Trois arrêts rendus par la Cour de cassation, le 19 octobre, indiquant que la garde à vue n’était pas conforme à la Convention européenne des droits de l’homme, ont relancé le débat sur sa pratique. Ces derniers mois, plusieurs affaires médiatisées, la dénonciation de la situation de non-droit dans laquelle se trouvent les gardés à vue ont permis qu’elle soit remise en cause.
Le fait que cela arrive à un moment où les interventions policières dans les manifestations sont plus que musclées, où les interpellations se multiplient, suivies, pour certaines, de gardes à vue et de déferrements, ne manque pas d’ironie. Et malheureusement, lors des comparutions immédiates, les peines de prison, fermes et avec sursis, pleuvent. Pour les personnes jugées en comparution immédiate, les procédures sont bâclées, les droits de la défense réduits à leur plus simple expression. Et lors des gardes à vue, qui concernent chaque année plus de 900 000 personnes, l’avocat, dans les dispositions actuelles, ne peut que rappeler ses droits à la personne concernée.
La Cour de cassation estime que les exigences d’un procès équitable et des droits de la défense requièrent des garanties procédurales rendant effectif le droit pour toute personne gardée à vue de se taire et d’être assistée d’un avocat.
Cette décision suit les recommandations formulées par le parquet général le 7 octobre. Celui-ci s’était également prononcé pour que l’avocat puisse assister aux interrogatoires de son client pour les infractions de droit commun, ainsi qu’à l’ensemble des actes d’enquête auxquels il participe activement, notamment la confrontation et la reconstitution des faits.
La durée de garde à vue est de 48 heures maximum en règle générale, mais peut s’élever jusqu’à quatre jours en matière de terrorisme, de trafic de drogue et de criminalité organisée, avec accès possible à l’avocat seulement à la 72e heure. La Cour de cassation estime que « la restriction du droit pour une personne gardée à vue d’être assistée dès le début de la mesure par un avocat [...] doit répondre à l’exigence d’une raison impérieuse, laquelle ne peut découler de la seule nature de l’infraction », mais elle n’interdit pas formellement les dérogations.
Le 14 octobre, la Cour européenne des droits de l’homme avait elle aussi rendu un avis rappelant notamment que « la personne gardée à vue a le droit d’être assistée par un avocat dès le début et pendant les interrogatoires, y compris pour les régimes dérogatoires – criminalité organisée, terrorisme, stupéfiants ».
La chancellerie a élaboré un texte modifiant le code de procédure pénale sur le régime de la garde à vue. Ce projet, largement insuffisant, maintient notamment les régimes dérogatoires (criminalité organisée, stupéfiants et terrorisme), ne sera mis en application qu’au 1er juillet 2011, ce qu’entérine par contre la Cour de cassation. Ce qui signifie que le régime actuel va perdurer encore neuf mois. Et par ailleurs, la ministre de la Justice prévoit la création d’un régime d’audition dite « libre », sans avocat, créé pour remplacer les interrogatoires coercitifs. Cette disposition est considérée, à juste titre, par les avocats, comme une façon détournée de préserver l’ancien régime de garde à vue.
L’augmentation des gardes à vue ces deux dernières années s’expliquent par la politique du chiffre du ministère de l’Intérieur. Ce régime s’appliquant de façon massive, le nombre de personnes concernées a augmenté. La population a pu prendre conscience de ce que cela signifiait en pratique : maltraitance des personnes arrêtées et non-respect des droits de la défense.
Anne Leclerc
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 75 (28/10/10).
LES INSULTES COÛTENT CHER
Il ne fait pas bon insulter un gendarme. Y compris via internet. Un jeune homme de 19 ans habitant le Finistère a ainsi été condamné à trois mois de prison fermes et 1 200 euros d’amende par le tribunal de Brest pour avoir insulté des gendarmes via le réseau Facebook.
Au mois de janvier, le jeune homme est contrôlé par la gendarmerie en état d’ivresse et est contraint de laisser son véhicule sur place et de rentrer à pied. Une fois rentré chez lui, il a exprimé sa colère sur sa page Facebook et insulté les gendarmes qui l’avaient contrôlé. Les insultes sont restées en ligne plusieurs mois avant que les gendarmes ne les découvrent et décident de porter plainte. Il serait intéressant de savoir dans quelles circonstances les gendarmes ont pu visionner ces commentaires, certes publics, mais écrits depuis des mois. Cela donne un aperçu du contrôle permanent de la population.
Le tribunal correctionnel de Brest a vraisemblablement voulu faire un exemple en condamnant l’internaute à une si lourde peine. Il est vrai que celui-ci ne s’était pas présenté à l’audience, ce qui n’a peut-être pas plu au tribunal. Il faut s’appeler Jacques Chirac pour se permettre de ne pas assister à son procès.
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 72 (07/10/10).
QUAND LA JUSTICE DE CLASSE CASSE LA JEUNESSE…
Vendredi 29 octobre 2010, à 17 heures au tribunal de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), encore une comparution immédiate sous haute surveillance policière à la suite de la manifestation de la veille, encore trois personnes au hasard, trois jeunes cette fois-ci. Le premier, 27 ans, vit de petits travaux, de chèques emplois services. Il a apporté des fumigènes à la manifestation pour amuser la galerie. Devant la sous-préfecture, il a eu l’audace d’allumer une fusée face aux gardes mobiles qui ont ressenti « de l’émoi » et demandent des dommages et intérêts. Encore une fois, il n’y a eu aucun blessé côté flics, mais trois se portent partie civile et demandent des dommages et intérêts.
Le second, tout juste 18 ans, est lycéen en bac pro, en rupture familiale, il vit en foyer. Il a eu l’audace devant la sous-préfecture de lancer une bouteille de mousseux vide contre un poteau à trois mètres devant lui.
Le troisième, 19 ans, sans emploi, en rupture familiale, placé en foyer par la Protection judiciaire de la jeunesse, un casier, aurait eu l’audace de jeter des canettes vides devant lui.
Tous trois reconnaissent les faits et n’ont pas demandé d’avocat pendant leur garde à vue. Tous trois s’excusent. L’un d’eux s’effondre et se met à pleurer dans son blouson.
La procureure insensible dresse un portrait d’une jeunesse dangereuse, proche de la délinquance, une jeunesse qu’il faut enfermer, une jeunesse qui n’est même pas capable, mon Dieu, de justifier ses actes de colère envers les forces de l’ordre. Une jeunesse qui est venue casser du flic et qui va finir ce soir en prison.
Me Lemoigne et Me Lioret, avec fougue, tentent d’obtenir la nullité des gardes à vue et la relaxe des prévenus. Ils demandent au tribunal de faire confiance à la jeunesse, de ne pas l’incarcérer pour des faits si minimes.
Pendant le délibéré de 8 minutes, nous essayons de réconforter prévenus et familles. Le jeune de 19 ans s’effondre à nouveau en larmes.
Verdict d’une voix inaudible : trois mois avec mandat de dépôt pour celui de 27 ans, un mois sans mandat de dépôt pour le lycéen que nous récupérons hagard à la sortie, deux mois avec mandat de dépôt pour le troisième de 19 ans.
Les condamnés partent en prison, les forces de l’ordre mettent la sirène pour amener nos chétifs « terroristes ».
Encore une fois, la disproportion entre les faits et les peines me donne la rage, encore une fois, la justice s’en prend à des gamins que la vie a déjà esquintés. Encore une fois… on ne s’habitue jamais à cette justice de classe, expéditive, à cette justice qui casse…
Nathalie (Comité de défense des libertés fondamentales contre les dérives sécuritaires-Codelib)
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 76 (04/11/10).
LA GARDE À VUE BIENTÔT INCONSTITUTIONNELLE ?
Cela fait longtemps que les associations de défense des droits de l’homme le dénoncent : en France, la pratique de la garde à vue est systématique, même pour des délits mineurs. Ainsi, entre 2004 et 2009, les gardes à vue ont augmenté de 23 %. Au cours de la seule année 2009, 580 108 personnes – plus d’un demi million ! – ont été placées en garde à vue. Circonstance aggravante pour la justice française : du fait de l’absence d’avocat jusqu’à la 24e heure (à l’exception d’un entretien d’une demi-heure en début de garde à vue), les droits de la défense ne sont pas respectés. Cette situation généralisée et récurrente d’arbitraire policier a valu à la France d’être épinglée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme. Tout comme… la Turquie !
Les avocats demandent, évidemment, le droit d’être présents auprès de leurs clients dès le début de la procédure, comme cela est de règle dans les pays qui se targuent d’être des « États de droit ». Les policiers – notamment Synergie, syndicat policier classé (bien) à droite – s’y opposent. Finalement, 26 requêtes portant sur l’inconstitutionnalité des conditions de la garde à vue ont été déposées par des avocats dans plusieurs tribunaux et l’affaire a donné lieu à une audience devant le Conseil constitutionnel qui devrait rendre un avis le 30 juillet…
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 66 (29/07/10).
RÉFORME PÉNALE : LA TOUTE PUISSANCE DU PARQUET...
L’avant-projet de réforme du code de procédure pénale, présenté par la ministre de la Justice le 2 mars, confirme la confiscation totale de la Justice par le pouvoir exécutif, le refus de donner plus de droits à la défense et l’absence de limitation des mesures privatives de liberté.
Les dénonciations de la multiplication des gardes à vue et de leur déroulement avaient suscité des déclarations solennelles de la garde des Sceaux sur la nécessité d’une réforme. Or, il n’y a pas de modification profonde à ce sujet, si ce n’est la création d’une « audition libre » de quatre heures qui n’est ni plus ni moins qu’une nouvelle forme de garde à vue mais complètement dépourvue de droits. La notification du droit au silence, instaurée en 2001 et supprimée en 2003, n’est pas réintroduite. Le texte prévoit de communiquer à l’avocat les seuls procès verbaux d’audition de la personne gardée à vue et non l’entièreté du dossier. L’assistance de l’avocat aux auditions ne se fera qu’à partir de la 24e heure au lieu de la 20e aujourd’hui. Les régimes dérogatoires en matière de criminalité organisée et de terrorisme sont maintenus, il est ainsi toujours prévu de différer systématiquement l’intervention de l’avocat.
La disparition du juge d’instruction est confirmée et on voit apparaître un juge de l’enquête et des libertés, qualifié à juste titre par le Syndicat de la magistrature de « juge à tout faire ». Le parquet se voit confier toutes les enquêtes pénales, notamment les plus sensibles, sans aucune modification de son statut. En clair, il reste en lien très étroit avec le pouvoir exécutif. Les auteurs du projet écrivent que les magistrats du parquet ne devront pas « exécuter des instructions individuelles qui seraient contraires à l’exigence de recherche et de manifestation de la vérité et de conduite des investigations à charge et décharge ». C’est évidemment du pur cynisme quand on sait que la carrière des procureurs dépend du garde des Sceaux.
Par ailleurs, le juge des enquêtes et des libertés ne sera saisi que si le parquet envisage contre la personne mise en cause une mesure privative ou restrictive de liberté. Dans le cas contraire, il n’y aura pas un juge de l’enquête et des libertés spécifiquement saisi pour suivre l’enquête. Par contre, les officiers de police judiciaire seront chargés de la quasi-totalité des auditions des personnes mises en cause, y compris parfois de « l’interrogatoire de notification de charges », l’équivalent de la mise en examen réalisée aujourd’hui par les seuls juges d’instruction. C’est la confirmation des politiques visant à donner toujours plus de pouvoir aux policiers.
Derrière cette disparition du juge d’instruction, c’est la possibilité d’instruire des dossiers politiquement sensibles qui disparaît. Les particuliers et associations ne pourront plus saisir directement un juge et seul le ministère public décidera des suites à donner aux plaintes.
Ce projet prévoit aussi une redéfinition de la prescription. Pour les délits d’abus de biens sociaux, il est prévu que le délai de prescription commence à courir à partir de la commission des faits et non plus à partir de la découverte de l’infraction comme aujourd’hui. En clair, les milieux d’affaires peuvent se frotter les mains car la découverte des abus de biens sociaux demande du temps. Par contre, les délais de prescription passent en matière criminelle de 10 à 15 ans et de 3 à 6 ans pour la majorité des délits.
Le 9 mars, l’ensemble des acteurs de justice s’est mobilisé contre cette réforme de la justice.
Anne Leclerc
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 46 (11/03/10).