Sur un ton solennel, regard rivé sur le prompteur, Shinzo Abe a annoncé la nouvelle lors d’une conférence de presse le 4 mai. “La baisse du nombre de cas n’est pas suffisante pour lever l’état d’urgence. Nous constatons qu’un mois supplémentaire est nécessaire pour améliorer la situation des établissements médicaux au bord de la saturation”, a déclaré le Premier ministre japonais, cité par le quotidien économique Nikkei. “Concernant les habitants des treize départements qui sont dans une situation plus alarmante que les autres, je vous demande de collaborer avec nous pour faire en sorte que les contacts entre personnes soient réduits de 80 %.”
Comme la dernière phrase du Premier ministre le souligne, le Japon, confronté à une hausse menaçante de cas de Covid-19 depuis la fin de mars, a opté pour un état d’urgence non contraignant, sans sanctions. Les autorités politiques encouragent simplement les Japonais à rester chez eux et à éviter les sorties non essentielles, constate le journal Asahi Shimbun.
Comme un groupe d’autodéfense
Même si cette mesure peut apparaître insuffisante aux yeux de certains, elle semble être suivie. Non seulement les rues des centres-villes sont désormais vides, mais “une ambiance lourde” s’est installée dans l’archipel, note le quotidien. En effet, ceux qui osent sortir et braver l’état d’urgence risquent dorénavant de faire l’objet de harcèlement de la part des internautes ou de leurs voisins. Ainsi, après des reportages sur le quartier commerçant très fréquenté de Shinagawa, au cœur de Tokyo, nombre d’internautes ont dénoncé des comportements “assassins”.
Se substituant à la police, certains d’entre eux vont jusqu’à alerter les autorités de leur quartier pour dénoncer un bar qui reste ouvert ou un restaurant devant lequel il y a une file de clients. “Ils se comportent comme s’ils étaient membres d’un groupe d’autodéfense”, raconte un fonctionnaire de la mairie de Shibuya, également à Tokyo. De telles dénonciations seraient quotidiennes. Selon lui, certains disent même prendre part à des “patrouilles”.
De la responsabilité de l’état d’urgence
Contrairement à ce qu’on aurait pu croire, la stratégie japonaise semble porter ses fruits. De fait, la courbe de progression de l’épidémie a connu un léger tassement ces derniers jours. “La pression selon laquelle tout le monde doit se comporter comme les autres est très forte, et avec celle-ci le dispositif actuel est de facto contraignant”, constate Keigo Obayashi, spécialiste du droit constitutionnel à l’université de Chiba. “L’autoritarisme ancré chez les citoyens qui obéissent facilement aux ordres des responsables politiques et le collectivisme excessif qui donne plus d’importance au groupe qu’à l’individu, ce sont les deux caractéristiques du pays qui perdurent depuis l’ère Meiji (1868-1912). Bien ancrées dans la société, elles ont engendré cette ambiance. Désormais, il est interdit de désobéir aux consignes du gouvernement ; les citoyens se surveillent les uns les autres”, dénonce-t-il.
Pour l’Asahi, la stratégie japonaise présente néanmoins des avantages :
“Nous avons très peu de contraintes finalement, et c’est mieux comme ça.”
Pourtant, une question se pose : à qui revient la responsabilité de l’application de ces mesures ? “Le gouvernement japonais refuse de dédommager les pertes causées par l’épidémie. […] Certains restaurateurs pourraient donc porter plainte contre l’État pour violation de leurs droits, mais les spécialistes disent qu’ils ne pourront pas gagner le procès car la décision de fermer les restaurants a forcément été prise par leurs patrons. Il faudrait clarifier qui en est le responsable”, s’inquiète la journaliste du quotidien.
“Une méthode fasciste”
Pis encore, cette ambiance morose semble s’aggraver. À la fin d’avril, outrés par des établissements de jeux d’argent qui refusaient d’obéir à leur ordre, certains préfets ont rendu leurs noms publics, les exposant à dessein à un risque de lynchage collectif. “De nombreux citoyens me l’ont demandé”, s’est justifié le préfet d’Osaka, Hirofumi Yoshimura.
Une tendance très dangereuse, selon Daisuke Tano, spécialiste du nazisme à l’université Konan, cité par l’Asahi. “Dans son discours, Angela Merkel a déclaré que, dans une société démocratique, ‘la limitation des droits individuels est difficile à respecter’, avant d’annoncer cette limitation, explique-t-il. Au Japon, les pouvoirs publics suscitent des sentiments punitifs chez les citoyens afin de justifier leur stratégie de restriction, alors que l’administration japonaise reste floue sur la question de la limitation des droits individuels. C’est une méthode fasciste, et il faut se méfier de cette tendance.”
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