Mardi 2 octobre, le Sénat devait examiner le projet de loi sur la maîtrise de l’immigration adopté le 20 septembre en première lecture par l’Assemblée nationale. Un article du texte alimente depuis plusieurs semaines, dans la majorité et au sein du gouvernement - cinq ministres ayant fait part de leurs réserves - une polémique due pour l’essentiel à l’usage qui pourrait bientôt être fait, sur les frontières françaises, des tests d’identification génétiques à des fins de regroupements familiaux. Cette polémique n’est que le dernier symptôme en date des conséquences de l’entrée croissante des sciences du vivant dans les champs mêlés du social, de la politique, de la morale.
Pour ce qui est des nouveaux usages pouvant être faits de l’ADN humain, l’affaire a commencé il y a une trentaine d’années en Grande-Bretagne. C’est là que d’ingénieux généticiens mirent au point la méthode dite des empreintes génétiques. Cette technique devait rapidement fournir un outil d’une puissance sans égale au service de la police scientifique et de la médecine légale.
Qui, alors, aurait raisonnablement pu s’opposer à ce que l’on ait recours à la signature génétique d’une personne pour découvrir, en éliminant le hasard, si elle était ou non l’auteur d’un crime ? Aucune voix critique, non plus, lorsque la même technique commença à être utilisée dans les affaires de reconnaissance en paternité. La biologie moderne s’autorisait pourtant alors à pénétrer dans les alcôves ; la vérité génétique commençait aussi à pouvoir effacer les inscriptions faites sur le marbre de l’état civil.
On vit ensuite, toujours dans une perspective policière, naître et se développer dans nombre de pays industrialisés les premiers fichiers contenant la signature génétique de personnes ayant préalablement commis des crimes. Il s’agissait - qui aurait pu s’en plaindre ? - de faciliter le travail de la police et de la justice dans les affaires de récidive. C’est la même logique, fondée sur la puissance des analyses génétiques et les angoisses sécuritaires, qui fait que des voix s’élèvent aujourd’hui, en Grande-Bretagne notamment, pour réclamer que l’on organise au plus vite le recensement systématique des empreintes génétiques de l’ensemble de la population, et ce dès la naissance.
La génétique viendrait ici bientôt compléter les techniques de biométrie et de surveillance télévisuelle ou d’informatique, au service, non plus de la santé publique, mais d’objectifs plus ou moins fantasmés de sécurité civile et militaire. Tout se passe désormais comme si les élus des pays démocratiques estimaient de leur devoir de rassurer leurs concitoyens en facilitant l’usage rapidement croissant de toutes les avancées scientifiques et techniques permettant l’identification indéfinie des personnes à la fois dans l’espace et dans le temps.
C’est dans ce contexte qu’il convient de resituer la polémique naissante sur l’usage de la génétique pour autoriser ou interdire l’entrée sur le sol français de personnes étrangères souhaitant rejoindre des membres de leur famille. Avec cet usage, on prend incidemment tous les risques inhérents aux actions fondées sur le primat d’un biologique en passe d’être sacralisé. Imaginons la somme des conséquences possibles quand on découvrira, sur la base de tests génétiques imposés par la France, qu’un enfant étranger n’est pas le fils ou la fille de celui qui croyait en être le père.
Dans les différents pays de l’Union européenne qui ont adopté de telles procédures pour le regroupement familial, l’affaire n’a guère suscité de débats. Le fait qu’il n’en soit pas de même en France est hautement salutaire. Les opposants à ces mesures - dont certains sont dans les rangs de l’UMP - se fondent ici sur les dispositions de la loi de bioéthique en vigueur depuis 1994, qui, quelle que puisse être la vérité biologique, préserve les liens filiaux tissés au sein d’une même famille.
Comment comprendre que ce qui vaut pour les familles de nationalité française ne puisse valoir pour celles et ceux qui souhaitent venir vivre en France ? Certains - comme le professeur Bernard Debré, député
(UMP, Paris) - se disent favorables à ce que la loi autorise au plus vite le recours à de tels tests à nos frontières. Pour autant, tous, consciemment ou non, se refusent à percevoir ce qu’une telle mesure pourrait - en France et au vu de ses lois - avoir de discriminatoire, sans parler du racisme, conscient ou non, qui la sous-tend.
MEILLEUR DES MONDES
Qui trouvera les raisons d’imposer à des étrangers - fort du postulat qu’ils sont naturellement susceptibles de mentir délibérément sur la réalité biologique de leur filiation - des mesures réglementaires qui ne peuvent pas concerner des Français ? Les défenseurs de ces tests ADN se refusent à envisager les différentes conséquences, à terme, de tout ce qui est de nature à réduire l’identité de la personne à son patrimoine génétique, à faire la part trop belle à l’inné en réduisant l’acquis à une annexe somme toute sans grande valeur.
Cette polémique intervient au moment précis où se manifestent des tentations d’aller de plus en plus vite dans la course au test de dépistage, au point parfois de prendre le risque de ne plus pleinement respecter les règles scientifiques les plus élémentaires et les considérations éthiques. De ce point de vue, l’avis rendu public le 17 septembre par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) est exemplaire. Cette institution était amenée à s’exprimer dans le cadre de l’affaire Metagenex, du nom de la société française de biotechnologie qui commence la commercialisation d’un test de dépistage de cellules cancéreuses à partir d’une prise de sang. Un test prometteur, mais dont la chercheuse de l’Inserm qui l’a mis au point estime qu’il est aujourd’hui insuffisamment évalué et n’a pas fait la preuve de son intérêt.
Au-delà de cette affaire, le CCNE fait une analyse plus générale de ce domaine de recherche. Au terme d’un constat quelque peu inquiétant, il recommande que de tels tests soient à l’avenir évalués par une instance indépendante avant d’être commercialisés et utilisés dans des pays. « Ce n’est pas à la technique de dicter son usage », résume le CCNE. C’est pourtant bien, par des voies plus ou moins détournées, depuis les tests génétiques jusqu’à ceux de dépistage, depuis les puces électroniques jusqu’aux outils présents et à venir de la biométrie que la technique ne cesse de dicter son usage. « La question n’est plus de savoir si nous allons vers un meilleur des mondes mais de savoir vers quel meilleur des mondes nous allons. » Le propos est de Jean Rostand et date de 1967. Quarante ans plus tard il n’a, malheureusement, nul besoin d’être réactualisé.