Fin janvier 2007, le Département de l’économie (DEC) du canton de Vaud et Gastrovaud, association patronale des cafetiers, restaurateurs et hôteliers, annonçaient l’ouverture d’un « restaurant-école » pour les chômeurs-euses de cette branche, dans le but notamment « d’améliorer les compétences et le niveau de formation des demandeurs d’emploi concernés ». Devant être inauguré le Premier Mai 2007, ce « restaurant-école » intégrera 14 chômeurs-euses par volée et les formations, financées par l’assurance-chômage (LACI), devraient durer entre trois et six mois, aboutissant à une attestation établie par Gastrovaud. Cette « formation » se fera au restaurant de la Pinte Vaudoise, établissement public à Pully, dont Gastrovaud est propriétaire. Le DEC versera une subvention annuelle de 700.000 francs pour ce projet, dont le budget annuel ascende à 1,7 million de francs.
Travail gratuit et salaires de misère
Dans cette opération, l’Etat de Vaud fournit une main d’œuvre gratuite à un établissement à but lucratif, fonctionnant depuis de nombreuses années avec du personnel salarié. Les chômeurs et chômeuses – tous et toutes des gens du métier avec ou sans CFC – toucheront en effet une indemnité de l’assurance-chômage correspondant à 80% – voir 70% – de leur gain assuré, tout en travaillant dans ce restaurant. Une rémunération misérable. A la cuisine, au service, au buffet ou à la lingerie, ils-elles seront ainsi mis directement en concurrence avec leurs collègues salarié-e-s.
Il faut souligner que, dans cette branche, les salaires sont déjà extrêmement bas. La Convention collective nationale de travail pour les hôtels, restaurants et cafés (CCNT) fixe un salaire minimum de 3242 francs pour les « collaborateurs sans apprentissage ». Et très souvent ces salaires minimaux ne sont pas respectés. De plus, dans ce secteur, de nombreuses femmes travaillent à temps partiel. La main d’œuvre y est particulièrement exploitée. Selon les calculs de l’Observatoire universitaire de l’emploi de Genève, calcul fondé sur l’Enquête suisse sur la structure des salaires 2004 de l’Office fédéral des statistiques, 10,3% des femmes employées dans l’hôtellerie et la restauration gagnent moins de 3000 francs brut par mois pour un travail à plein temps, et 38,2% moins de 3500 francs brut. 65,8% des femmes et 49,4% des hommes gagnent moins de 4000 francs brut.
Le DEC, en obligeant les chômeuses et chômeurs à travailler, sans salaire, dans le cadre de ce prétendu projet de formation et de réinsertion, contribue à une politique patronale de pression à la baisse sur les salaires. Il cautionne les salaires très bas existant dans ce secteur professionnel. Relevons en outre que ce travail forcé, dans le cadre des emplois temporaires subventionnés mis en place par la LACI, n’est pas compté comme « période de travail » : il ne prolonge donc pas d’autant la durée d’indemnisation chômage de la personne concernée.
Suspicion à l’égard des chômeuses et chômeurs
La Cheffe du DEC, Mme Jacqueline Maurer-Mayor, a affirmé, dans le cadre de la présentation de ce projet, « que ce dispositif doit aussi permettre de tester la volonté au travail de certaines personnes et d’intensifier les contrôles concernant certains chômeurs dont des indices nous laissent à penser qu’ils travaillent sans déclarer leurs gains à qui de droit ». Le chômeur fainéant, le chômeur qui triche : l’Etat montre du doigt les chômeuses et chômeurs en les stigmatisant. Le discours de l’UDC sur les abus est ainsi, une fois de plus, repris officiellement et relayé par tous les partis gouvernementaux ! Le Service de l’emploi a, pour sa part, indiqué publiquement qu’il avait été possible de « pincer », en 2006 dans le canton de Vaud, dans le cadre de la lutte contre le travail au noir, 30 contrevenants, soit le cinquième des employeurs ayant reçu la visite des inspecteurs. L’Association de défense des chômeuses et chômeurs (ADC) a interpellé la Conseillère d’Etat pour connaître précisément le nombre de chômeuses et chômeurs pris dans ces contrôles et celles et ceux qui auraient été surpris « en flagrant délit d’abus vis-à-vis de la LACI ». Pour l’heure, aucune réponse…
Un front du refus
L’ADC, avec la Fédération syndicale SUD, l’OSL, le POP & Gauche en mouvement, Attac Vaud, Comedia et solidaritéS, ont exprimé, dans une lettre ouverte à la Cheffe du DEC, leur opposition à ce projet qui « s’apparente plus à de l’asservissement qu’à une démarche permettant de donner appui à des personnes au chômage pour retrouver du travail ». Il est particulièrement inacceptable qu’à l’avenir les employeurs puissent s’attabler au « restaurant-école » et choisir, comme sur un marché à bétail, leurs éventuels futurs employé-e-s ! Ces organisations ont demandé aux syndicats de la restauration de ne pas participer à la « commission d’accompagnement » du projet, comprenant les partenaires sociaux ». Elles ont également protesté vigoureusement contre la provocation que constituait la date d’inauguration de ce « restaurant-école », le Premier Mai. Sur ce seul point, le DEC et Gastrovaud ont fait marche arrière... ils ont renonçé à l’inauguration !
Neuchâtel
Pas de cadeaux pour les bas revenus !
Marianne Ebel
Comme il était prévisible, le Grand Conseil Neuchâtelois s’est félicité de « l’embellie financière » et des comptes 2006, bouclés sur des chiffres noirs, avec près de 90 millions de recettes supplémentaires par rapport au budget 2006.
C’est le résultat des bénéfices considérables des entreprises qui paient encore des impôts, mais aussi des coupes dans les budgets sociaux et des économies réalisées sur les salaires et les conditions de travail du personnel des services publics.
Face à ce résultat, nous avons insisté pour que les erreurs les plus flagrantes, les injustices les plus évidentes, soient corrigées. Seuls solidaritéS et le POP ont défendu jusqu’au bout la nécessité de trouver un moyen de corriger l’erreur. Ensemble avec les Verts, nous avons déposé un amendement aux comptes 2006 qui demandait la réintroduction immédiate des catégories 4 et 5 pour les subventions de la caisse maladie (LAMAL). Le Conseil d’Etat a combattu notre proposition. Les député-e-s du PS ne nous ont pas suivis. Au vote, nous avons perdu. En signe de protestation, pour dénoncer non des chiffres faux, mais la mauvaise gestion du Conseil d’Etat, solidaritéS et le POP ont refusé les comptes 2006.
Qu’à l’heure de certains revers électoraux, le Parti Socialiste Suisse se préoccupe de ses thèmes de campagne électorale est une chose, mais qu’il n’oublie pas que sa politique est aussi jugée sur ce qu’il fait pratiquement quand il gouverne, à Berne comme dans les cantons, d’autant plus lorsqu’il est majoritaire, comme c’est le cas à Neuchâtel. L’onde de choc de la politique gouvernementale du PS dans le canton de Neuchâtel a atteint tout le pays ; désormais chacun sait que quand le PS est majoritaire dans un gouvernement, sa priorité va au rétablissement de l’équilibre financier en n’hésitant pas à couper dans les prestations sociales et les salaires, ce qui lui permet de récolter une « standing ovation », des député-e-s radicaux à ceux de l’UDC. Mais que pensent celles et ceux qui n’arrivent pas à vivre de leurs maigres salaires ou qui n’ont plus de salaires du tout et voient leurs minces revenus encore amputés ? Cette question mériterait une réflexion aussi importante que celle qui agite aujourd’hui le parti socialiste autour des thèmes de sa prochaine campagne électorale.
Taxer les fortunes, pas les prestations
Le 23 octobre 2006, l’initiative cantonale « Pour une participation des grandes fortunes limitée dans le temps » a été déposée avec 6240 signatures valables. Elle propose un impôt progressif, jusqu’à 1%, pour les fortunes de plus d’un million, limité dans le temps (4 ans). Lancée en avril 2006 par l’Union Syndicale Cantonale, solidaritéS, ATTAC, les Verts, le POP et le Mouvement populaire des familles (le Parti Socialiste ayant refusé de s’associer à ce projet), cette initiative vient d’être analysée par le Conseil d’Etat sous l’angle de la recevabilité matérielle (Rapport du Conseil d’Etat 07.015).
Jugée recevable, elle devra maintenant être examinée dans les 12 prochains mois par le Grand Conseil. Les initiants avaient demandé au Conseil d’Etat d’accélérer la procédure pour permettre de soumettre l’initiative au Grand Conseil et au peuple, si nécessaire, encore en 2007. Y arriverons-nous ? S’il a fallu 6 mois pour la déclarer recevable, combien en faudra-t-il pour qu’elle soit discutée au Grand Conseil ?
Si toute la gauche se montre unie, une majorité du Grand Conseil pourrait adopter cet impôt extraordinaire sur les plus fortuné-e-s. Les député-e-s du PS suivront-ils-elles le groupe PopVertsSol dans cette voie ? L’avenir nous le dira. Dans le cas inverse, ou en cas de référendum, le peuple devra se prononcer. Nous sommes prêts pour la campagne. (me)