Femmes et islam - Leur libération est notre libération
En lisant l’article de Christine Delphy et d’autres féministes demandant l’abrogation de la loi sur le voile de 2004 [reproduit ci-dessous], j’ai cru voir s’ouvrir une faille dans la dimension temporelle de l’univers...
« Laissons les filles tranquilles ! Laissons-les réfléchir et discuter ensemble des voies et moyens de leur propre libération », demandent-elles. Mais de qui parlent-elles ?
Il y a onze ans [reproduit ci-dessous], avec Anne Zelensky, nous demandions, au nom de l’égalité des sexes, une loi d’interdiction des signes religieux sexistes à l’école.
Or il était une fois, dans une famille catholique, dont les ancêtres aussi loin que l’on puisse remonter dans l’arbre généalogique étaient tous nés dans l’Europe chrétienne, plusieurs jeunes filles tout à fait libérées, tranquilles et bonnes élèves. À quinze ans, elles avaient la pilule avec la bénédiction de maman et papa.
Aujourd’hui, deux d’entre elles se sont voilées, par leur seule propre décision. Elles vivent dans la crainte d’Allah, la peur d’aller en enfer à cause de leurs péchés passés, et mènent par ailleurs une vie des plus rangée et tranquille.
Pourquoi ? Parce qu’elles ne se sentaient pas libres mais salies. Est-on libre quand, à chaque coin de rue, un distributeur vous rappelle la norme de la soumission aux besoins sexuels pressants de la gent masculine ? L’islam seul est venu à leur rencontre, offrant un semblant de dignité, une lueur d’idéal à la hauteur des aspirations que peuvent avoir les adolescent-e-s. Lueur trompeuse, ô combien, mais seule présente.
Bienvenue dans l’Europe du temps présent. Il n’est plus temps de penser : « Leur libération et la nôtre » : aujourd’hui, leur libération est – ou ne sera pas - la nôtre.
Nous, peuples d’Europe de culture chrétienne (notamment), avons décidé de faire venir des populations de culture musulmane. Nous connaissions parfaitement, surtout par les orientalistes et arabisants français, la pensée islamique et ses divergences avec nos philosophies. Les crimes commis ces dernières années en Europe, au nom de l’islam, étaient prévisibles : ils étaient tous prévisibles ! … Mais nous n’avons pas voulu le savoir, parce que nous voulions l’arrivée de ces populations, par pure cupidité.
Alors la mauvaise nouvelle est que nous vivons aujourd’hui avec les problèmes des sociétés sous loi musulmane. Mais la bonne nouvelle est que nous sommes maintenant plus de « potes » à pouvoir y réfléchir, ensemble. En joignant nos efforts et expériences, nous avons donc plus de chances de trouver des issues constructives, valables tant ici que dans les pays de l’Organisation de la Conférence Islamique.
Dès lors, combien apparaît ironique l’appel de Delphy et de ses amies à « [les] laisser réfléchir ! », quel goût amer il laisse… Là encore, le réveil n’a visiblement pas sonné…
Car voilà des siècles que des femmes et des hommes, en terre conquise par l’islam, réfléchissent à leur libération ! Là-bas, comme ici, des juristes hommes ont tenté toutes les lectures possibles pour adoucir la loi pour les femmes, mais le texte sacré restait le texte…
« Laissez les réfléchir à leur libération ! » : mais ici on les fait taire, celles et ceux qui y réfléchissent ! Des cours de justice les condamnent pour incitation à la haine (cf le procès contre Djamila Benhabib). Des féministes les décrivent, avec des arguments du dernier machisme, comme « dissidentes incapables de nuances », critiquant abusivement l’islam lui-même « parce qu’elle a subi l’excision » (cf les propos tenus contre Ayaan Hirsi Ali en 2008). Ou bien on laisse tomber dans un silence assourdissant le livre d’un jeune palestinien « blasphémateur », qui plaide pour la libération, sa libération, celle des femmes, Waleed Al-Husseini [1]. Silence encore autour des écrits de Nonie Darwish, Zohra Nedaamal ...
Nous partageons en partie, dans notre groupe, le CERF, l’amertume de Christine Delphy et ses amies. Certes, la loi de 2004 a libéré des très jeunes filles du voile : les parents musulmans ont respecté la loi et ne les ont pas pour autant retirées de l’école. Mais oui, Delphy a raison : cette loi de 2004 a fait peser la défense de l’égalité/laïcité principalement sur les femmes voilées. Oui, elles sont quelques fois agressées physiquement, alors que, curieusement, on n’a jamais entendu qu’un homme en tenue visiblement islamique l’ait jamais été…
Mais la conclusion de Christine Delphy est fausse : ce n’est pas la loi de 2004 qu’il faut abolir, c’est la liberté d’exprimer ses réflexions qu’il faut reconquérir !
En réalité, cette loi comme celle sur la burqa ont été un simulacre de lutte pour la laïcité, un prétexte pour ne pas la défendre réellement. Le voile est le symptôme, l’effet de la conception de la femme selon Mahomet, et jamais libération n’a eu lieu sans (prendre la) liberté de critiquer les normes oppressives.
La vraie laïcité, Christine Delphy a encore raison ici, exige moins la dissimulation de la religion ou de l’opinion religieuse ou politico-religieuse que la liberté absolue de réfléchir et de débattre de ces opinions-là, sans être accusé faussement de diffamation des croyant-e-s ou de haine envers eux et elles.
Or, d’étude critique sérieuse sur l’islam, publiée dans les grands médias, nos dirigeant-e-s n’en voulaient à aucun prix ! Diantre, on ne va tout de même pas se brouiller avec les États de l’OCI et la finance islamique ! Une petite loi cache-misère pour vilipender le symptôme à la rigueur...
Mais pour compenser cette hardiesse, il conviendra de faire marteler dans les grands médias que « le vrai islam » doit rester hors de toute critique. Il faudra asséner un dogme « républicain » selon lequel seul un « islamisme », une « dérive », une « interprétation fausse » de l’islam, mériterait la critique. Il faudra que toute contestation de ce dogme, aussi érudite et sérieuse fut-elle, soit stigmatisée comme relent puant du racisme le plus immonde. Nos dirigeant-e-s n’ont de cesse d’honorer et de décorer les nouveaux accusateurs et accusatrices publiques, féministes comprises, qui harcèlent celles qui osent « réfléchir à leur propre libération » en remettant en cause le verbe sacré. La loi de la cupidité encore.
Nous approuvons totalement les propos de Mimouna Hadjam [2], la présidente de l’association féministes de la Courneuve, Africa 93 : « Je ne suis pas contre les femmes voilées, je suis contre le voile, je ne suis pas contre les musulmans, je veux avoir le droit de critiquer l’islam et les autres religions, je ne suis pas contre les prostituées, je suis contre le système prostitueur ».
Que le patriarcat soit celui de Rome, de Freud ou de Mahomet, « Nous » voulons le droit de critiquer tous textes idéologiques normatifs qui portent atteinte aux droits des femmes, y compris les textes religieux.
12 avril 2015
Anne Vigerie, militante féministe du Cercle d’Étude de Réformes féministes [3]
* http://sisyphe.org/spip.php?article5082
Laissons les filles tranquilles
Nous sommes féministes, nous défendons tous les jours les droits des femmes, et nous pensons qu’il faut abroger la loi de 2004 contre le port des signes religieux dans les établissements scolaires.
La question n’est pas de savoir ce que les féministes que nous sommes pensent de la religion en général, ou de l’islam en particulier, quel sens symbolique ou politique nous donnons au port du foulard islamique, qu’il soit volontaire ou imposé. La question, c’est qu’encore une fois on relègue les femmes au statut de victime, et qu’on propose de les exclure pour mieux les libérer. Encore une fois le corps des femmes est un champ de bataille, une ligne de front sur laquelle s’affrontent des idéologues au nom de leur libération. Et c’est aux filles et aux femmes musulmanes que la France demande de payer le prix de la laïcité.
Aujourd’hui, dix ans après le vote de cette loi, qu’a-t-on gagné ? Combien de discriminations et de violences ont été commises en son nom ? Des femmes voilées ont été agressées. Des mères ont été discriminées. À ce prix, la France est-elle devenue plus laïque ? Non. Le port du voile a-t-il régressé, comme les promoteurs de cette loi l’espéraient ? Non. Des filles ont été exclues de l’école. Les camps se sont durcis. La violence contre les femmes a augmenté.
FAIRE RECULER LE SEXISME
Nous sommes féministes et nous croyons que sommer des filles de dix ans de choisir un camp entre famille et école, entre la religion et la laïcité forcée, n’est pas la solution dont ces filles ont besoin pour s’émanciper. « Ne me libérez pas, je m’en charge ! », dit un vieux slogan féministe. Car ce n’est pas comme ça qu’on libère, c’est comme ça au contraire qu’on contribue à aliéner ceux qu’on prétend libérer. Le corps des femmes n’appartient à personne, pas plus à ceux qui veulent lui imposer le voile qu’à ceux qui veulent le lui retirer de force. Ce n’est pas en arrachant le voile d’une écolière ou en la chassant de l’école publique qu’on fera reculer le sexisme, bien au contraire.
Laissons les filles tranquilles ! Laissons-les réfléchir et discuter ensemble des voies et moyens de leur propre libération, qu’il s’agisse de se libérer de la norme sexiste, du dogme hétérosexuel ou des interdits religieux, de la symbolique de tel fichu ou de tel chiffon, de la morale et du sacré, des injonctions à montrer ou cacher son corps et ses désirs. Et quoi de mieux pour cela que les bancs et la cour d’une école ?
L’école ne peut pas tout faire, mais elle est le lieu d’émancipation par excellence, parce que chacun peut en principe y accéder à un corpus commun de savoirs, quelle que soit la culture religieuse dans laquelle il ou elle a grandi. C’est là en principe que l’on découvre l’autre, les autres, et qu’on façonne à leur contact sa propre identité. On y apprend que les uns sont athées, les autres pratiquants, les unes juives, catholiques, protestantes, hindou, les autres musulmanes, les unes hétéros, les autres homosexuelles, filles, garçons ou trans, les uns d’une couleur, les autres d’une autre.
Le rôle de l’école laïque est d’accueillir chacun et chacune avec ses différences, ses hontes et ses fiertés, ses secrets de famille, ses croyances et ses doutes. Le rôle de l’école laïque est de veiller à ce que toutes les souffrances puissent s’exprimer sans crainte, et non de préjuger de qui doit être libéré. Le rôle de l’école laïque est de faire preuve de bienveillance et d’ouverture, pas d’imposer d’en haut des valeurs qui n’auraient d’universelles que le nom, puisqu’elles se fonderaient sur l’exclusion.
Faut-il le rappeler ? Depuis 1905 et jusqu’au vote en 2004 de la loi contre le port des signes religieux dans les écoles, l’obligation de neutralité religieuse n’incombait qu’à l’Etat et à ses fonctionnaires, pas à ses citoyens. Aujourd’hui, en France, la laïcité prend trop souvent la forme d’une religion d’Etat au service de l’exclusion des filles et des minorités. Si c’est cette laïcité dogmatique – sacralisée - qui doit être inculquée demain aux enfants de France, ce ne sera pas en notre nom. Nous sommes féministes. Nous demandons le retrait de la loi qui interdit le port des signes religieux dans les établissements scolaires.
Sont notamment signataires de ce texte : Mathilde Cannat (géologue), Sonia Dayan-Herzbrun (sociologue), Marie de Cenival (initiatrice du collectif féministe La Barbe), Christine Delphy (sociologue) et Aby M’baye (psychosociologue).
Retrouvez la liste complète des signataires sur :
laissonslesfillestranquilles.wordpress.com/
* Lemonde.fr, 24 mars 2015 :
http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/03/24/laissons-les-filles-tranquilles_4599912_3232.html
« Laïcardes », puisque féministes
La question du voile islamique qui réapparaît dans le débat inquiète depuis longtemps les féministes.
Les jeunes filles ou femmes le portent au nom d’une liberté, celle d’exercer leur religion. Le port du voile n’est pas qu’un signe d’appartenance à une religion. Il symbolise la place de la femme dans l’islam tel que le lit l’islamisme. Cette place est dans l’ombre, la relégation, la soumission à l’homme. Que des femmes le revendiquent ne change rien au sens qui l’affecte. Il n’est plus à prouver que les dominé(e)s sont les plus fervents supporteurs de leur mise sous tutelle. Il n’est plus sûre oppression que l’auto-oppression. Mais les jeunes filles qui s’accrochent à leur voile ne veulent pas pour autant renoncer aux bienfaits d’un Etat laïque et officiellement égalitaire.
Or c’est là que réside le nœud du problème. La France est une nation qui respecte deux principes : la laïcité, qui suppose la séparation du religieux et du politique, et l’égalité des sexes. Ces principes sont l’aboutissement de longues luttes qui, tout au long de notre histoire, ont tenté de donner le pas à la loi humaine sur la loi divine et de faire triompher la raison sur la foi. Le droit français s’est construit au cours des siècles, depuis les lois fondamentales du royaume et les Parlements, sur la conciliation et l’équilibrage entre des libertés contradictoires. La laïcité suppose un espace public neutre, libre de toute croyance religieuse, où évoluent des citoyens soumis au même traitement, qui partagent des droits, des devoirs communs et un bien commun, qui les placent au-delà des différences discriminantes.
Tant que le port du voile restait dans la sphère de l’intime conviction personnelle, il ne contrevenait pas aux principes qui gouvernent la France. Chacun, chacune est libre en effet de croire en son for intérieur en un dieu, de penser que les femmes seraient des êtres inférieurs qu’il faut voiler pour éviter aux hommes la tentation, qu’on peut marier de force, lapider si elles sont adultères. C’est cela aussi, la liberté de pensée. Afficher ce symbole dans l’espace public, régi par les principes de laïcité et d’égalité des sexes, marque une remise en cause de ces principes. On peut encore autoriser un tel affichage au nom de la liberté d’expression. Mais à condition qu’il ne soit pas l’instrument insidieux d’un prosélytisme intégriste qui range les femmes en deux camps : soumises ou putes. Là où commence la violence sociale, morale ou physique contre les femmes qui ne portent pas le voile doit s’arrêter la liberté de le porter.
Comment en sommes-nous arrivés à douter de ce qui fait la structure et la fierté de notre démocratie ? L’affaire du voile est un symptôme parmi d’autres de la grande confusion qui règne sur les esprits et des régressions à l’œuvre. La régression a lieu sous l’effet conjugué d’un individualisme mal compris et d’un complexe d’ex-colonisateur.
L’individualisme : le refus crispé de toute norme, qui renvoie à la phobie du moule, conduit à rejeter toute limite, au prétexte qu’elle brimerait la « liberté ». Chacun est « libre » dans notre système libéralo-libertaire. Libre tout seul ? Toutes ces libertés additionnées, ça donne quoi ? La grande chienlit ? Ou la prévalence de la liberté de certains sur les autres ? Ainsi, nous avons eu abondamment droit, nous les féministes, aux brames indignés de la gent publicitaire et médiatique sur les atteintes à la « liberté d’expression » dès que nous prétendions faire entendre notre son de cloche sur les débordements des représentations sexistes. Ces indignations hypocrites protègent en fait les intérêts de ceux qui remplissent leurs tiroirs-caisses avec ces images. Idem pour la « liberté » supposée de porter le voile : qui sert-elle en réalité ? Un voile peut cacher une barbe...
Mais pas touche à mon « droit à la différence » ! Dans notre société postcoloniale, travaillée par une culpabilité mal assumée, la phobie d’être accusé de racisme par « refus de l’autre » conduit à la sacralisation irraisonnée de la différence. Nous vivons ainsi sous la coupe d’une bien-pensance héritée des réflexes de « gauche », dont même la droite est victime. Voilà comment, au nom du respect des coutumes, on nous a fait honte quand nous avons décidé de dénoncer l’excision et de porter devant la justice les cas d’excision. De cet état d’esprit apeuré qui se réfugie dans une tolérance tous azimuts, les islamistes jouent à fond, sans états d’âme.
Le drame est, en réalité, que cette bien-pensance-là est un véritable racisme, qui ne se voit plus, mais survit et se réincarne dans l’antiracisme apparent du « droit à la différence ». Le bigotisme islamiste, dont l’équivalent chrétien nous indignerait, c’est « bon pour les maghrébin(e)s »...
Il est vrai en un sens que le voile n’est qu’un épiphénomène : il n’est que la partie émergée de l’iceberg. L’iceberg, c’est la politique de mainmise des « réseaux d’Allah » sur les populations issues de l’immigration, et en particulier sur les jeunes. Grâce à leurs moyens financiers, ils offrent soutien scolaire, aide aux familles en difficulté, persuadent les élus que les jeunes islamisés seront moins délinquants...
Ne pas abandonner nos jeunes à un endoctrinement aussi mortifère devrait être considéré comme une priorité, un devoir « sacré » de l’Etat. Mais il laisse faire, justifié d’avance par les idées de respect des différences et de libertés absolues...
Les obscurantismes ont la vie dure. Mais ne nous laissons pas tirer insidieusement en arrière : les religions doivent être soumises à la loi, donc au principe de l’égalité des sexes. Evidemment, nous sommes « laïcardes », puisque féministes.
En pratique, nous demandons :
– L’interdiction du voile dans les lieux d’enseignement et de vie commune (école, fac, entreprise, administration).
– Si les agressions envers les femmes non voilées se perpétuaient : l’interdiction du voile dans la rue.
– D’une façon générale, l’application la plus stricte de la loi de 1905.
– La fin de l’enseignement des religions hors des cours d’histoire et de philosophie.
– Un enseignement des principes du droit des libertés publiques et de leurs bornes.
– Un enseignement sur les discriminations : sexisme, antisémitisme, racisme, homo- lesbophobie.
Anne Vigerie et Anne Zelensky
Anne Vigerie est membre du Cercle d’étude de réformes féministes. Anne Zelensky est présidente de la Ligue du droit des femmes.
• Le Monde du 29 mai 2003 :
http://www.c-e-r-f.org/voilelaicardes