Pendant plus de 4h30, se sont succédé une quarantaine d’interventions, et un montage vidéo d’une quinzaine de minutes réalisé par notre camarade Fred Speelman à partir d’enregistrements d’Alain. Des interventions et des vidéos entrecoupées de chansons, avec une chorale militante animée par Myriam Krivine. 4h30, c’est long, assisEs sur un fauteuil, même confortable. Mais tellement court pour évoquer plus de 60 ans d’engagements sur tous les terrains de la lutte de classe, des combats anticolonialistes, de solidarité internationaliste et de lutte contre toutes les formes d’oppression.
Crédit Photo. Photothèque Rouge/Martin Noda/Hans Lucas
Continuité d’un engagement révolutionnaire
Parce que la vie d’Alain s’entremêle étroitement à tous les combats et enjeux politiques de la période avec un fil conducteur : peser, agir, au maximum de ce qui est possible. Et donc construire l’outil militant qui le permet. De la solidarité avec la lutte du peuple algérien contre la colonisation française, étape déterminante de sa rupture avec le mouvement stalinien dans lequel il est entré en politique, à la troisième candidature de Philippe Poutou, la vie d’Alain a été rythmée par la continuité de son engagement révolutionnaire. Une continuité qui a pris mille facettes, qu’ont fait revivre les interventions de camarades d’Algérie, du Portugal, du Chili, de Russie, de Martinique, du Brésil, du Nicaragua, de Kanaky mais aussi à travers l’histoire de l’opposition dans l’UEC, la JCR puis la Ligue communiste devenue LCR et le NPA ; la presse, les réunions publiques partout où il était sollicité, les réunions internes, la vente du journal, et toujours la solidarité, l’attention envers les camarades.
Et on aurait pu encore ajouter des interventions pour rappeler une personnalité politique unique : le lien quotidien avec les camarades de l’imprimerie (dont il n’aurait manqué aucune des raclettes à Noël ou le barbecue en juillet) ; l’accueil des camarades exiléEs qui avaient dû quitter le Chili, l’Algérie en laissant tout derrière et n’avaient qu’une adresse, celle d’Alain à Rotographie, alors il secouait les réseaux de son carnet d’adresses pour trouver des solutions d’hébergement, d’emploi, d’aide administrative ; son comique de répétition pour vanter son bureau « le seul propre au deuxième étage de Roto », et récriminer contre le laisser-aller dans les espaces collectifs, ce qui l’amenait immanquablement à nettoyer toute la vaisselle abandonnée dans la cuisine collective. Car pour Alain, il n’y avait pas la politique d’un côté et les tâches matérielles réalisées par le miracle du travail de petites mains.
Avoir rencontré Alain a révolutionné nos vies
Durant toute sa vie, Alain a fait des centaines de discours, écrit des dizaines d’articles pour scruter le moindre soubresaut révolutionnaire où que ce soit dans le monde, et renforcer ainsi la confiance dans la possibilité d’une transformation révolutionnaire, en faisant partager son enthousiasme. Être révolutionnaire, profondément animé de la conviction que l’émancipation des travailleurEs et des oppriméEs ne viendra que de leur activité volontaire et consciente, ce ne sont pas des mots en attendant le grand soir. Chacun et chacune des centaines de camarades et amiEs présentEs à l’hommage à la Mutualité aurait pu raconter également toute sa série d’anecdotes personnelles. À l’inverse d’une relation verticale, au nom d’une organisation, d’un collectif cherchant à convaincre de ce que « le parti doit faire », Alain se situait comme un camarade dont le rôle était de défendre une orientation en ayant une pleine et entière confiance en chacun et chacune pour la mettre en œuvre. Par son écoute attentive il permettait de réfléchir à haute voix et de trouver des voies pour agir. Juste parce qu’il était lui-même convaincu qu’il n’y a pas « la réponse juste » mais des réponses à trouver à chaque question particulière. C’est pour cela que si Alain est un révolutionnaire qui n’a pas fait la révolution, pour des milliers de personnes aux parcours très divers, l’avoir rencontré a révolutionné notre vie. Et ce n’est pas rien.
Cet hommage a rendu tangible un lien invisible et pourtant bien réel entre nous toutes et tous. Alain l’incarnait avec son sourire, son humour et son optimisme tous indéfectibles, c’est ce qui nous a engagéEs un jour. Merci Alain, compte sur nous : aujourd’hui, demain, le combat continue.
Cathy Billard
Liste des interventions
Hubert Krivine sur l’engagement militant d’Alain
Kamel (PST) : Alain et l’Algérie
Catherine Samary : la construction du PCI, section de la IVe Internationale
Alain Cyroulnik : les années avant Mai 68
Anna Sabatova : Alain et la solidarité avec les opposantEs de l’Est
Tariq Ali sur sa rencontre avec Alain en 1968
Pierre Rousset : la guerre du Vietnam et la prison
Robert Pelletier : les comités de soldats
François Sabado : ses années de militantisme à côté d’Alain
Carmen Castillo : la solidarité avec le Chili
Message de Francisco Louçã (Portugal) lu par Andreia Galvão : Un fil tendu de la rue Gay-Lussac jusqu’au futur
Edwy Plenel : Rouge quotidien
Philippe Pierre-Charles du GRS (Martinique) sur la solidarité anticolonialiste
François Coustal : de Révo à la LCR des années 1980
Edgard Sanchez du PRT (Mexique) sur la visite d’Alain au Mexique
Mariana Sanchez sur la solidarité avec le Nicaragua
Michel Rodinson (LO)
Jean-Claude Laumonier (Rouen) : Alain, celui qui connaissait tout le monde (ou presque)...
Jean-Baptiste Eyrault : la lutte des sans
Francis Sitel (Ensemble !) : La figure de proue d’une aventure militante collective
Annick Coupé : Salut Alain et merci pour tout !
Roger Martelli : la préoccupation des liens avec le PCF
Éric Toussaint (Belgique) campagne dette et Gauche anticapitaliste européenne
Dominique Simonnot : les relations d’Alain avec la presse
Roseline Vachetta : sur les cinq ans au Parlement européen
Joao Machado (Comuna/PSOL, Brésil) : souvenir d’Alain et de ses visites à Porto Alegre
Théo : Alain, militant du comité Saint-Denis
Ilya Budraitskis : l’aide à la création du groupe en Russie
Fred pour les camarades ayant assuré la sécurité d’Alain
Carine Clément : à propos de la Russie encore
Éric Coquerel (LFI)
Mathilde Eisenberg : la transmission avec les jeunes de la IVe Internationale
Sandra Demarcq et Basile Pot : la transmission de direction lors de la création du NPA
Michelle Verdier (l’Étincelle)
A Manca : la Corse au cœur
Gaëlle (UCL)
Message de Ken Loach, lu par la présidence
Jaime Pastor d’Anticapitalistas (État espagnol) : Le soutien apporté par Alain à nos combats menés outre-Pyrénées
Ahlem Belhadj (Tunisie) : l’espoir du Printemps des peuples du monde arabe
Hnalaine Uregeï (USTKE et FLNKS) sur la solidarité avec la Kanaky
Outre les camarades de l’étranger qui sont intervenus, nous avons accueilli des camarades des organisations de la Quatrième Internationale d’Allemagne, de Suisse, de Suède, du Danemark et de Grande-Bretagne, ainsi que le camarade Roberto Robaina du MES qui a fait le voyage depuis le Brésil. Plusieurs camarades invités n’ont pas pu venir, notamment d’Italie et de Grèce.
Contribuez aux frais d’organisation de l’hommage !
Depuis que la salle de la Mutualité est passée dans le giron du privé, les tarifs qui y sont pratiqués sont prohibitifs. Nous tenions néanmoins à organiser l’hommage à Alain dans cette salle chargée d’histoire. Pour que chacunE puisse contribuer aux frais, nous avons mis en place une cagnotte Leetchi :
https://www.leetchi.com/c/hommagealainkrivine
Retrouvez l’hommage sur internet
L’intégralité de l’hommage est disponible sur sur notre chaîne YouTube :
https://www.youtube.com/c/NPALAnticapitaliste/videos
• Hebdo L’Anticapitaliste - 614 (05/05/2022). Publié le Mercredi 4 mai 2022 à 11h27 :
https://lanticapitaliste.org/actualite/politique/un-long-et-beau-samedi-dhommages-alain-krivine
Alain Krivine, le Vietnam, la prison
Pierre Rousset
Alain a été l’un des fondateurs du Comité Vietnam national, le CVN, constitué le 30 novembre 1966. Nous nous mobilisions alors sur de nombreux terrains de lutte mais, à l’heure de l’escalade militaire étasunienne, le Vietnam était véritablement devenu le point focal, l’épicentre de la géopolitique mondiale, symbolisant l’actualité du combat révolutionnaire international. De nombreux mouvements s’engageaient alors en France contre la cette guerre oh combien meurtrière, mais certains étaient rattaché à un parti, comme le Mouvement de la Paix au PCF ou les Comités Vietnam de Base au courant maoïste UJCML. Le CVN était à la fois très militant, avec un grand nombre de comités locaux, très radical dans son soutien (pour la victoire du peuple vietnamien) et de composition très large, très unitaire, rassemblant un large éventail de personnalités et de courants politiques.
Crédit Photo : Pierre Rousset, Olivier Besancenot, Kamel Aïssat et Cathy Billard. Hommage à Alain KRIVINE Mutualité, 30 avril 2022. © Photothèque Rouge / MILO
Sous le drapeau de la solidarité Vietnam, des liens se tissaient dans le monde entier. En Europe, une coordination permanente des mouvements de jeunesse radicaux avait été constituée à Liège en octobre 1966. Elle a notamment préparé la grande manifestation de février 1968 à Berlin, ou Alain était à la tête de la délégation française, largement constituée de membre de la Jeunesse communiste révolutionnaire. Ce fut l’occasion de rencontrer le dirigeant du SDS allemand Rudi Dutschke qui sera ultérieurement grièvement blessé par le tir d’un néonazi.
Ces années restent une véritable leçon d’internationalisme dont nous pouvons nous inspirer aujourd’hui encore. Elles ont aussi montré la fragilité de l’engagement internationaliste. Après la grève générale de Mai 68, toutes les organisations militantes se sont tournées vers l’enracinement social en France. Le CVN comme les CVB ont disparu. Le Vietnam continuait pourtant à subir l’escalade US et il a fallu reconstruire, trois ans après et à contre-courant, le Front solidarité Indochine (FSI) – je m’y suis attelé avec quelques fortes personnalités issues du CVN.
Vu mon âge, 75 ans, vous pensez probablement que j’appartiens à la même génération militante qu’Alain. C’est à la fois vrai et faux. Nous avons préparé Mai 68 ensemble, mais Alain, plus âgé de 5 ans, s’était engagé bien plus tôt que moi. Il avait vécu l’expérience de la solidarité clandestine avec le FLN algérien, une expérience qui ne se remplace pas et qui explique à quel point il était un cadre éprouvé quand je n’étais qu’un jeune militant.
Nous nous sommes retrouvés incarcérés, une poignée d’entre nous, au sortir de Mai 68 et après la dissolution de notre organisation, dans des conditions assez particulières, à savoir dans une aile de la prison de la santé où nous avaient précédés les militants algériens, puis l’OAS. Comme l’a noté Michèle Krivine lors des obsèques d’Alain, il y avait pire. Nous passions la nuit dans des cellules individuelles dont les portes restaient ouvertes le jour. La nuit, nous étions protégés des ronfleurs, le jour, nous pouvions socialiser. Je garde peu la mémoire de nos discussions politiques ; je me rappelle en revanche avoir été un embarras pour Alain (ce ne fut pas la seule fois). J’exigeais haut et fort notre droit de recevoir nos compagnes, une revendication qu’Alain ne trouvait trop juvénile et pas assez politique. Vint cependant un temps où cette revendication enflamma les prisons de France et fut reconnue. Chacun réagit à l’incarcération à sa manière et l’un de nos codétenus injuriait en scribouillant sur les murs le juge d’instruction dont dépendait notre libération. Là, j’étais d’accord avec Alain pour trouver cela peu opportun.
J’ai pu ultérieurement me retrouver en prison en même temps qu’Alain, mais plus jamais avec lui. Notre régime carcéral avait radicalement changé. L’administration pénitentiaire pensait que les « politiques » étaient à l’origine de mouvements de révolte des « droits communs ». En réalité et sans mystère, la révolte des détenus était provoquée par des conditions de survie insoutenables. Pointés du doigt, nous avons donc été mis à l’isolement, même durant notre heure de « récréation » quotidienne ou dans une cellule d’attente en visite médicale. Tant pis pour la socialisation.
Nous avons été assez nombreux à être incarcérés durant les années 60-70 (un peu trop fréquemment dans mon cas). Cette « expérience partagée », ainsi que de longs trajets en voiture où nous avions le loisir de nous parler librement, nous ont rapprochés et donne, au souvenir que je garde d’Alain, une précieuse épaisseur personnelle.
Les comités de soldats : « On a quand même fichu un beau bazar »
Robert Pelletier
Pour ce qui concerne les luttes dans les casernes et les comités de soldats, Alain aurait surement beaucoup aimé y prendre part. Mais quand il a fait son service militaire en 1969, il a cru bon de faire le malin et de se présenter comme candidat à l’élection présidentielle. Ceci dit, il faut reconnaître qu’il s’était passé peu de choses dans les casernes en 68 et juste après. Seules quelques mobilisations éparses.
Malgré tout on voyait bien qu’il était fort intéressé par ce qui se passait dans les casernes quand en 1973, 1974, la Ligue a décidé de tenter de développer des mobilisations dans l’armée. Pour le lancement de l’Appel des cent, il était parmi les plus enthousiastes avec Daniel, ce qui n’était pas le cas de tout le monde dans la direction de la Ligue... et c’est tout naturellement que je l’ai rencontré quand, fin août 1974, nous cherchions à amplifier le mouvement au travers d’une initiative publique. Là aussi c’est avec lui, Daniel et quelques autres membres du bureau politique de la Ligue que nous avons envisagé d’organiser une manifestation de soldats à Draguignan. Et, là, Alain m’a dit en aparté : « Si ça se fait vous risquez fort, et surtout et toi, d’écoper d’un an de prison ». Mais cela ne posait pas de problème. Pour moi, pour nous, c’était dans l’ambiance de l’époque.
Dans la suite, Alain fut présent au procès devant le Tribunal permanent des forces armées de Marseille au milieu de très nombreuses initiatives exigeant notre libération. Une campagne de solidarité qui a pesé fort lourd dans nos condamnations à minima par ce tribunal d’un autre âge. Une présence fort remarquée et qui a donné l’occasion au journal Minute d’écrire sa version de l’histoire « Vous mentez Krivine, les meneurs, ça existe ! Des »taupes rouges orchestrent la révolte dans les casernes" avec photo et articles orduriers.
Par la suite, Alain a toujours été partie prenante du soutien à ce mouvement. Un mouvement qui, je pense, a toujours fait partie des meilleurs moments de son activité politique. Et pendant des années, quand on l’évoquait, il disait toujours « On a quand même fichu un beau bazar dans ce milieu pourtant peu propice à notre militantisme ».
Un fil tendu de la rue Gay-Lussac jusqu’au futur
Francisco Louçã, Portugal
Le 10 mai 1968, je ne sais pas qui était sur les barricades de la rue Gay-Lussac, au Quartier latin. Alain certainement, on me dit qu’Ernest s’y trouvait aussi, enthousiasmé par ce monde qui changeait de base, Daniel, Janette, Charles, Henry, combien d’autres, tant de jeunes révolutionnaires qui croyaient et réalisaient leur premier assaut du ciel, fort de sa parole. Ils vivaient les assemblées, les comités, les manifestations, l’attaque de la Bourse et, à côté, le vieux général disparu, replié dans les casernes de l’armée française en Allemagne. Tout semblait à portée de la volonté.
Je ne sais pas qui était sur ces barricades.
Ce que, en revanche, j’ai appris quelques années après, c’était la légende de ces journées - et son enthousiasme nous contamina : la révolution est possible, la vieille taupe apparaît au grand jour. Alain, était-il le seul à porter une cravate ? Parmi tout le monde, lui, le plus vétéran, 25 ans, celui qui allait être candidat à la présidence l’année suivante – il fallait oser occuper les espaces, créer le mouvement – lui, c’était notre légende.
Certainement, ce monde allait être frappé par des tragédies les années suivantes : le désastre bolivien, le coup chilien avec ce stade plein de prisonniers, les femmes et les hommes massacré.es par les militaires. Et pourtant, un éclatant espoir passait les Pyrénées et je sais qu’en Espagne, comme chez nous au Portugal, on respirait ces lumières et, six années après, en 1974 [la « révolution des œillets » au Portugal], on était certains que c’était le mouvement de Mai 68 qui avait inauguré cette époque.
C’est cela la condamnation du temps : il faut regarder vers le passé pour savoir quel cycle s’est terminé et quel cycle l’a remplacé. Alors que plus d’une cinquantaine d’années séparaient les barricades de la rue Gay-Lussac de la révolution d’Octobre et une vingtaine d’années de la fin de la guerre, c’était pour nous hier, le temps de souvenirs encore vivants. Et pourtant, ils et elles brisaient le vieux monde et portaient la nouvelle génération, le cinéma et la musique changeaient, les vieux cochons trébuchaient, on écoutait la force des gens des barricades, c’était l’internationale. On ne ressentait pas la durée et tout parut instantané entre la montée de Mai et la Révolution des œillets.
Maintenant le temps pèse, 1968 est plus distant pour nous aujourd’hui qu’Octobre l’était à l’époque. Pas de problème pour Alain, « ça ne me passera pas avec l’âge », nous a-t-il dit en souriant dans ses Mémoires. La fidélité le déterminait, chercher toujours – où est-il, le maillon faible ?
Charles Péguy, que Daniel aimait tant citer, disait à propos d’un collègue qu’il avait une façon de vivre : « Partir, marcher droit, arriver quelque part. Arriver ailleurs plutôt que de ne pas arriver. Arriver où on n’allait pas plutôt que de ne pas arriver. Avant tout arriver. Tout, plutôt que de vaguer. Et que la plus grande erreur, c’est encore d’errer ». Ce chemin, c’est toute la vie d’Alain. Ne pas errer, même si l’erreur fait partie de notre vie (et combien d’erreurs avons-nous commises !), mais continuons sur les chemins de la loyauté aux nôtres, à nos devoirs, au peuple travailleur, à la planète, à l’égalité, au socialisme.
Ce chemin, c’est un fil tendu de la rue Gay-Lussac jusqu’au futur. Si nous voulons savoir qui était Alain Krivine, c’est ici qu’il faut le trouver.
Alain, celui qui connaissait tout le monde (ou presque)...
Jean-Claude Laumonier
En arrivant à l’université d’été de la Ligue, puis du NPA , on était toujours frappé par la même scène. Alain, qui tenait chaque année à assurer l’accueil, connaissait a peu près tout le monde. Il prenait des nouvelles des uns, s’inquiétait de l’absence des autres.
C’était le résultat d’années de rencontres, à l’occasion des tournées de meetings dans les villes. Elles en avaient certainement fait le meilleur connaisseur de l’organisation, et lui permettaient d’entretenir un lien personnel et chaleureux avec les militantEs.
A Rouen, les meetings d’Alain ont toujours de petits événements, depuis la première apparition de la JCR, en 1967 à l’occasion de l’assassinat de Che Guevarra jusqu’à son dernier passage lors de la fête du NPA, célébrant les 50 ans de mai 68.
Dans l’ agglomération rouennaise, à la fin des années 60 la JCR était devenue une petite force. Le PCF hégémonique, dans sa version la plus stalinienne, (Roland Leroy en était le « patron ») n’entendait pas tolérer l’émergence de la moindre opposition sur sa gauche. La réunion publique d’ hommage au Che, organisée par la JCR avec la participation d’Alain ne put se tenir. Le service d’ordre musclé du parti occupa la salle et mena le débat... à coup de chaises. Elle se termina dans le garage de mes parents, où Alain prit la parole, encouragea les militants à ne pas se laisser intimider. Il revint quelques semaines plus tard tenir le meeting devant cette fois plusieurs centaines de participants et à l’extérieur, de staliniens rageurs mais impuissants.
Alain fut aussi présent pour soutenir nos militants dans la citadelle stalinienne qu’était les papèteries de la Chapelle, où le PCF essayait d’interdire à coups de poings toute distribution du bulletin de la Ligue communiste. Lui « l’intello » que les staliniens sommaient de « faire voir ses mains », discutait à l’aise et simplement avec les ouvriers devant l’entreprise.
Ce furent aussi les grands moments de ses campagnes présidentielles de 69, où la moitié des participants durent écouter le meeting dans la rue faute de place, ou celle de 74 tenue dans un improbable théâtre en plein air, aucune salle n’ayant pu être obtenue.
Ce fut le « passage de témoin » d’Alain , lors de la campagne d’Olivier Besancenot en 2002. Accompagné de Léon Schwarzenberg, Alain se réjouissait de voir l’affluence dans la salle archi pleine où il tenait autrefois ses meetings et le combat se poursuivre avec une nouvelle génération.
Ce fut enfin son dernier passage, pour parler en 2018 de l’actualité de Mai 68, et tenter d’en transmettre les enseignements toujours valables aux générations suivantes.
Il y eut aussi d’autres réunions, dans les moments de doutes, plus difficiles, où son incorrigible optimisme, s’efforçait de maintenir le cap et de tracer de nouvelles perspectives.
Les passages d’Alain à Rouen, ce n’était pas seulement, pour lui et pour nous les interventions et l’enthousiasme d’un meeting, mais c’était presque autant, avant et après, ces moments de discussion et de partage avec les militants et les sympathisants, autour d’un pot ou chez l’un d’entre nous. Il s’y s’inquiétait de la santé d’un absent, du départ d’un autre. pouvait il contribuer à le faire revenir ? il allait l’appeler. Il faisait la connaissance de nouveaux militants s’efforçait de convaincre avec patience un sympathisant de nous rejoindre, s’intéressant aux personnes et pas seulement aux idées.
En apprenant le décès d’Alain, nos filles , qui ne sont pas des militantes, ont évoqué leurs souvenirs des passages d’Alain à la maison quand elles étaient petites. l’une d’elle se rappelant lui avoir « prêté sa chambre », mais surtout se souvenant qu’il avait pris le temps de parler avec elle, s’était intéressé à ses préoccupations, ce qui n’était pas toujours le cas des nombreux camarades qui passaient ou venaient pour des réunions.
Cela aussi c’était Alain.
La figure de proue d’une aventure militante collective
Francis Sitel, co-directeur de la revue ContreTemps et membre d’ENSEMBLE
Une belle unanimité existe pour reconnaître les qualités, humaines et politiques, d’Alain Krivine. Et pour saluer au terme de toute une vie, la fidélité infaillible à ses engagements de jeunesse.
Pourquoi ne pas adjoindre à cet hommage, une interrogation : qu’est-ce qui fait qu’Alain Krivine a été la figure de proue d’une aventure militante collective ? Plus de 6 décennies durant, de Mai 68 au 21e siècle, celle de cette organisation qui était la section française de la IVe Internationale. Elle a porté différents noms, JCR, LC, LCR, jusqu’au NPA, et restera comme ayant été La Ligue ?
Plus de 6 décennies, cela veut dire, malgré le singulier d’un ouvrage célèbre, plusieurs générations politiques et militantes, ici en France, mais bien au-delà à l’échelle internationale.
De cette aventure au long cours, Alain Krivine en est plus que le témoin, il en fut pleinement acteur.
Pas n’importe quel acteur, un militant internationaliste, un dirigeant révolutionnaire.
Penser et agir comme révolutionnaire, c’est se ressourcer à une histoire séculaire, celle des combats de toujours des opprimés, celle des soulèvements révolutionnaires du 18e au 20e siècle, de ceux du monde contemporain et de ses différents continents.
C’est surtout donner un horizon à sa pensée et à son action, celui de l’émancipation humaine.
Donc, ni nostalgie du passé, ni enfermement dans l’attente du futur. Mais élan pour relever les défis du présent. Un travail mené dans la presse de la Ligue, on vient de parler de Rouge, le titre phare, évoquons aussi la revue Critique communiste continuée avec ContreTemps.
Et avant tout dans l’action. Alain Krivine a toujours été aux côtés, souvent en première ligne, des combats de tous les Sans, sans papiers, sans logement, sans droits, sans reconnaissance de leur liberté et de leur dignité… Qu’ils et elles soient d’ici ou d’ailleurs, Français ou immigrés, hier Algériens et Vietnamiens, puis Tchèques, Chiliens, Polonais, ou Kanak…
Cette énergie à être de tous les combats, ce talent à savoir souvent les organiser, il en a donné des preuves incessantes. Sans aucune forfanterie. Au contraire avec humour et modestie.
Et en toute conscience que cette capacité de lutte exige de l’organisation, avec ce qu’une organisation demande de discipline, de rigueur, parfois de sacrifice… Du parti d’avant garde, Alain Krivine en avait une conception pratique : à cent lieues de toute auto-proclamation sectaire, plutôt l’habitude de se porter en avant, avec lucidité et détermination, pour aider à la mobilisation collective. Et aussi la volonté de s’ouvrir aux autres, de saisir les opportunités politiques, permettant de progresser parfois, d’empêcher des reculs souvent…
Alain Krivine était intransigeant, mais attentif aux autres. Disponible pour de possibles recompositions politiques, par exemple celle avec les Rénovateurs communistes à la fin des années 1980, dont certains autrefois avaient voté son exclusion du PC…
Alain Krivine, ces derniers mois, a été empêché de répondre présent aux côtés des Kanak, dont de longue date la cause lui était chère, et aujourd’hui en solidarité avec le peuple ukrainien.
Une absence qui est comme une blessure.
Et aussi un rappel, ineffaçable, que le combat, son combat, continue...
Salut Alain et merci pour tout !
Annick Coupé
Alain Krivine était de la génération précédent la mienne.… Depuis mon engagement politique des années 70, il a fait partie de mon univers militant, même si j’ai participé à un autre courant d’extrême-gauche que le sien… et à l’époque, je peux dire que le sectarisme était largement partagé dans les groupes politiques, notamment chez les maos…
Depuis 50 ans, au-delà des aléas de la vie politique de gauche et d’extrême gauche dans notre pays, Alain a été et restera une référence.
Porte parole chaleureux et déterminé de la LCR, c’est surtout depuis une trentaine d’années que nous nous sommes beaucoup croisés et avons participé ensemble à de nombreux combats.
A l’automne 1988, presque 35 ans, déjà, deux conflits importants, à la Poste et dans la santé, ont lieu alors qu’un gouvernement socialiste est au pouvoir avec Michel Rocard comme Premier ministre. Alain et la LCR, comme toujours, vont soutenir ces luttes sociales et les coordinations qui se sont mises en place dans ces deux conflits . C’était une « marque de fabrique » d’Alain d’être toujours aux cotés de celles et ceux qui luttent ; et qui s’organisent pour mener leurs luttes collectivement. Cette lutte conduira notamment fin 1988, à notre éviction de la CFDT. Le choix que nous avons fait alors de créer SUD-PTT n’était sans doute pas conforme à la doctrine officielle de la LCR, à l’époque, en matière de travail syndical. Alain eu l’intelligence politique de ne pas mettre de bâtons dans les roues des militant·es de la LCR qui s’impliqueront dans cette construction.
Depuis cette époque, j’ai fait de nombreuses manifestations à ses côtés : lui représentant de la LCR, moi pour SUD-PTT puis pour Solidaires…
En vrac, me reviennent en mémoire : le mouvement social de 1995, l’église Saint Bernard et les luttes de sans papiers, les marches contre le chômage, les soutiens à des luttes ouvrières locales, la lutte contre le TCE, le CPE, le mouvement altermondialiste et les forums sociaux, le soutien à des militant·es du monde entier victimes de répression dans leur pays, ou l’appui au FLNKS et à la Kanaky… Je me souviens aussi d’une GayPride où un manifestant particulièrement fougueux est venu embrasser Alain pour le remercier d’être là et lui a laissé une belle trace de rouge à lèvres… Je n’ai pas senti Alain très à l’aise face à cette démonstration affectueuse inattendue : mais il s’est marré !
Je me souviens aussi de ses coups de fil pour me proposer de signer ensemble des textes unitaires, divers et variés, pour soutenir une lutte ici ou à l’autre bout du monde, pour dénoncer la répression contre des mouvements ou des militantes et militants. il commençait invariablement son appel par « bonjour, madame Sud »…
Côte à côte dans de nombreuses manifestations, il me faisait rire avec des remarques aigres-douces sur tel ou tel militant, ou avec son humour parfois très approximatif…
Militant historique du trotskisme, il n’a jamais développé le sectarisme d’autres mouvements de ce courant. Il a toujours été curieux et ouvert : ce qui semblait compter à ses yeux, c’est la capacité de rassembler dans la lutte, la capacité de mise en mouvement, du passage à l’action.
Il y a quelques années, en 2016, nous nous sommes retrouvés deux fois à quelques jours d’intervalle au Père Lachaise pour l’enterrement de deux militant.es. Il m’a salué en me disant : "la prochaine fois, ce sera pour moi » … Six ans après, Alain Krivine nous a quitté.
Depuis sa jeunesse, il n’a jamais abandonné les combats pour transformer le monde. Il avait la solidarité, l’idée révolutionnaire et l’internationalisme chevillés au corps et au cœur : dans cette période troublée au plan national comme international, ce sont des valeurs et des combats dont nous avons plus que jamais besoin !
Salut Alain et merci pour tout !
La préoccupation des liens avec le PCF
Roger Martelli
Si je n’étais pas matérialiste et athée, je dirais qu’Alain Krivine a été longtemps le diable pour moi. Il était « le » gauchiste par excellence, le malade infantile, le petit-bourgeois, l’antiléniniste qui ne connaissait rien du peuple ouvrier. Je n’ai pas attendu de le connaître pour me dégager de ces niaiseries, mais le mouvement s’est accéléré quand je l’ai rencontré pour la première fois. C’était au tout début des années quatre-vingt-dix, quand ceux que l’on appelait les refondateurs communistes pensaient qu’ils allaient pouvoir, dans un même temps, contribuer à refonder le communisme, à rééquilibrer la gauche et à faire naître un « pôle de radicalité ».
C’est pour faire vivre ce rêve que j’ai pris contact avec la Ligue et que j’ai enfin connu Alain. J’ai découvert un homme chaleureux, subtil, sans esbrouffe, engagé, militant droit dans ses convictions mais sans sectarisme, qui s’est toujours refusé à passer de la casquette Trotsky au Rotary Club. Et, cerise sur le gâteau, il connaissait le Parti communiste bien mieux que moi, le scrutait avec une passion jamais démentie, attentif à tout ce qui s’y passait, toujours prompt à repérer ce qui pouvait faire bouger une formation restée si longtemps populaire et ouvrière, comme cela nous fait tant défaut aujourd’hui. Cette image attachante de lui ne s’est jamais effacée au fil des années, quelles qu’aient été les complexités voire les méandres de la lutte politique.
J’ai écrit et je redis ici qu’Alain m’a aidé à mesurer la tragédie historique qui, par la faute du stalinisme, a violemment séparé les héritiers assumés du bolchevisme dès les années 1920. Elle a meurtri, trop souvent cruellement, celles et ceux dans lesquels Alain s’est reconnu, dans lesquels beaucoup d’entre vous se sont reconnus. Elle a aussi contribué à son insu – c’est bien là toujours la ruse de l’histoire - à l’enfermement et à l’ankylose du Parti communiste lui-même. En pensant à Alain, comme à son frère d’armes Daniel Bensaïd, en pensant à vous tous, je reste convaincu que le rassemblement d’une gauche émancipatrice, de fibre révolutionnaire et populaire, est toujours un objectif stratégique, dès lors qu’on ne sépare pas ce rassemblement de cette autre exigence : la constitution, chaque fois que c’est possible, de majorités potentielles actives, pour rompre avec les aliénations dominantes et pour ainsi changer la vie, dans les actes et pas dans les seuls mots.
Les premières fois que j’ai participé à des initiatives de la Ligue, je n’étais pas sûr de moi. Que viens-je chercher auprès de ces gens que j’ai dénigrés, avec lesquels j’ai même pu faire le coup de poing dans notre folle jeunesse ? Serais-je en train de capituler devant le gauchisme ? J’ai très vite admis que ces appréhensions n’étaient que des scories d’un passé heureusement dépassé. Alain a compté beaucoup dans cet apaisement.
Vous aurez compris que, alors qu’il ne s’en est jamais douté, je lui dois énormément de choses. C’est donc en toute sincérité et avec émotion que je dis, devant vous, toute ma gratitude : merci, camarade Krivine !
Le soutien apporté par Alain à nos combats menés outre-Pyrénées
Jaime Pastor
Membre d’Anticapitalistas et éditeur de Viento Sur
Depuis Mai 68 Alain a été connu dans l’État espagnol et dans beaucoup d’autres pays comme une référence majeure d’une génération politique qui aspirait à changer le monde de base, mais aussi tout au long de sa vie comme un exemple de persévérance, malgré les défaites subies, dans la lutte contre toutes les injustices et dans la non-capitulation face aux pouvoirs dominants.
Il a pratiqué aussi toujours un internationalisme militant partout en tant que membre de la Quatrième Internationale voyageant là où on lui demandait d’y aller pour montrer sa solidarité avec l’activité des différentes sections. Il l’a montré dans notre cas (la LCR de l’État espagnole) avec son soutien à notre combat contre la dictature franquiste et il a payé pour cela, ayant été arrêté à Madrid et expulsé du pays en octobre 1976 (avec Thierry Jouvet, connu comme Michel Rovère, journaliste de Rouge) après avoir participé à un meeting unitaire pour l’Amnistie à l’Université. La nouvelle est apparue alors en première page de la presse espagnole, qui reproduisait l’accusation de la police franquiste contre lui d’être venu pour diffuser « les tactiques révolutionnaires de Mai 1968 à Paris et les nouvelles stratégies de mobilisations des masses étudiantes ».
Plus tard, il a participé à différentes activités de notre courant et même plusieurs fois à des débats à la télévision publique sous le nouveau régime postfranquiste. Une des dernières occasions où on a partagé un meeting avec lui a été celui que Izquierda Anticapitalista a organisé à Madrid en 2012 en hommage à notre cher camarade Daniel Bensaïd.
Daniel et Alain ont été des références indispensables pour la nouvelle génération qui, dans le cadre du mouvement altermondialiste et, plus tard, du mouvement 15M en 2011, s’est engagée dans la politique révolutionnaire et a été et reste protagoniste de la construction de Izquierda Anticapitalista, aujourd’hui Anticapitalistas. Pour eux et elles, Alain a représenté aussi la défense intransigeante de la nécessité de construire un parti radical et à la fois ouvert, au service du mouvement ouvrier, mais aussi des différents mouvements sociaux qui se développent contre toute forme de domination, exploitation et aliénation.
Alain a été, enfin, apprécié par sa sympathie personnelle et par son optimisme militant, toujours à la recherche de nouvelles perspectives révolutionnaires à travers les luttes auxquelles il participait ou soutenait partout dans le monde ; un optimisme qui nous rappelait à l’ancienne génération celui du dirigeant historique de la Quatrième Internationale Ernest Mandel, une référence aussi inoubliable dans notre histoire commune.
Beaucoup de raisons, donc, pour le garder toujours à notre mémoire.
Lettre du NPA à Lutte ouvrière suite à l’hommage à Alain Krivine
Crédit Photo. Photothèque rouge/Martin Noda/Hans Lucas
Camarades,
Les mots sont difficiles à trouver pour exprimer, en gardant la mesure, l’étonnement et la colère ressentie par les centaines de personnes réunies samedi 30 avril pour l’hommage à notre camarade Alain Krivine.
Depuis des décennies, la LC, devenue LCR puis NPA, et Lutte ouvrière, se côtoient dans des mobilisations, discutent, polémiquent plus ou moins rugueusement, ont parfois fait des alliances électorales. Elles ont même, à une époque, envisagé de fusionner. Autrement dit des relations « normales » entre deux courants révolutionnaires respectueux, collectivement, de leurs cadres respectifs et, individuellement, de leurs militant·e·s.
C’est pourquoi nous avons été profondément heurté·e·s, blessé·e·s même, par l’intervention de Michel Rodinson, faite au nom de la direction de Lutte ouvrière. Il a en effet jugé bon d’utiliser comme tribune l’hommage que nous vous avions proposé de prononcer pour, une fois expédié le salut à la fidélité d’Alain, passer au vitriol les politiques menées par notre courant international et sa section française dont Alain a été un des dirigeants durant 60 ans. Michel Rodinson est même allé jusqu’à polémiquer sur notre orientation concernant les prochaines élections législatives, à propos de laquelle, vous nous l’accorderez, Alain n’a aucune responsabilité...
Le tout avec une tonalité que nous ne détaillerons pas, mais volontairement insultante et méprisante, délibérément choisie pour blesser l’assistance. Cette attitude, inacceptable dans les rapports entre organisations du mouvement ouvrier, a fortiori lors d’un hommage, ne peut être vécue que comme une agression politique de votre part contre notre courant, constituant une rupture du cadre de confiance et du respect qui pouvait exister entre nous. Maintenir et justifier une telle attitude entraînerait une altération majeure de nos rapports à venir, y compris sur notre possible participation à vos futures initiatives.
Nos désaccords, que ce soit sur nos conceptions de la solidarité internationaliste, sur l’analyse de la situation ou sur les choix de tactiques électorales, sont légitimes. Nous ne nous sommes jamais dérobé·e·s à la confrontation, voire à la polémique, y compris publique, qui sont pour nous une bouffée d’oxygène indispensable à la réflexion politique. Au-delà des rapports entre nos organisations, c’est même pour nous un élément sans lequel un mouvement ouvrier vivant ne peut exister. Nous vous avions d’ailleurs proposé, suite à la séquence présidentielle, une réunion « bilans et perspectives » pour échanger sur les rapports de forces issus de cette séquence et les formes possibles d’intervention des révolutionnaires, entre autres autour des législatives. Vous avez refusé, nous renvoyant à un débat pendant votre fête, soit après la date de dépôt des listes. Dont acte.
Mais ce qui s’est passé lors de l’hommage à Alain Krivine n’a rien à voir avec la confrontation d’idées, et tout à voir avec une provocation irrespectueuse, à propos de laquelle nous nous devions de vous interpeller.
Dans l’attente d’une réponse et, nous l’espérons, des nécessaires excuses de votre part, a fortiori dans la mesure où cet incident s’est produit quelques jours après que vous nous avez invité à votre fête, nous rendons publique cette lettre, ainsi que la vidéo de l’intervention de Michel Rodinson.
Le Comité exécutif du NPA, le 5 mai 2022
L’intervention de Lutte ouvrière est visible sur notre chaîne YouTube (à partir de 56’ environ).