La culture des Aïnous, peuple autochtone d’Hokkaido [grande île du nord du Japon], suscite un intérêt croissant. “Leurs motifs traditionnels sont super”, peut-on entendre parmi les jeunes. Moi qui ai grandi à Hokkaido et mené des recherches sur l’histoire des Aïnous et leur situation actuelle, je ne peux que m’en réjouir. Cependant, en marge de cet engouement, des “contrefaçons” reproduisant les motifs traditionnels ont commencé à prospérer. La préservation de ces motifs uniques en leur genre représente aujourd’hui un nouveau défi.
Le manga à succès Golden Kamui, les aventures d’un héros en quête d’un magot d’or légendaire à Hokkaido durant l’ère Meiji (1868-1912), est à l’origine du phénomène [ce manga de Satoru Noda est paru sous le même titre chez Ki-oon]. Les 27 volumes de la série se sont vendus à plus de 17 millions d’exemplaires. Par ailleurs, un “Espace symbolique pour l’harmonie interethnique” (Upopoi) a été inauguré en juillet 2020 à Shiraoi (Hokkaido) en tant que centre de renaissance de la culture aïnoue, et jouit également d’une popularité croissante.
Suga très remarqué avec son masque décoré de motifs aïnous
Environ deux mois avant l’ouverture du site commémoratif, [l’ancien Premier ministre] Yoshihide Suga, alors secrétaire général du gouvernement, avait fait sensation en se présentant à une conférence de presse avec un masque de protection décoré de motifs aïnous. “Ils expriment le vœu d’éloigner le mal”, avait-il précisé. Le club de broderie qui avait confectionné le masque, Noboribetsu Ashiri no Kai, dans la ville de Noboribetsu, a dès lors reçu un afflux de commandes des quatre coins du Japon. Des imitations ont cependant commencé à circuler sur Internet, au grand dam des artisans qui œuvrent pour perpétuer fidèlement la tradition.
Les dessins géométriques aïnous combinent ingénieusement courbes et lignes droites. Les broderies, dont on remarque chaque point délicat lorsqu’on les examine de près, exercent un attrait singulier. Les motifs s’inspirent de la nature, notamment des plantes et des cours d’eau. Les plus courants associent ayushi, signes en forme de parenthèses représentant des épines, et mole’ou, des spirales. Les caractéristiques varient d’une région à l’autre, voire d’un artisan à l’autre, et certains motifs se transmettent au sein des familles.
Madame Mitsue Haga, 68 ans, membre de Noboribetsu Ashiri no Kai, nous explique le sens des motifs :
“Les ayushi empêchent les démons de s’introduire, et même s’ils y parviennent, les more’ou les emportent. En croisant les motifs et en les reliant d’un seul trait, nous formulons le souhait que ceux qui partent à la chasse reviennent sains et saufs.”
Sur les imitations, les motifs s’alignent grossièrement sans se croiser. “Les formes sont copiées sans égard pour leur signification ancestrale”, déplore-t-elle.
Un mouvement de protection des produits authentiques
Face à cette situation, un mouvement en faveur de la création d’une certification pour distinguer les produits authentiques des contrefaçons grandit à travers l’île. Akan Ainu Consuln, société civile à personnalité juridique générale fondée à Kushiro en août 2019 dans le but de diffuser “correctement” la culture aïnoue en tant que propriété intellectuelle, propose aux entreprises des consultations et des certifications pour l’utilisation commerciale des motifs traditionnels.
La ville de Biratori, dont fait partie la localité de Nibutani, considérée comme la “terre sacrée des Aïnous”, cherche à bénéficier du “système de marques collectives régionales” de l’Office des brevets, qui accorde un droit de marque aux produits régionaux. Les artisans qui utilisent les motifs traditionnels se sont associés pour étudier la possibilité d’apposer à leurs produits un label distinctif “Authentique produit artisanal de Nibutani”. De son côté, la ville de Shiraoi – où se trouve Upopoi – appelle ses fabricants à s’initier à la protection de la propriété intellectuelle depuis juillet dernier.
Selon le Centre national de formation et d’information en matière de propriété industrielle (INPIT), institution administrative indépendante sous l’autorité de l’Office des brevets, les œuvres sont protégées par le droit d’auteur jusqu’à 70 ans après la mort de leur auteur. Par conséquent, les motifs hérités de la tradition ne sont en principe pas couverts. À l’inverse, les créations qui arrangent librement les motifs traditionnels sans prendre en compte la pensée et les techniques aïnoues peuvent être protégées en tant qu’œuvres nouvelles.
Si les motifs authentiques ne sont pas protégés par le droit d’auteur et qu’il n’est pas possible d’interdire légalement les imitations, la certification devrait au moins permettre de les distinguer clairement. Il n’est néanmoins pas certain que les initiatives locales soient adoptées largement.
Une “nouvelle loi aïnoue”
En décembre 2020, Mitsue Haga a déposé auprès de l’Office des brevets une demande d’enregistrement pour le modèle porté par Yoshihide Suga sous la marque “masque aux motifs aïnous brodés Suga”, mais sa demande a été rejetée. Il lui a été répondu :
“Autoriser l’enregistrement de marques contenant le mot ‘aïnou’ et reconnaître le monopole de son emploi par des produits désignés n’est pas une décision à prendre à la légère du point de vue de la garantie de l’intérêt public”
Promulguée en avril 2019, la Loi pour la promotion des politiques aïnoues (nouvelle loi aïnoue) énonce comme principe que cette dernière doit être menée dans une “perspective nationale”. “Nous ne demandons pas un monopole, objecte Mitsue Haga. Nous désirons seulement protéger notre héritage.”
Si la nouvelle loi aïnoue a été saluée pour avoir désigné pour la première fois explicitement les Aïnous comme population autochtone du Japon, elle ne prévoit pas la restitution de leurs terres et de leurs ressources, et la protection de leurs droits reste un problème. La loi sera révisée en fonction des besoins cinq ans après son entrée en vigueur. Nous espérons que le gouvernement jouera un rôle proactif dans la discussion sur la protection des motifs traditionnels, en tenant compte des souhaits du peuple aïnou.
Kimitaka Hirayama
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