœur du réacteur. Certains se sont même auto-isolés de leurs propres familles pour ne pas faire courir de risque. Et là un préfet ne respecte pas les règles qui s’appliquent à tous. »
Contacté via son courriel professionnel, Alain Thirion n’a pas pas répondu. Le porte-parole de la sécurité civile nous a renvoyés vers le service central de communication du ministère de l’intérieur, qui a refusé de répondre au sujet d’Alain Thirion.
Depuis, au moins cinq autres personnes de la Sécurité civile œuvrant au sein de la CIC ont été testées positives. On ignore à ce stade si des fonctionnaires ou hommes politiques d’autres ministères ont été atteints.
« Les cas signalés au sein de l’état-major de la DGSI pourraient avoir un lien direct » avec la contamination au sein de la CIC, écrit Vosges Matin, en référence à un encadré du Canard enchaîné racontant mercredi 15 avril que le contre-espionnage français « est gagné par la pandémie », plusieurs membres de son état-major ayant été testés positifs. Contactée par Mediapart, la DGSI ne commente pas l’éventualité d’un lien avec la CIC, indiquant qu’il y a seulement eu « quelques cadres malades, mais ils sont tous revenus à ce jour (sans aucune exception) ».
Après la contamination de la cellule interministérielle de crise, une opération de décontamination menée mercredi par des unités d’intervention des pompiers dans des locaux de la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) et du ministère des Armées. © Document Mediapart
Par ailleurs, selon nos informations, les pompiers du Var et des Bouches-du-Rhône envoyés mercredi à Paris ont décontaminé des locaux de la sécurité civile, mais aussi d’autres locaux du ministère des Armées. Cette opération était-elle une conséquence des contaminations constatées à la CIC, où les militaires sont représentés ? Contacté, le ministère des Armées n’a pas répondu.
Une source proche de la CIC s’attend à découvrir, une fois le délai d’incubation passé, de nouveaux cas parmi ses membres dans les prochains jours. « La contamination au sein de la CIC n’est pas massive, car les gens qui y travaillent prennent beaucoup de précautions », affirme au contraire un médecin proche du dossier.
Contacté par Mediapart au sujet du risque de contamination des agents de l’État, mais aussi des ministres qui se sont rendus à la CIC, le ministère de l’intérieur se montre rassurant, car la CIC « a intégré dans son mode opératoire le risque de transmission du virus au sein de ses différentes entités ».
Le ministère précise que des mesures très strictes d’application des gestes barrières ont été mises en œuvre et sont « scrupuleusement respectées » : gel hydroalcoolique à disposition, lavage des mains, distanciation sociale, notamment. Sans oublier l’installation de protections en Plexiglas et la désinfection des locaux tous les soirs.
Un haut fonctionnaire de la place Beauvau confirme : « Différents services du ministère de l’intérieur participaient à ces réunions, certains étaient présents, d’autres en visio. Pour ma part, j’y ai assisté en visio à quelques reprises. Pour ceux qui sont physiquement là, les distances entre participants sont très généreuses. »
Selon nos informations, il y a toutefois eu une période problématique au tout début de la mise en place de la cellule le 17 mars, dans les salles sécurisées du complexe interministériel de crise, situées au sous-sol du ministère de l’intérieur, place Beauvau.
« Dans la semaine qui a suivi l’ouverture de la CIC, plusieurs médecins du ministère de l’intérieur ont constaté que la situation n’était pas appropriée vu la contagiosité du virus et la petite taille des locaux, et ont demandé que des mesures correctives soient prises. Ces médecins ont dit qu’il fallait agir parce que ça pouvait mal se terminer, et la situation a été remise au carré rapidement », raconte à Mediapart un médecin proche du dossier.
Il a toutefois fallu attendre quelques jours pour que les mesures correctives soient mises en place, dont l’installation des cloisons en Plexiglas. « Ces mesures n’étant pas forcément suffisantes, il a été décidé ensuite, sur les conseils des médecins, de déménager la cellule de crise et d’installer les gens au rez-de-chaussée dans des salles beaucoup plus grandes, où ils peuvent travailler à bonne distance les uns des autres », poursuit cette source.
Un dernier point pose question : alors qu’un haut gradé de la sécurité civile a été diagnostiqué fin mars et son patron Alain Thirion la semaine dernière, pourquoi les pompiers chargés d’effectuer des tests et de désinfecter les locaux de la DGSCGC n’ont-ils été dépêchés à Paris que mercredi 17 avril pour effectuer ces missions ? Interrogé sur ce point, le ministère de l’intérieur n’a pas répondu.
Le cabinet du premier ministre, qui a la tutelle de la CIC, nous a répondu que la plupart de nos questions « vont à l’encontre du secret médical auquel chaque individu a droit », et que Matignon laissait « les ministères concernés répondre » à nos « questions plus générales ». « Quant au premier ministre, il a toujours dit qu’il serait transparent sur sa situation et que s’il était positif au Covid-19, il le dirait. Il en va de même pour tous les membres du gouvernement. »
YANN PHILIPPIN ET MATTHIEU SUC
• MEDIAPART. 17 AVRIL 2020 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/170420/plusieurs-contaminations-frappent-la-cellule-anti-covid-de-l-etat