Dans ce post vous trouverez aussi une analyse de la révolution citoyenne en Irak [non reproduit ici.]. Oui, j’admets que l’essentiel de mon temps disponible en dehors de mes tâches de Président de groupe parlementaire est fait d’un suivi passionné des évènements qui ont cours dans les révolutions citoyennes qui agitent le monde actuellement. Je veux y apprendre tout ce qui se peut, comme préparation aux évènements qui ne tarderont pas à concerner toute la planète politique. Ici, à Paris, la hausse de 13% du prix de ticket de métro n’a pas donné le résultat qu’il a produit à Santiago du Chili. Là-bas, partant de cette revendication, on est arrivé à la tenue d’un référendum en vue de la convocation d’une Assemblée Constituante. Je dois dire que cela me laisse rêveur. Mais le Macron local, le président Pinera aura fait quinze morts avant de céder.
Pendant ce temps, le peuple français est soumis à un débat éreintant sur le port du voile, le droit de signer une pétition et une foule de diversions morbides de cette sorte. Toute la classe médiatique, à des millions de kilomètres des préoccupations simples du commun des gens, semble vouée à exciter tout le monde sur des sujets qui peineraient à exister sans cette incitation morbide. Pendant ce temps, plusieurs millions de personnes basculent dans la pauvreté en une nuit pour cause de réforme de l’indemnisation du chômage, par exemple.
Bref : qu’est-ce que l’actualité ? Une production de l’industrie unifiée de l’information et du spectacle. Le fossé qui se creuse de cette façon aggrave le mépris général de la population pour tous les lieux de pouvoirs où une caste bavarde et vaine semble s’être regroupée peureusement pour parler en rond. Pour ce qui me concerne, un sondage me plaçant pourtant fort loin derrière le couple Macron/Le Pen aura suffi à réarmer le canon à dénigrement médiatique qui s’était tu quelques temps, c’est-à-dire environ quinze jours. Ai-je dit que Le Monde Diplomatique du mois de novembre avait raison de parler d’« annexion » à propos de l’Allemagne de l’Est ? Cela signifierait que j’approuvais l’ancien régime de ce pays. Le degré zéro de la pensée. Que j’ai déjà écrit et commenté cette idée il y a cinq ans dans un livre, Le Hareng de Bismarck, n’affecte pas la mémoire de poisson rouge des « commentateurs ».
Le niveau médiatique s’est effondré depuis quelque temps déjà. À présent, la scène médiatique est le radeau de la Méduse. Plus un jour sans une provocation grossière ou des propos indignes contre les femmes, contre les musulmans, contre les grévistes, les cheminots, les syndicats, les retraites, tout et tout le monde. La haine et la peur comme lien social sont partout. Un journaliste bulot, accroché à sa rente à Bruxelles depuis quinze ans, se déchaîne contre l’usage du mot « annexion ». Puis il doit avouer qu’il n’a pas lu l’article qu’il condamne. Un comble. Cohn-Bendit me traite de « con » à l’antenne de France Inter sous les yeux amusés de deux répondeurs automatiques du système. Encore un effet de la mémoire de poisson rouge : il avait déjà fait ce numéro il y a cinq ans mais cette fois-là il condamnait l’usage du mot « boche » dans mon livre. Pourtant ce mot ne s’y trouvait pas, évidemment. De toute façon il est invité pour faire ce type de numéro. Les deux calembredaines officielles se délectaient. Mais – quelle horrible surprise – le grand esprit d’Outre-Rhin leur infligea ensuite le ridicule de les injurier eux aussi. Trente ans après la chute du mur de Berlin, voilà tout ce que la France aura comme échange sur un évènement aussi considérable qui a redessiné la carte de l’Europe et changé le destin de notre pays. En France on ne dialogue plus, on diabolise en rond. On ne dira pas « je ne suis pas d’accord, car » mais « il dit ça parce qu’il est dangereux ». Le message ne compte plus mais la tenue du messager devient le sujet du « débat ». La diabolisation est devenue le mode d’échange ordinaire.
L’exemple le plus grossier nous a été donné à propos de l’appel pour dire « stop à l’islamophobie ». L’usage d’un mot, « islamophobie », suffirait à refuser son soutien à des millions de gens au moment où leur persécution morale, psychologique et physique va jusqu’à un attentat devant une mosquée. J’ai beaucoup réfléchi avant de signer ce texte. D’autres des députés insoumis avait déjà signé quasi instantanément. J’ai vu qu’en dehors de cette initiative, dont nous avons été informés par Arié Halimi de la LDH, il n’y avait rien. Aucune initiative, aucune proposition. Aucun geste. Notez aussi : si je n’avais pas posé la question devant l’Assemblée nationale il n’y aurait eu aucun écho de cet attentat avant le huitième orateur de cette séance.
Pas un mot du président de l’Assemblée. Le président de la République n’a pas été à la mosquée, ni saluer les familles des victimes. Comment comprendre un tel niveau de dédain et d’insensibilité ? Comment comprendre un tel de refus d’assumer les devoirs de sa charge au service de l’unité du pays et du régime laïque de notre nation ? Et combien parmi nos nouveaux censeurs n’ont pas eu un mot de protestation quand dix députés insoumis en écharpe ont été expulsé par la « ligue de défense juive » de la marche contre l’assassinat de Mireille Knoll. À présent ils postillonnent d’indignation parce que tel ou tel signataire disqualifierait le message du texte signé.
Pour ma part je signe un texte pour ce qu’il y a dans le texte et pas en raison de ceux dont je découvre ensuite qu’ils l’ont également signé. Sinon je n’aurai jamais signé de texte dans le passé avec Bernard-Henri Levy ni avec le CRIF car nous sommes en désaccord sur à peu près tout ce qui a mon avis défini la France comme une République indépendante. Ni avec Dupont-Aignan contre la privatisation des autoroutes. Ni avec Bruneau Retailleau contre l’invasion du Rojava. Mais il faut savoir faire bloc quand l’essentiel est en jeu. Et l’essentiel est en jeu dans ce pays en ce moment à cause des apprentis sorciers qui veulent spéculer sur la haine des musulmans ou la stigmatisation permanente à leur égard. Il s’agit de millions de personnes, il s’agit de la deuxième religion du pays.
Pourtant, à mesure que les heures passent, j’observe qu’en partant d’un désaccord sur un mot, on en viendrait en réalité à refuser aux musulmans le droit d’être défendus par des gens qui ne sont pas musulmans et qui veulent faire cesser l’ambiance actuelle contre eux. Je ne suis pas juif mais je n’offrirai jamais mon silence à ceux qui voudraient les persécuter. Et cela quand bien même les représentants de cette « communauté » m’insultent et me molestent à toutes occasions. De même pour les chrétiens. En cela, je suis plus français parce que plus républicain que tous les chefs de clans, religieux ou non, qui oublient comment notre premier devoir est de faire peuple ensemble, et cela n’est possible qu’à égalité de droit et de respect. Ce qui est en cause c’est donc l’unité des Français, croyants ou non. Ce qui est en cause c’est l’autorité des défenseurs intransigeants de la laïcité que nous sommes : nous devons donner la preuve que nous défendons la liberté de tous les cultes. Même quand ce n’est pas nous qui écrivons les textes avec nos mots et nos nuances.
Diaboliser une initiative pour discréditer son objectif ?
En dehors de cette initiative pour une marche le 10 novembre, quoi d’autre dans le paysage ? L’alternative au texte d’appel à manifester contre la haine des musulmans est la banalisation du silence à propos de la haine des musulmans. Certains ont fait croire à une vague antisémite des gilets jaunes en février dernier en se moquant bien de la réalité de ce qu’ils dénonçaient. Des croix gammées avaient été taguées sur des murs. Le Parisien avait titré sur toute la une : « Ça suffit ». Des rassemblements furent convoquées dans tout le pays, le président en personne s’y rendit. Il passa même auparavant rendre visite à un monument du martyr juif à Paris. Quelques-uns de nos actuels imprécateurs exaltés nous accusèrent lâchement d’être « ambigus » face à l’antisémitisme. Partout dans les rassemblements nous eûmes à subir des grossièretés impunies. Puis on découvrit qu’une seule personne, sans aucun rapport avec les gilets jaunes, avait fait tous les tags incriminés. Ni excuses ni rétropédalage. Le ridicule n’a pas rendu plus vigilant depuis.
En tous cas, rien de toute cette capacité de mobilisation ne s’est manifesté quand il s’est agi des musulmans. Rien. Alors on fait avec ce qu’on a. À mes yeux, les musulmans valent autant que les autres. Ils doivent savoir que la France républicaine, ce n’est pas seulement ceux qui leur tournent le dos aussi grossièrement dans le malheur. Ils doivent savoir que les défenseurs intransigeants de la laïcité que nous sommes garantissent la liberté de leur culte comme celui de tous les autres. Ce qui n’est pas le cas de bien d’autres bonnes âmes qui donnent des leçons mais courent se faire voir à Saint-Sulpice, promeuvent les messes du 11 novembre, les processions de rue ou courent les synagogues kippa sur la tête à tout propos et supportent sans broncher les pires injures et stupidités proférées contre les musulmans.
Je m’adresse à vous, mes amis les plus proches que la campagne de dénigrement de cet appel fait hésiter. Réalisez qu’on ne doit pas accepter de faire des musulmans une catégorie qu’on ne pourrait défendre qu’en combinaison contre la lèpre ! Certes, « islamophobe » est un mot que nous n’aimons pas. Certes nous préférons combattre la « haine des musulmans ». Mais la question posée aujourd’hui n’est pas du tout celle du droit ou non de critiquer une religion. Ce droit n’est pas mis en cause. Le mot aujourd’hui désigne autre chose dans l’esprit public et dans la réalité. Il s’agit de combattre une attitude de haine aveuglée poussant aux mauvais traitements et au crime contre les croyants réels ou supposés d’une religion. C’est ce que dit expressément le texte que j’ai signé à propos de l’islamophobie : « Quel que soit le nom qu’on lui donne, il ne s’agit plus ici de débats d’idées ou de critique des religions mais d’une forme de racisme explicite qui vise des personnes en raison de leur foi ». Les lois liberticides dont parle aussi ce texte ne sont pas nommées. C’est dommage. Cela permettrait de clouer le bec à ceux qui semblent vouloir oublier le contenu récent des lois sur l’état d’urgence qui permettent tous les abus ou celle du Sénat contre le seul voile des parents accompagnatrices bénévoles de sorties scolaires.
Me faire donner des leçons de laïcité et d’intransigeance a l’égard des intrusions du religieux dans la politique est un moment savoureux. Car je n’ai pas oublié les indignations sélectives passées et même récentes des mêmes quand je ne voulais rien céder aux autres religions. Ceux-là ne savent pas que la laïcité n’est pas le fouet des maîtres mais l’appel des opprimés qui veulent croire chacun comme bon leur semble qu’un autre monde sera moins cruel que celui-ci. Et si nous nous chargeons plutôt de changer celui-ci ici et maintenant, ne perdons pas de vue de quoi nous parlent les croyants du peuple. Quand Marx parle de « l’opium du peuple » à propos de la religion, on gagne à lire davantage que les premiers deux-cent quatre-vingt signes, car à l’époque on ne pensait pas au format du tweet. Il explique : « La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit des conditions sociales d’où l’esprit est exclu ». Depuis cette vue, après avoir vaincu chez nous les manigances de l’Église catholique contre la République jusqu’en 1920, nous avons vu changer bien des choses. Nous avons appris à connaître avec la « théologie de la Libération » en Amérique latine comment la religion pouvait aussi ne pas être qu’une drogue qui annule la volonté d’agir pour changer le monde mais parfois l’exact contraire. Je ne dis tout cela et ne déborde de mon sujet que pour donner à respirer dans une querelle pour le reste bien étouffante. Pour le reste je persiste et signe au nom du texte réel et du contexte cruel.
Je crois utile de publier ici le texte réel que j’ai signé et je demande en conscience à mes amis de toujours ce qu’ils trouvent vraiment à redire à ce qu’ils lisent !
Jean-Luc Mélenchon, Jeudi 7 novembre 2019
« Depuis bien trop longtemps, les musulmanes et les musulmans en France sont la cible de discours venant parfois de « responsables » politiques, d’invectives et de polémiques relayés par certains médias, participant ainsi à leur stigmatisation grandissante.
Depuis des années, la dignité des musulmanes et des musulmans est jetée en pâture, désignée à la vindicte des groupes les plus racistes qui occupent désormais l’espace politique et médiatique français, sans que soit prise la mesure de la gravité de la situation.
Depuis des années, les actes qui les visent s’intensifient : qu’il s’agisse de discriminations, de projets ou de lois liberticides, d’agressions physiques de femmes portant le foulard, d’attaques contre des mosquées ou des imams, allant même jusqu’à la tentative de meurtre.
L’attentat contre la mosquée de Bayonne le 28 octobre en est la manifestation la plus récente et les services de l’État savent que la menace terroriste contre les lieux de cultes musulmans est grande.
Il a fallu que cette violence jaillisse aux yeux de tous, à travers l’humiliation d’une maman et de son enfant par un élu RN au conseil général de Bourgogne Franche Comté, pour que tout le monde réalise ce que des associations, des universitaires, des personnalités, des syndicats, militants et au-delà, des habitants, dénoncent à juste titre depuis des années :
L’islamophobie en France est une réalité. Quel que soit le nom qu’on lui donne, il ne s’agit plus ici de débats d’idées ou de critique des religions mais d’une forme de racisme explicite qui vise des personnes en raison de leur foi. Il faut aujourd’hui s’unir et se donner les moyens de la combattre, afin que plus jamais, les musulmanes et les musulmans ne puissent faire l’objet de tels traitements.
Puisque les discours et déclarations d’intention ne suffisent plus, parce que l’heure est grave, le 10 novembre à Paris nous marcherons pour dire :
– STOP aux discours racistes qui se déversent sur nos écrans à longueur de journée, dans l’indifférence générale et le silence complice des institutions étatiques chargées de lutter contre le racisme ;
– STOP aux discriminations qui visent des femmes portant le foulard, provoquant leur exclusion progressive de toutes les sphères de la société ;
– STOP aux violences et aux agressions contre les musulmanes et les musulmans, qui se retrouvent progressivement déshumanisés et stigmatisés, faisant d’eux des terroristes potentiels ou des ennemis de l’intérieur ;
– STOP aux délations abusives jusqu’au plus haut niveau de l’État contre des musulmans dont le seul tort serait l’appartenance réelle ou supposée à une religion ;
– STOP à ces dispositifs de surveillance de masse qui conduisent à une criminalisation pure et simple de la pratique religieuse : les conséquences, notamment pour des salariés licenciés et des familles déstabilisées sont désastreuses et ne peuvent plus être tolérées. Cette criminalisation se fait au détriment des libertés fondamentales et des principes les plus élémentaires d’égalité censés guider notre pays.
Nous, musulmans ou non, disons STOP à l’islamophobie et nous serons nombreux pour le dire ensemble le 10 novembre prochain à Paris.
Nous appelons toutes les organisations, toutes les associations, tous les collectifs, toutes les fédérations de parents d’élèves, tous les partis politiques, toutes les personnalités, tous les médias, toutes les personnes solidaires à se joindre à cet appel solennel et à répondre présent à la marche du 10 novembre prochain.
Il en va des libertés fondamentales de tous. Il en va de la dignité et de l’intégrité de millions de concitoyens. Il en va de notre unité à tous, contre le racisme sous toutes ses formes qui, aujourd’hui, menace une nouvelle fois la France. »