C’est en 1972 que le principe d’égalité salariale entre femmes et hommes a été inscrit dans le code du travail. Depuis, l’égalité professionnelle et salariale a été renforcée d’une dizaine de lois, imposant notamment l’obligation de négociation collective, de fournir des données chiffrées et la possibilité de sanctionner les entreprises en cas de non-engagement. En 2019, voulant passer d’une obligation de moyens à une obligation de résultat, demandée par les syndicats, le gouvernement met en place l’index d’égalité salariale. Déjà obligatoire pour les très grandes entreprises depuis un an, il est obligatoire depuis le 1er mars pour celles de plus de 50 salariés.
Cet index repose sur cinq indicateurs : l’écart de rémunération par âge et catégories professionnelles ; l’écart entre la part des femmes et des hommes augmentés ; l’écart entre la part des femmes et des hommes promus ; la part des femmes ayant bénéficié des augmentations à leur retour de congé maternité ; et la présence d’au moins 4 femmes dans les 10 plus hautes rémunérations. Ces indicateurs permettent d’accumuler jusqu’à 100 points, et les entreprises obtenant moins de 75 points ont trois ans pour s’améliorer, sous peine de sanctions.
Si, après cinquante ans de législation en matière d’égalité salariale, l’objectif de résultat est urgent, nous savons que le diable se cache dans les détails. En effet, les indicateurs de l’index comportent de nombreux biais. Sans entrer dans les détails, soulignons-en quelques-uns.
Emplois sous-valorisés
Premièrement, du fait des précautions statistiques, une entreprise avec un écart moyen de rémunération de 10 % obtiendra tout de même plus des trois quarts des points de l’indicateur. Deuxièmement, concernant les augmentations et promotions, seul le nombre de femmes comparé au nombre d’hommes ayant reçu une augmentation individuelle ou une promotion est pris en compte, et non le montant de ces augmentations. Enfin, les indicateurs de l’index omettent des facteurs importants d’inégalités. Les emplois très féminisés sont souvent sous-valorisés en matière de salaire et de carrière, les compétences mobilisées étant minimisées et associées à une pseudo-nature des femmes. Pensons aux aides à domicile, agentes de nettoyage, aux assistantes en tout genre ou encore aux cadres administratives. Et pourtant la loi exige un salaire égal pour un travail égal, mais aussi pour un travail de valeur égale, permettant de comparer des emplois différents de même valeur.
Ici, l’index ne répond ni à la comparaison entre mêmes emplois (seulement entre mêmes grandes catégories d’emplois) ni à la comparaison d’emplois différents mais de même valeur, appartenant à des catégories d’emplois différentes : par exemple, une assistante administrative (catégorie employée) et un technicien de maintenance (catégorie technicien et agent de maîtrise). De même, l’effet de la carrière n’est pas forcément visible. Par exemple, un technicien de 40 ans, promu cadre après trois années d’ancienneté et titulaire d’un BTS, peut percevoir le même salaire qu’une cadre administrative de 40 ans étant à ce poste depuis plus de dix ans et titulaire d’un master. Est-ce vraiment égalitaire ?
La moitié des grandes entreprises n’a pas suffisamment de femmes dans le « top 10 » des rémunérations
A la publication des résultats des grandes entreprises et de ceux obtenus par les entreprises de 250 à 999 salariés, ces biais semblent bien se confirmer. Selon le ministère du travail, la note moyenne des entreprises de plus de 1 000 salariés est de 83 points sur 100 et de 82 points sur 100 pour celles de plus de 250 salariés. Seulement 18 % des grandes entreprises et 16 % des entreprises de taille moyenne n’ont pas obtenu les 75 points sur 100, mais ces entreprises ont toutes obtenu la quasi-totalité des points sur les trois premiers indicateurs… Le ministère précise ainsi que les efforts à attendre portent sur les deux derniers indicateurs : une grande entreprise sur trois et une entreprise de taille moyenne sur cinq ne respectent pas l’obligation d’augmenter toutes les femmes de retour de congé maternité. Et la moitié des grandes entreprises (40 % des moyennes) n’a pas suffisamment de femmes dans le « top 10 » des rémunérations.
« Plafond de verre »
Le ministère concluait ainsi, dans son dossier de presse du 17 septembre 2019 : « L’égalité salariale est plutôt respectée dans notre pays. » Pourtant, certaines entreprises, comme la Caisse d’épargne Ile-de-France ou IBM, ont un index à plus de 90 points et sont poursuivies pour discrimination salariale. Le ministère précisait également : « Il existe un plafond de verre qui empêche les femmes d’accéder aux plus hautes fonctions. » Tel serait donc le vrai problème : assurer qu’à la tête de nos entreprises il y ait (presque) autant de femmes que d’hommes… Mais en quoi cet objectif réglera le problème des milliers de femmes précaires, à bas salaires et à temps partiel imposé ? Car n’oublions pas que près de 30 % des femmes en emploi travaillent à temps partiel et que presque deux tiers des smicards sont des smicardes. Et en quoi la présence de 4 femmes dans les 10 plus hautes rémunérations éclaterait les véritables plafonds de verre que subissent les femmes tout au long de leur carrière, notamment les femmes cadres intermédiaires ?
Mesurer les écarts salariaux est un exercice très complexe et vouloir un outil unique est sûrement une fausse bonne idée, peut-être même un piège car comment, lors de la négociation collective obligatoire, progresser sur le temps partiel, sur la revalorisation des emplois féminisés ou des carrières quand l’entreprise aura eu par exemple plus de 90 points sur 100 ? A l’heure où tout le monde s’accorde sur l’égalité salariale comme étant l’une des solutions pour réduire les écarts de pension de retraite, l’index ne sera malheureusement pas opérant.
Séverine Lemière (Universitaire) et Rachel Silvera (Universitaire)