Le Syndicat des conducteurs de train (GDL-Gewerkschaft Deutscher Lokomotivführer) a obtenu gain de cause sur sa principale revendication dans le conflit conventionnel avec la Deutsche Bahn : la semaine de 35 heures [au lieu de 38 heures actuellement], avec compensation salariale intégrale. Son argumentation concernait la charge de travail importante des conducteurs de train, notamment en raison du travail posté [donc avec nécessité d’accomplir un travail à des heures différentes sur une période donnée]. GDL pouvait faire valoir qu’il n’y avait parfois que neuf heures entre deux tours de service ; rentrer chez soi, manger, dormir, retourner au travail en si peu de temps et le faire avec toute son aptitude, qui pouvait approuver cela ? Il était dès lors tout à fait compréhensible que le GDL mène une grève dure [depuis novembre 2023, la grève a été menée à six reprises, pendant quelques jours d’affilée].
Lorsque les politiciens des Unionsparteien (c’est-à-dire la CDU/CSU) objectent que les clients des chemins de fer ont également droit à un « service minimum » (Mindestversorgung) et que celui-ci n’a pas été respecté, ils oublient que le terme « service » (Versorgung) vient du terme « préoccupation » (Sorge). Ce dont on doit se préoccuper dans le transport ferroviaire, c’est de la sécurité contre les accidents et non de la garantie que le plus grand nombre possible de trains circulent même pendant un conflit social. Il en va de même lorsqu’il y a une grève dans les hôpitaux : dans ce cas, ce qui doit exister aussi, c’est la protection totale de la vie et de la santé des patients. A quoi servirait un plus grand nombre de trains pendant une grève si l’un d’entre eux déraillait parce que le conducteur était fatigué ?
Bien que l’accord sur les 35 heures de travail [par étapes d’ici 2029 : 37 heures depuis 2026, 36 heures depuis 2027, 35,5 heures depuis 2028 et 35 heures depuis 2029] a été trouvé, la direction de la Deutsche Bahn peut, elle aussi, affirmer à juste titre qu’elle a pu maintenir son point de vue. En effet, les 35 heures ne seront pas appliquées automatiquement, comme le voulait le GDL, mais seulement pour les mécaniciens (conducteurs) qui le souhaitent et le demandent [la première étape à hauteur de 37 heures est toutefois automatique, mais peut être individuellement non adoptée]. Ceux qui demandent les 35 heures n’auront pas droit à l’augmentation de salaire [de 2,7% par heure supplémentaire, pour ceux qui continuent à 38 ou même 40 heures]. Certes, tous toucheront l’augmentation générale sur laquelle un accord a été trouvé [augmentation de 420 euros en deux parties et compensation unique de 2850 euros pour compenser les effets de l’inflation].
Cela signifie en fait que le syndicat et Deutsche Bahn ont délégué l’objet de leur conflit aux travailleurs et travailleuses eux-mêmes. Celui ou celle qui veut travailler 38 heures, comme jusqu’à présent, ou même 40 heures, peut le faire. Il ou elle recevrait alors un salaire supplémentaire de 14% pour 40 heures [ce qui renvoie à l’augmentation de 2,7% par heure]. En supposant que tout le monde choisisse cette solution, la Deutsche Bahn aurait eu raison d’affirmer que la lutte pour les 35 heures a reposé sur l’invention d’une détresse des travailleurs qui n’existe pas. Si elle est prête à payer 14% de plus pour cela, cela lui revient quand même moins cher que si tous les conducteurs se décidaient pour les 35 heures. Car dans ce cas, Deutsche Bahn devrait vraiment engager plus de mécanicien(ne)s, ce à quoi elle s’est surtout opposée. [Dans ce contexte, la direction de la Deutsch Bahn avait mis l’accent sur le Leistungsprinzip : „Wer mehr arbeitet, verdient entsprechend mehr.– sur le principe de performance/productivité : « Celui qui travaille plus gagne plus en conséquence ».]
A l’avenir : le processus de conciliation avant la grève
Le GDL a d’ailleurs proposé de négocier un processus de conciliation avec la Deutsche Bahn. En acceptant ce processus, GDL répond à l’une des exigences au travers desquelles les partis de la CDU/CSU et le FDP veulent restreindre le droit de grève : on se mettrait d’accord sur le fait qu’une tentative de conciliation marquerait le début du conflit social et que les grèves ne pourraient intervenir qu’après son échec. Le syndicat peut s’y résoudre dans la mesure où cela ne nuit pas au conflit social, et même cela peut contribuer à ce que les objectifs des adversaires des négociations soient dès le début transparents pour le public. En même temps, avec son offre, le GDL montre qu’il est capable de faire des compromis malgré sa détermination. Il affaiblit ainsi les attaques de ceux qui s’attaquent au droit de grève.
Le GDL le fait, bien que de telles attaques n’aient actuellement aucune chance, car le chancelier s’est déjà clairement positionné face à cette droite affirmée. Le droit de mener des grèves, dit Olaf Scholz, « fait partie des libertés qui sont si bien réglées dans notre loi fondamentale qu’elles ne peuvent pas être simplement supprimées, même par des lois » [Scholz l’a affirmé un jour avant une nouvelle grève dans le secteur du transport ferroviaire passagers qui devait débuter le 24 janvier]. Ce genre de pare-feu mis en avant clairement relève du SPD dont nous avons besoin, SPD dont Scholz est membre.
Michael Jäger