CGT : Quand Martinez fait Lepaon
Dans une interview au journal le Monde du 22 septembre, le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez fait le point sur le syndicat en cette rentrée.
Droit du travail, statut des fonctionnaires, temps de travail, répression antisyndicale, les attaques sont multiples. Dans cette situation, certains attendaient un discours clair, préparant une contre-offensive à la hauteur des attaques.
Dialogue social ?
À la question : « Est-ce du temps perdu de rencontrer le président de la République, le Premier ministre ou le président du Medef ? », Martinez répond : « Ce n’est pas du tout inutile. Il ne faut pas les voir pour discuter entre gens de bonne compagnie mais pour leur remettre les pieds sur terre et leur parler de la vraie vie. Je veux bien aller visiter une entreprise avec le président de la République ou un ministre. » Le journaliste insiste : « Vous aimez l’entreprise... avec les salariés » et Martinez : « C’est ce que j’ai dit à Valls. Une entreprise n’est pas la propriété d’un seul. C’est une communauté de travail, il y a un patron et il y a des salariés. Il faut parler des deux et de façon équilibrée. »
Eh bien non ! Pour les militants syndicaux, Hollande, Gattaz et le patron de l’entreprise sont des adversaires de classe, dont nous ne souhaitons pas mettre les pieds sur terre, mais plutôt hors de l’entreprise, un lieu d’affrontement entre des intérêts opposés, ceux des patrons contre ceux des travailleurErs, et non une « communauté »...
Syndicalisme de classe ?
À la question, « vous récusez la ligne de partage entre syndicats réformistes et syndicats contestataires ? » Martinez répond : « Je préfère dire qu’on n’a pas la même conception du syndicalisme. Il y a des syndicats qui considèrent que le rapport de forces n’est plus d’actualité… Nous sommes pour des réformes – les 32 heures, c’en est une – à condition qu’elles ne signifient pas un recul des acquis sociaux. Le syndicalisme, par essence, est réformiste. Mais gouvernement et patronat ont dévoyé le mot réforme. »
Certes, l’activité quotidienne des militantEs syndicaux est faite de beaucoup de « réformisme », c’est-à-dire de défense pied-à-pied des revendications salariales, des conditions de travail, de l’emploi, de l’amélioration du sort des salariéEs. Mais cette défense doit se faire sans concessions au nom de l’intérêt de l’entreprise « communauté » ou au nom de la politique d’un gouvernement de « gauche » défendant les intérêts nationaux ou exigeant la paix sociale. Et surtout, nous nous battons avec l’objectif de renverser cette société capitaliste et son État, et la dictature des patrons sur notre travail et nos vies. Ce qui, en fait, était encore dans les statuts de la CGT jusqu’au 45e congrès de décembre 1995 où fut abandonné l’article 1er des Statuts confédéraux sur « l’appropriation par les travailleurs des moyens de production et d’échanges »...
Philippe Martinez a certes le droit de s’affirmer réformiste. Mais l’enjeu, notamment dans le cadre du 51e congrès, est de laisser toute leur place à celles et ceux qui continuent de s’en tenir à la « double besogne » définie par la Charte d’Amiens. Et en fin d’interview, Martinez déclare : « Si on nous invite à une conférence sociale pour casser le code du travail, on n’ira pas. » Chiche !
Robert Pelletier
« Il n’existe à la CGT aucune opposition de principe face au patronat. L’entreprise est une communauté composée de dirigeants et de salariés – là encore, je regrette que les actionnaires fassent figures d’éternels absents – et ces deux populations doivent pouvoir réfléchir et agir ensemble dans l’intérêt de leur communauté. Sur ce plan il est évident que le pragmatisme syndical s’impose. »
Thierry Lepaon, en février 2014 dans une interview au Nouvel Économiste
* Paru dans l’Hebdo L’Anticapitaliste - 305 (01/10/2015).
CGT : Rentrée en sourdine
Rude concurrence en cette rentrée pour Philippe Martinez, avec la parution du livre de Thierry Lepaon revenant sur les conditions de sa mise à l’écart du poste de secrétaire général de la confédération. Cette cohabitation involontaire est significative des contradictions qui continuent de lézarder la CGT.
Le nouveau secrétaire général doit asseoir son autorité sur la confédération, c’est-à-dire dans le dédale des appareils (fédérations, UD, gros syndicats, multiples structures « amies ») défendant chacune leurs prérogatives. C’est ce qui explique le programme de 2 000 rencontres avec les syndicats, les syndiquéEs, et la programmation des huit meetings décentralisés de cette rentrée.
Préparer le 51e congrès...
Le nouveau secrétaire général est en fait en campagne électorale préparatoire au 51e congrès de la confédération. Pas question de retomber dans les travers du calamiteux passage de témoin entre Bernard Thibault et Thierry Lepaon.
Dans les rencontres avec les syndicats, la direction peut toucher du doigt les difficultés rencontrées par les militantEs sur le terrain tout en pesant les exigences en termes d’orientation. Si les difficultés du quotidien poussent souvent vers un repli, un « recentrage », elles font aussi émerger l’exigence de positionnements plus clairs par rapport au gouvernement et d’initiatives nationales permettant de dépasser ces difficultés.
De la même façon, les meetings illustrent ces contradictions : des affluences variables et des ambiances tièdes qui résultent des difficultés de mobilisation et de l’absence de perspectives mobilisatrices.
… ou une rentrée combative ?
Mais ces initiatives, essentiellement à usage interne, ne suffisent pas à faire une rentrée syndicale à la hauteur des attaques patronales et gouvernementales. Et c’est bien là que se situe le deuxième volet des contradictions de la CGT. Sans projet politique, stratégique, la direction confédérale ne cherche pas à construire une opposition claire face au gouvernement. Cela se traduit par des propos ambigus quant au positionnement par rapport à la conférence sociale qui aura en son cœur les attaques contre le droit du travail. Les campagnes sur le coût du capital, outre ses ambiguïtés de fond, et pour la réduction du temps de travail sont en grande partie justes, mais elles ne constituent pas des objectifs de mobilisation en cette rentrée.
De même, la campagne sur la répression antisyndicale, malgré le caractère peu unitaire de la journée du 23 septembre, est nécessaire et indispensable. Mais même avec sa prolongation le 16 octobre par le rassemblement à Annecy en soutien à l’inspectrice du travail en butte à une répression administrative et judiciaire exigé par la direction du groupe Téfal, cela ne saurait « faire » une rentrée.
Victime des hésitations syndicales, la reprise de la mobilisation dans les hôpitaux, y compris à l’AP-HP, est difficile, alors que le positionnement par rapport au PPCR (Parcours professionnels, carrières et rémunérations) est inaudible au prétexte de consultation des syndiquéEs...
Refuser l’attentisme
En fait, malgré une dénonciation claire du rapport Combrexelle, on attend la mise en place d’un véritable plan de mobilisation contre les projets gouvernementaux, associant syndicats, organisations politiques, associations. La journée du 8 octobre, plantée dans le décor comme prolongation de la journée du 9 avril... six mois plus tard (!), apparaît trop générale, trop abstraite pour pouvoir prétendre être une étape dans le développement des mobilisations en cours.
Pourtant l’heure n’est pas à l’attentisme. Le référendum/sondage qui vient de se dérouler chez Smart fournit un cas d’école pour la mise en œuvre des projets d’un patronat si bien aidé par le gouvernement : prendre les syndicats en étau entre les exigences patronales et les craintes, les hésitations de salariéEs qui ne perçoivent pas de volonté d’en découdre nationalement de la part de leurs organisations. La CGT reste encore le plus souvent le syndicat « en bas » qui dit non, qui s’oppose. Et ses directions, ses dirigeants sont souvent perçus comme décalés par rapport à celles et ceux qui se battent au quotidien.
Robert Pelletier
* Paru dans l’Hebdo L’Anticapitaliste - 303 (17/09/2015)