La publication des chiffres du chômage est régulièrement commentée dans les médias. Tout aussi régulièrement, les analyses se concentrent sur l’évolution du chômage des jeunes, des seniors ou du chômage de longue durée, catégories effectivement sensibles. Mais qui parle du chômage des femmes ? Il est pourtant plus fort que celui des hommes, quelles que soient les tranches d’âge. Si, du fait de la crise qui a d’abord touché le secteur de l’industrie, le chômage des femmes a momentanément été rattrapé par celui des hommes en 2009, il a depuis 2010 repris sa première place.
La tendance est identique en Europe. Les dernières données d’Eurostat publiées en novembre 2011 établissent le niveau de chômage de la zone euro à 10,3 %. « Le chômage affecte d’abord les jeunes et les seniors », relèvent unanimement les médias. Pourtant, comme d’habitude, il affecte de manière encore plus dure les femmes sans que cela ne suscite le moindre commentaire. Le taux moyen de 10,3 % se décline en 10,6 % pour les femmes et 10,0 % pour les hommes, soit 0,6 point d’écart en défaveur des femmes. Un écart similaire, voire plus fort, se retrouve dans tous les pays les plus touchés par le chômage et la crise : 0,5 point en Espagne pour un taux de chômage global de 22,8 %, ou 0,7 point au Portugal (chômage de 12,9 %) ou encore 1,5 point en Italie. En France, l’écart entre femmes et hommes est de 1,2 point et le chômage se situe à 9,8 % en moyenne. C’est en Grèce que le surchômage" des femmes atteint un véritable record avec 6,6 points d’écart !
Concernant les jeunes, les commentateurs attirent notre attention, à juste titre, sur le plus fort chômage des moins de 25 ans. Dernièrement, il a atteint 48,9 % en Espagne et 45,1 % en Grèce. Mais on oublie de dire que le chômage des jeunes femmes grecques se hisse au record absolu de 52,3 %, soit… 12,9 points au dessus de celui des jeunes hommes ! En France, le surchômage des jeunes femmes n’est, en comparaison, « que de » 3,1 points avec un niveau se situant à 25,9 %. Situation plus qu’anormale car les jeunes filles sortent depuis plusieurs décennies plus diplômées du système scolaire que les hommes et devraient donc rencontrer beaucoup moins de difficultés d’insertion sur le marché du travail.
Depuis plusieurs années en France, différents plans se succèdent pour l’emploi des jeunes, celui des seniors, et aussi - occasionnellement - pour les « jeunes issus de la diversité ». Pertinents ou non, ils n’en témoignent pas moins d’une préoccupation politique. Rien de tel vis à vis de l’emploi des femmes. Comme l’a noté Margaret Maruani, sociologue au CNRS, il y a déjà 15 ans, il existe une tolérance sociale au chômage des femmes, qui apparaît moins grave qui celui des hommes. Le droit à l’emploi n’est pas complètement reconnu pour les femmes !
Cette tolérance devient aujourd’hui d’autant plus intolérable que la crise et l’austérité frappent plus durement les femmes. Outre le chômage, le sous emploi a partout fortement augmenté : les femmes, surreprésentées dans l’emploi à temps partiel, ont subi des réductions de la durée du travail et de la rémunération. Ce chômage partiel n’apparaît pas dans les statistiques habituellement publiées. La fonction publique étant majoritairement féminine, les femmes sont aussi les plus touchées par les réductions d’effectifs et/ou de rémunérations des fonctionnaires, appliquées dans de nombreux pays. Dans toute l’Europe, les femmes sont les premières concernées par l’insécurité et la précarité croissantes de l’emploi et par les bas salaires comme l’ont analysé plusieurs rapports internationaux (restés assez confidentiels). Dans une résolution de juin 2010, le Parlement européen avait même attiré l’attention du Conseil européen et de la Commission : « la crise a des répercussions particulièrement négatives sur les femmes, davantage exposées à la précarité de l’emploi et au licenciement et moins couvertes par les systèmes de protection sociale ». Alerte restée lettre morte.
Le sujet ici n’est pas de dépeindre les femmes en victimes mais de déplorer que la question de leur emploi soit ignorée, occultée, absente de la scène politique. Ni la droite, ni la gauche, ni d’ailleurs la plupart des acteurs syndicaux ne mettent ce problème à l’ordre du jour. Rien de surprenant de la part de la droite, dont on n’attend pas qu’elle se préoccupe de l’augmentation des inégalités causées par sa propre politique. On ne la voit pas non plus mue par l’argument de justice sociale. À cette droite célébrant le souci de rentabilité, comme à tous ceux persuadés des bienfaits de la croissance, on peut faire valoir l’argument froid d’une certaine rationalité économique : les femmes sont en moyenne plus diplômées que les hommes et moins souvent en emploi. Elles représentent un potentiel économique qui demeure en partie inutilisé. La Commission européenne insiste d’ailleurs sur l’effet positif de l’égalité dans l’emploi entre les femmes et les hommes qui entrainerait, d’après certaines études, une hausse de 30% du PIB (rapport de 2010 sur l’égalité dans l’Union européenne). De quoi attirer l’attention des adeptes de la croissance, particulièrement en période de récession, et ébranler leur désintérêt vis à vis du chômage des femmes.
Plus attendue est la réponse de la gauche, sur un registre social et politique. L’emploi féminin est bien autre chose que simplement rentable, il s’agit d’un enjeu de société. Les femmes qui représentent plus de la moitié de la population - et accessoirement du corps électoral – seront sans nul doute très attentives à la manière dont les partis de gauche vont traiter cette question.
Christiane Marty, membre du Conseil scientifique d’Attac et de la Fondation Copernic