Rappelons que la consommation électrique française a baissé, en 2006, et que nous exportons déjà une production d’électricité équivalente à sept réacteurs nucléaires : la France est clairement dans une situation de surproduction, ce qui rend le réacteur EPR totalement inutile. De plus, l’implantation de l’EPR à Flamanville (Manche), dans une région déjà fortement productrice, rend nécessaire le transport de l’électricité vers les Pays-de-la-Loire. Ceci impliquera la création d’un nouveau couloir de lignes à très haute tension (THT, 400 000 volts) d’environ 200 kilo¬mètres, jusqu’à Laval-Sud, ce qui explique le caractère étendu de la mobilisation.
Des déchets ingérables
En réalité, Areva, qui a bien du mal à vendre son « nouveau » réacteur nucléaire, se sert de Flamanville comme d’une vitrine commerciale. Après l’échec du « contrat du siècle » portant sur la construction de quatre réacteurs en Chine, Areva a dû brader deux réacteurs à quasiment moitié prix. Autant dire que le groupe n’est pas sorti d’affaire. En Finlande, les travaux de l’EPR rencontrent de grosses difficultés. L’Agence de sûreté finlandaise vient de publier un rapport cinglant contre l’EPR : anomalies dans la composition du béton et de certains composants, absence de maîtrise des sous-traitants, retard (qui risque de coûter entre 600 millions et 1 milliard d’euros à Areva). La Coface [1] cherche à tirer le groupe français d’affaire en lui fournissant une garantie de 610 millions d’euros, exactement la somme minimale qui risque d’être perdue en Finlande : un sordide mélange de logique libérale (sous-traitance, précarité) et d’étatisme mafieux visant à nous imposer un projet inutile et dangereux.
Au-delà de l’EPR, de nombreuses raisons nous font refuser l’industrie nucléaire dans sa globa¬lité. Issu des recherches militaires d’après-guerre, le nucléaire civil, source d’électricité, n’a jamais été qu’un prétexte pour produire le plutonium nécessaire à la fabrication de bombes. Et ce choix du passé pèse encore sur notre vie quotidienne. D’abord, sur celle des 25 000 à 30 000 salariés précaires des boîtes de sous-traitance faisant le sale boulot, c’est-à-dire l’entretien et la maintenance de nos centrales. Cette scandaleuse division sociale du travail, fondée sur l’exploitation de salariés précaires peu informés de leurs droits et des règles de sécurité, ne laisse aucun choix aux travailleurs soumis à la pression du chômage. Mais les risques sur la santé ne pèsent pas que sur les travailleurs du nucléaire :
– les centrales, qui dégagent des déchets radioactifs, sont contaminantes : à La Hague, le taux élevé de leucémie infantile est lié aux rejets de l’usine de retraitement ;
– la gestion de ses déchets est insoluble, ce qui justifie pleinement le rejet du nucléaire. Il nous faut d’ailleurs dénoncer le criminel projet d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure : sur ce sujet, comme sur d’autres, ne comptons par sur Dominique Voynet, car c’est elle qui, sous la gauche plurielle, a signé le décret d’exploitation visant à transformer la Terre en poubelle nucléaire.
Le lobby nucléaire évoque fallacieusement « l’indépendance énergétique » que nous confé¬rerait le nucléaire, jetant un voile hy¬pocrite sur le problème de l’extraction de l’uranium : depuis la fermeture du site d’extraction près de Limoges, la France importe 100 % de son ura¬nium, laissant notamment le soin aux Gabonais et aux Nigériens de l’extraire à moindre coût, dans des conditions sanitaires scandaleuses : l’enquête au Niger de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) - experts indépendants du lobby nucléaire - a été empêchée par les autorités du pays, suite aux pressions d’Areva. Une étude demandée par le réseau Sortir du nucléaire à l’association Les sept vents du Cotentin montre que les 3 milliards d’euros prévus pour la construction du prototype de réacteur EPR, s’ils étaient utilisés dans le domaine de la maîtrise de l’énergie et des énergies renouvelables, pourraient générer plus de 10 000 em¬plois pérennes. Le projet EPR, quant à lui, n’emploiera que 2 300 personnes en phase de construction, mais l’effectif permanent serait de 250 à 300 emplois. De plus, à investissement égal, les énergies renouvelables et les économies d’énergie fourniraient une capacité de réponse aux besoins électriques deux fois supérieure à celle de l’EPR, en ajoutant la production d’électricité à la dépense énergétique évitée.
Manifestons contre l’EPR
À l’échelle nationale, la sortie du nucléaire permettrait de créer au moins 700 000 emplois en une dizaine d’années. En conjuguant une politique très volontariste de lancement des énergies éolienne, solaire, micro-hydraulique, hydrolienne, et d’économies d’énergie (isolation de l’habitat, systématisation des ampoules basse consommation et passage de tout l’électroménager en classe A, etc.), une sortie du nucléaire est techniquement possible en dix ans, en adoptant un rythme d’implantation de l’éolien équivalent à celui de l’Allemagne pour l’éolien terrestre et maritime, en systématisant le solaire et le micro-éolien sur tout le bâti neuf et dans l’industrie.
Mais, actuellement, le développement des énergies renouvelables se fait grâce à un tarif de rachat très élevé du kilowattheure renouvelable, qu’EDF rachète à des filiales d’Areva et de Total ayant investi dans l’éolien. Encore une fois, avec cette fois le prétexte écologique, des subventions publiques sont attribuées à des grands groupes, leur permettant d’empocher des profits sur le dos des usagers. À cette logique aberrante nous opposons celle un service public de l’électricité sans nucléaire qui, seul, serait à même de coordonner une telle révolution énergétique, qui nous permettrait à la fois de sortir rapidement du nucléaire et de créer énormément d’emplois pérennes. Alors, contre l’EPR, contre la relance du nucléaire, pour un service de l’électricité créateur d’emplois, mobilisons-nous massivement le 17 mars à Lille, Rennes, Strasbourg, Toulouse ou Lyon [2].
Laurent Grouet
1. Entreprise qui, lors de contrats d’armement, aurait servi à garantir la solvabilité du client à l’aide de fonds publics.
2. Départs groupés : ou 02 23 46 10 13.
Encart
Le réacteur nucléaire le plus dangereux au monde
On se souvient des révélations du réseau Sortir du nucléaire, avec son document « secret défense », sur la vulnérabilité du réacteur nucléaire EPR à un attentat du type 11 septembre 2001. Fin février, c’est au tour de Greenpeace de présenter un dossier accablant pour l’EPR. S’appuyant sur une étude de John Large, expert britannique de renommée internationale sur la sécurité, sa conclusion est sans appel : ce réacteur sera, s’il est construit, le plus dangereux au monde.
Pour quelles raisons ? D’abord, ce n’est pas parce qu’un accident est peu probable, qu’il ne faut pas prendre en compte ses conséquences, surtout lorsqu’elles sont catastrophiques. Ensuite, contrairement aux déclarations d’EDF, la redondance du système de sécurité ne réduit pas le risque d’accident à 1 sur 10 millions par an, car il faut tenir compte des problèmes techniques possibles en amont (pannes électriques, inondations, fuites...), qui ont déjà pu être constatés dans les incidents (et accidents) précédents. Les séquences de fusion de cœur à haute pression, les phénomènes d’explosion de vapeur en cuve et hors cuve, les détonations d’hydrogène sont autant de situations « pratiquement éliminées » des considérations de sûreté, car considérées (à tort) proches de l’impossible. Enfin, les quantités de radioactivité relâchée en cas d’accident sont nettement sous-estimées par rapport aux estimations faites dans les autres pays, alors même que l’utilisation du plutonium dans le combustible (appelé MOX) augmente la dangerosité.
La conséquence principale est la faiblesse des scenarii d’intervention d’urgence nécessitant l’évacuation des populations. Pourtant, en cas d’accident grave de l’EPR, les conséquences seraient dramatiques :
– jusqu’à 320 personnes mourraient dans les tous premiers jours, près de 2 000 personnes tomberaient malades, et 30 000 personnes développeraient un cancer mortel ;
– jusqu’à 3 millions de personnes seraient évacuées sur une zone de plus de 36 000 km2 (plus grande que la Haute et la Basse-Normandie réunies), et 1 million de personnes devraient se confiner chez elles ;
– il faudrait organiser dans un temps record la distribution de pastilles d’iode à 13 000 personnes.
Encart
Une gauche divisée
Vincent Gay
Les différents candidats à l’élection présidentielle ont été interpellés par le réseau Sortir du nucléaire quant à leur position sur l’implantation de l’EPR. Il est certain qu’au sortir de l’élection, la décision sera observée avec beaucoup d’attention, tant elle sera révélatrice de la soumission ou non au lobby nucléaire.
Pour le moment, quatre candidats ont tenu conférence de presse commune pour appeler aux manifestations du 17 mars : Olivier Besancenot, José Bové, Corinne Lepage (encore candidate à ce moment-là) et Dominique Voynet. Mais la position des autres candidats de gauche est soit ambiguë, soit clairement en faveur de l’EPR. C’est le cas par exemple de Marie-George Buffet, qui souhaite poursuivre tous les projets nucléaires en cours, d’Iter à l’EPR, estimant qu’un nucléaire 100 % public doit participer de la diversification énergétique. Arlette Laguiller, quant à elle, pense qu’il est difficile de choisir entre différents modes d’énergie, puisque tous présentent des inconvénients et que la seule solution ne peut passer que par le contrôle des installations par les travailleurs et la population avec « un choix équilibré entre les différentes sources d’énergie ». Mais on ne se saura pas ce que Lutte ouvrière pense de l’implantation de l’EPR. Du côté du Parti socialiste enfin, c’est la cacophonie. Bernard Cazeneuve, maire socialiste de Cherbourg, prétend, de même qu’Arnaud Montebourg, que Ségolène Royal est pour l’EPR, pendant que l’intéressée souhaite remettre à plat ce dossier, qui a manqué de transparence et de démocratie. En 2006, le PS avait estimé que l’EPR était inutile et dangereux, mais la position actuelle est celle d’un moratoire. Et, dans le pacte présidentiel de la candidate, si figure un soutien aux énergies renouvelables, rien n’est dit sur le nucléaire. La proposition de moratoire pourrait être une façon de botter en touche pour ne pas subir la pression des organisations écologistes et attendre l’après-élection pour se prononcer clairement. Le nombre de promesses non tenues par le PS doit, de toute façon, nous faire demeurer prudents sur la réalité des engagements de Royal. Mais cela doit aussi être une raison de plus pour poursuivre les mobilisations après le 22 avril afin de stopper l’EPR.