D’où vient ce nom de « contre-plaquistes » ?
Antoine Brescia - Je préfère le terme de « citoyens de la mémoire ». Nous pensons que trop de périodes de l’histoire sont peu ou mal connues, et que cette méconnaissance nuit au mouvement ouvrier. C’est ainsi qu’en mai 2003, nous étions huit à avoir démonté toutes les plaques de la rue Thiers à Grenoble, pour les remplacer par des plaques bien plus sympathiques : rue de la Commune-de-Paris. Par la suite, nous avons distribué des tracts dans cette rue, tenu des tables, fait signer des pétitions. Les Grenoblois sont désormais un peu plus nombreux à se souvenir que Thiers fut le boucher de la Commune et a fait plus de 25 000 morts en une semaine.
Gilles Rocipon - Nous ne faisons pas que dévisser des plaques, nous en posons aussi de nouvelles quand elles sont manquantes. La Gestapo torturait dans des bâtiments militaires. Nous y avons apposé une belle plaque commémorative et, aux dates anniversaire, nous sommes venus mettre des fleurs et chanter L’Affiche rouge. « Contre-plaquistes », ce n’est pas si mal...
Aujourd’hui, votre combat semble se porter surtout contre le fichage des empreintes génétiques...
A. Brescia - Ce n’est pas tout à fait un choix. Lors du dévissage des plaques de la rue Thiers, la police nous a arrêtés, donc garde à vue puis procès, où les juges, un peu embarrassés, nous ont déclarés coupables de vol aggravé, tout en nous dispensant de peine. Deux ans plus tard, nous sommes convoqués au commissariat, les uns après les autres, pour nous faire prélever nos empreintes génétiques et entrer dans le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg). Comme nous avons refusé, le parquet nous poursuit.
Combien de procès avez-vous subi ?
G. Rocipon - Trois. Le premier, à Lisieux, s’est conclu par une relaxe. En revanche, d’autres personnes, lors de deux procès successifs, ont été condamnées à 150 euros avec sursis. C’est une somme certes symbolique, mais les principes ne se monnayent pas et nous avons fait appel. La cour d’appel, cette fois, a relaxé tout le monde. Las, le parquet, encore lui, se pourvoit en cassation. Nous en sommes là.
A. Brescia - Ce n’est pas qu’une question de principe, pour moi, c’est carrément physique. Il ne m’est pas supportable qu’on me résume à un code-barres et qu’on me range, ainsi réduit, dans une case. Et puis, qui contrôle qui, pour quoi faire ? Le Fnaeg a été créé, dans un premier temps, pour les crimes sexuels. Une première extension a ajouté les crimes de sang et le terrorisme ; une seconde tous les condamnés ; aujourd’hui, il suffit d’être suspect. L’intention d’un fichage généralisé de tous les citoyens est manifeste. Mais l’État commence par les militants. La répression de leurs actes est de plus en plus forte, comme en témoignent les mises en examen pour solidarité avec les sans-papiers, avec les faucheurs d’OGM, avec ceux qui occupent leur entreprise pour défendre leurs emplois, etc. Cela rappelle de tristes périodes et augmente la pression, déjà importante, sur le reste de la population. Pas une tête qui dépasse !
G. Rocipon - Un député UMP a d’ailleurs proposé le fichage des empreintes génétiques dès la naissance. À noter, cependant, qu’un type de délit est exclu, les délits financiers. À ce jour, il y a déjà 230 000 fiches et l’État se propose comme objectif (Sarko aime faire du chiffre) 400 000 fiches nouvelles. Quand on sait que le coût oscille entre 600 et 800 euros par fiche, il semble que l’État ait encore de l’argent pour sa police. Derrière le Fnaeg, se dissimulent également les idées que Sarkozy a plusieurs fois développées : l’origine génétique des déviances sexuelles, de la délinquance, de l’homosexualité... C’est assez commode, la société n’étant en rien responsable ne peut ni ne doit réparer. Contentons-nous d’enfermer pour protéger ceux dont les chromosomes sont sains !
A. Brescia - Il y a quelques mois, la télé a diffusé une émission sur la traque, par la police de Vichy, des Résistants de la FTP-MOI, ceux de L’Affiche rouge. Les flics étaient déjà terriblement efficaces avec leurs fiches en papier. Il faut les imaginer avec ces outils informatiques, où les différents fichiers se croisent, où les renseignements passent instantanément d’un bout à l’autre de la planète. Avec cela, plus un résistant dès 1942 et, bien sûr, plus un Juif, plus un Rom, plus un communiste... Efficace non ? Nous n’en sommes pas encore là mais, pour le moins, notre société forge de terribles outils.
Votre combat se limite-t-il au seul Fnaeg ?
G. Rocipon - Les fichiers se multiplient, et nous nous efforçons de joindre nos efforts avec tous ceux qui se bagarrent déjà. Le fichier « Base élève » est singulièrement inquiétant. Tout ce qui concerne la scolarité des enfants - dont des données confidentielles, comme le suivi psychologique et le soutien apporté aux enfants - et une partie de leur vie familiale (nationalité, pays d’origine) sont inscrits dans cette base de données centralisée. Avec la loi sur la prévention de la délinquance, d’autres fichiers se mettent également en place. Tous ces fichiers mettent l’accent sur les singularités, les différences. Il y a là quelque chose relevant de la fin du citoyen comme universel.
A. Brescia - Mais attention, tous les fichiers ne font pas fichage. La Sécu, pour prendre un exemple, ne peut fonctionner sans un fichier. Bien entendu, nous ne prétendons pas détenir la vérité et nous pensons qu’il faut absolument un débat démocratique sur ces questions pour fixer les bornes, les modes de fonctionnement. Ce qui est utile et acceptable et ce qui ne l’est pas. Comme toujours, la question est politique. Les fichiers ne sont que des outils, si vous avez un marteau, vous n’êtes pas obligé de fracasser la tête de votre voisin avec, vous pouvez aussi enfoncer des clous.
Des actions sont-elles prévues ?
A. Brescia - Un comité de soutien s’est créé, et cela fonctionne pas mal. Nous sommes soutenus par nombre d’associations, partis et syndicats (Antigone, Attac, CIIP, Cuad 38, LIFPL, Ras l’Front, Survie, CGT, Confédération paysanne, FSU, PAS, SAF, SE-Unsa, SNUipp-FSU, SUD-PTT, SUD-Recherche, Unef, Ades, les Alternatifs, GO Citoyenneté, LCR, PCF, PCOF, PS, Verts Isère). Avant chaque procès, nous avons fait des interventions publiques (tracts, pétitions, panneaux explicatifs) et des rassemblements devant le tribunal à chaque événement. Vendredi 21 septembre, nous avons organisé un débat suivi d’un concert de 200 personnes. C’est un début prometteur.