MESSAGE DE CONDOLEANCES
A la Direction du NPA
Nouveau Parti Anticapitaliste
Chers amis,
Nous exprimons, en cette heure de douleur, toute notre fraternité et notre tristesse pour le décès d’Alain Krivine. Figure singulière de la génération révolutionnaire de Mai 68, Alain Krivine n’a jamais abandonné la perspective révolutionnaire de transformation socialiste.
Alain Krivine a été un ami du Bloco de Esquerda depuis sa fondation et nous avons été nombreux à le connaître et à avoir la joie de partager son intervention.
Nous envoyons nos sincères condoléances à la famille et à tous les camarades. La gauche française perd une référence et la mémoire gagne un exemple ineffaçable.
Secrétariat du Bloco de Esquerda (Portugal)
Adresse : Rua da Palma, 268 Lisboa 1100-394 Portugal
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Communiqué d’Ensemble Insoumise à propos de la disparition d’Alain Krivine
La disparition d’Alain Krivine est une bien triste nouvelle.
C’est un événement marquant :
Il l’est pour beaucoup d’entre nous qui avons milité longtemps à ses côtés et souvent avec une grande proximité.
Mais il l’est aussi pour toutes celles et ceux qui consacrent une partie substantielle de leur vie à militer pour un changement radical, et pour qui il est une référence, un ami, un camarade.
Pour Alain Krivine, la révolution, la lutte internationaliste contre les oppressions et pour le socialisme, la construction d’un parti et d’une internationale au service de ces combats, c’était consubstantiel de son existence. De l’époque où il a été le meilleur jeune vendeur de l’Humanité et jusqu’à son dernier souffle. De l’UEC au NPA, en passant par la JCR et la LCR. Ça ne lui a pas passé avec l’âge.
Il y aurait tant à dire mais on peut notamment souligner quatre éléments :
• Alain était tenace. Il était toujours là, dans les bons et les mauvais moments, dans les hauts et dans les bas, H24, 365 jours par an.
• Alain avait « du pif » pour sentir les mouvements de la société qui se profilaient.
• Alain était un grand orateur qui n’avait pas son pareil pour vulgariser analyse et propositions politiques et assister à ses meetings, c’était toujours un moment enthousiasmant.
• Enfin – et c’est si rare et si éminemment positif – Alain était humble, c’était un militant qui ne rechignait jamais devant aucune tâche, même les moins valorisantes.
Ces derniers temps, il n’a pas fait les mêmes choix politiques que nous bien sûr. Mais il est resté un camarade, avec qui nous marchions en partie séparément, mais – comme nous, il y tenait – nous frappions souvent ensemble.
La nouvelle de sa disparition était attendue, mais elle fait mal. S’il avait prononcé lui même le discours de ses obsèques, il aurait invariablement placé la formule qu’il sortait lors de toutes les funérailles de camarades disparus : « faut pas pleurer car le meilleur hommage à lui rendre, c’est de continuer le combat ». Alors bien sûr qu’on peut pleurer. Mais il est interdit d’arrêter le combat car, comme il le disait, « on a pas le choix ».
Nous nous associons à la peine de sa famille, de ses ami.es, de tous.tes les camarades du NPA et de la IVe Internationale.
Le courant Ensemble-Insoumise,
le 13 mars 2022
En souvenir et en hommage à Alain KRIVINE
par Charles Michaloux
Alain a eu une vie belle et bien remplie. Pas plus que d’autres il n’était protégé contre les défaites, les revers, les déceptions, les illusions déçues. Il savait les reconnaître et les conjurer, souvent avec un humour acéré. Mais aussi, il savourait les victoires (et il y en eut !) pour alimenter sa machine personnelle à espérer, à convaincre et à se battre.
Sur tous les terrains depuis sa prime jeunesse, il militait infatigablement pour que la conviction révolutionnaire éprouvée qui était la sienne rencontre la réalité des transformations et des secousses de la société. Il était donc de tous les combats, avec une présence modeste qui forçait le respect.Tout le contraire d’un dogmatique en somme. Sa personnalité était balisée par une impressionnante fidélité et indéfectible constance, en même temps que par une ouverture d’esprit jamais en défaut et un intérêt inlassable pour ce qui était nouveau et prometteur.
Solidité de roc et flair de parfumeur, cela le caractérisait bien : les mots le faisaient sourire, mais il savait que c’était notre marque de respect et d’amitié.
Son parcours politique, sur plus de soixante années, épouse tous les grands événements politiques et sociaux après la Seconde Guerre mondiale, en France comme à l’international. Et toujours, avec le fil rouge conducteur d’une volonté de construire l’instrument nécessaire pour changer le monde, avec une même détermination de l’Opposition de gauche dans l’Union des étudiants communistes à la JCR, la LC, la LCR, finalement le NPA et toujours la IVe Internationale.
Mon souvenir d’Alain est émaillé de tant de beaux moments, qu’ils font vite oublier les autres marqués par la difficulté.
J’ai rencontré Alain pour la première fois en 1965. J’étais en terminale au lycée Voltaire ; il était mon prof. d’histoire. A l’époque j’étais à la JC (les jeunesses communistes du PCF) et lui opposant au PCF et à l’UEC. Un jour après le cours il m’invite à rester. Il me demande alors : « êtes-vous communiste ? ». Jeune et fier, je réponds : « oui, ça vous dérange ? ». Il me proposa de discuter et de là date mon engagement à ses côtés et notre amitié, jamais démentie par les désaccords et les différences dans la dernière période.
Mon souvenir lumineux commence par là. Il se conclut hélas par l’image d’une homme souffrant et diminué qui ne ressemblait plus à ce roc au flair de parfumeur.
La douleur de le perdre s’ajoute pour moi à d’autres que symbolise cette photo prise lors du rassemblement organisé par la Ligue pour célébrer le centenaire de la Commune au printemps 1971, dans le sillage de Mai 68, sur la crête de mobilisations internationales de grande ampleur. Sur cette photo se trouvent Henri Weber (qui a pris plus tard ses distances politiques en se mettant dans la roue du PS, mais qui n’a jamais dénié ses vieilles amitiés), Daniel Bensaïd (le complice et l’inspirateur de toujours), Gérard Verbizier (la conscience internationaliste de la grande famille), Alain Krivine naturellement et moi-même. Ils sont tous disparus et ils me manquent avec notre folle espérance.
Charles Michaloux
Au Père Lachaise en 1971.
Très bel hommage, cher Charles. La photo m’a porté des larmes aux yeux : tant de cher amis et camarades partis…Ils nous manquent ! Essayons de leur rendre hommage, en continuant leur combat, tous ensemble…
Michael Löwy
Le même sentiment d’injustice qu’à la mort de Daniel.
Une courte dépêche AFP, une brève au 20 h pour Alain, quelques articles plus fouillés dans la presse sérieuse. Pas au niveau ni des camarades ni de leur combat. Pas seulement parce qu’ils étaient la chair de notre chair. Mais parce que c’est leur combat lui-même qui est dévalorisé.
Et pourtant guère de vies plus nobles que celle de Alain. Perdue, comme pour tant d’entre nous, quelque part dans les nuages des images des révolutions passées ? Oui, mais pas seulement. Dans le cœur des indignations quotidiennes. Alain faisant front contre les flics forçant les portes de l’Eglise Saint Bernard occupée par des sans papiers. Pas la prise du Palais d’Hiver. Même pas les barricades du 10 Mai 1968. Mais là, toujours. Parce que l’indignation ne se découpe pas en tranches. Et que ce monde, si merveilleux parfois, est pourri pourtant jusqu’à la moelle. Et qu’alors celles et ceux qui le combattent comptent triple.
C’est pourquoi Alain, redevenant Tinville, terminait ses meetings, toujours chauffés à blanc et pourtant plein de cet humour qui lui était si particulier, en posant la sempiternelle question inquiète : « ça allait pour les camarades » ?
Que les grands média traitent ceci en un tour de main, finalement, c’est cohérent avec l’acceptation de l’inacceptable. Mais l’émotion qu’on a senti dans toute la gauche radicale et au-delà à l’annonce de son décès donne aussi l’autre cohérence. Celle qui, jusqu’au dernier souffle, a rendu concret le « ce n’est qu’un début, le combat continue » pour notre camarade . Presente !
Samy Johsua
Briançon en décembre 1965, contre le nucléaire en 1975
Bonsoir
Je ne vais pas répéter tous les messages que je viens de lire. Il y a peut-être un moment qui n’a pas encore été rappelé, celui du stage que les jeunes adhérents de la IV ont tenu à Briançon en décembre 1965. A l’UEC, Hermier cornaqué par Juquin avait repris la majorité, et dès la rentrée suivante il dissolvait le Secteur Lettres que tenait la « fraction de gauche », dont les membres entristes du PCI étaient les principaux animateurs, mais pas toujours de façon ouverte.
Le débat était donc : puisque nous allons devoir constituer une nouvelle organisation de jeunesse, devait elle être une JCI, ouvertement lié à la IV°, ou devions nous dans un premier temps au moins constituer une JCR.
Dans ma mémoire, Alain avec son flair déjà reconnu a contribué à faire pencher la balance pour une JCR, et je n’ai jamais entendu quiconque dire que cela avait été une erreur !
L’autre histoire, je n e l’ai pas vécue, on me l’a racontée (en l’occurrence Jean-Paul Deléage). On est en 1975. première grande manifestation pour le solaire, contre le nucléaire. Les luttes antinucléaires, Rouge en parlait déjà, mais jamais la LCR n’avait pris position sur le fond, et se posait donc la question d’appeler. Jean-Paul Deléage y était très favorable, est invité au BP pour présenter un texte, attend un peu dans le couloir parce que ce n’est pas le premier point à l’ordre du jour, et lit son texte au BP réuni, un texte principiel sur le refus du nucléaire. Un grand et long silence suit. Et au bout d’un moment, Alain le rompt : « Bon, de toute façon, cette manif, on y va ! ». je ne l’ai pas vécue, mais elle me parait terriblement crédible. Sans peut-être théoriser outre mesure, Alain avait compris que l’aventure nucléaire, la LCR devait se situer contre.
Bon, demain, je vais voir si je retrouve moi aussi des photos des « meetings Krivine », au Havre, à Périgueux, à Bergerac, à Bordeaux...
Plus on repense à lui, et plus on se dit qu’on n’a pas le droit de laisser tomber.
Alain, on ne lâchera rien.
André Rosevègue
Alain, homme d’action
Lorsque j’ai connu et vu Alain Krivine pour la première fois à Paris (je venais de Besançon), sans doute au début des années 1970, il avait conclu un débat sur « l’analyse de la situation ». Moi j’écoutais tout le monde, j’étais un peu perdu, il y avait des discours savants. C’était la Ligue ! Et puis Alain conclut. Tout s’éclaire. Il propose en cinq mots simples de faire ceci, et de faire cela. Pourquoi ? Parce que, dit-il, « nous devons d’abord nous tourner vers l’action ».
Tout devenait évident avec lui. Il y avait la théorie (on admirait le riche langage de Daniel) et Alain nous tournait simplement vers l’action.
Plus tard, au début des années 1980, il est venu à Montbéliard-Sochaux (où est l’usine Peugeot). On discutait chez Nénesse et Marie-Ange, et avec des ouvriers. C’était le « tournant » vers les usines.
Plus tard encore, je me suis éloigné de lui tout en étant proche de son bureau tapissé du drapeau kanak. Dans des moments durs, je le voyais griffonner des trucs pour des débats. Je me disais : j’ai des divergences avec lui mais c’est un lion. Il veut agir.
Salut !
Jean-Claude Mamet
Pour Alain
Comme pour de très nombreux et nombreuses camarades, même c’était devenu une perspective malheureusement de plus en plus proche, le décès d’Alain Krivine constitue un vrai choc émotionnel et, forcément, l’occasion d’un retour sur toute une période.
Comme c’est l’usage - et parce que cela fait du bien en des circonstances dramatiques - beaucoup vont évoquer des souvenirs, des rencontres, des débats, avec Alain.
Il est vrai que la vie militante d’Alain a été particulièrement riche : de la fraction de Gauche de l’UEC au NPA, en passant par la lutte contre la sale guerre d’Algérie, la fondation de la Jeunesse Communiste Révolutionnaire, Mai 68, la fondation de la Ligue Communiste. Et puis, ensuite, encore une cinquantaine d’années de combats sans concession.
Dans notre tentative de retracer l’essentiel de cette aventure - « C’était la Ligue » (Hélène Adam, François Coustal) - le nom d’Alain Krivine revient significativement plus d’une centaine de fois. Il faut dire qu’il y eut, pendant des décennies, pour les militants, pour les autres courants politiques de gauche et pour les médias une assez large identification entre « la Ligue » et Alain. Du fait d’une aversion issue de son parcours antistalinien à tout ce qui pouvait ressembler au culte de la personnalité, c’était une tendance qui ne lui plaisait pas beaucoup. Du fait, également, d’une réelle modestie qui n’est pas toujours la règle générale, y compris au sein de la gauche radicale.
Cédant à la tradition, j’évoquerai donc - parmi beaucoup d’autres possibles - deux souvenirs, en rapport avec ce qui précède.
Mon premier concerne les séances d’ouverture des congrès de la LCR dans la période un peu difficile des années 90. Dans notre tradition, ces séances étaient consacrées à un débat (sans vote) sur le bilan de la période écoulée depuis le congrès précédent. Un membre de la direction y présentait ce qu’avaient été les activités, les projets, les réalisations de la Ligue. Ses succès (modestes) et ses difficultés (nombreuses). En gros : dans des circonstances peu propices, on a fait ce que l’on pouvait...
Il faut bien le dire : la Ligue était alors à la peine et ça ne se bousculait pas vraiment au sein du noyau de direction pour présenter un bilan certes respectable mais peu enthousiasmant. Et, immédiatement suivi – la Ligue étant la Ligue – par une déferlante de critiques, genre « feu sur le quartier général ». Alors ? Alors, bien souvent, c’est Alain qui s’y collait. Pour un exercice où il n’y avait que des coups à prendre !
Le second souvenir concerne l’ouvrage à caractère autobiographique d’Alain, « Ca te passera avec l’âge » pour lequel j’ai effectué quelques travaux de vérifications documentaires et, donc, rencontré Alain à de nombreuses reprises. Alain s’était laissé convaincre de céder à la sollicitation des Éditions Flammarion, mais sans être réellement convaincu : « ça ne va intéresser personne »… Il avait en horreur « les anciens combattants », ceux pour qui la participation au Printemps révolutionnaire de 1968 constituait une rente de situation alors même qu’ils avaient renoncé à continuer le combat.
Manifestement, lui qui n’avait pas renoncé, était plus intéressé par la nouvelle campagne à lancer, la prochaine manifestation à organiser pour le samedi suivant que par la recension d’anciens faits d’armes. Et, surtout, il rechignait à se mettre en avant, à raconter « son histoire », alors pourtant que celle-ci se confondait largement avec celle de la gauche révolutionnaire. Le biais qu’il avait trouvé était l’usage fréquent d’un humour lesté d’une bonne dose d’autodérision, mais au service de convictions révolutionnaires inchangées.
François Coustal