Au Japon, de nombreux étrangers sans papiers sont enfermés dans les centres de détention gérés par le Bureau de l’immigration jusqu’à ce qu’ils acceptent de retourner dans leur pays d’origine. La loi japonaise ne fixant pas de limite de durée à ces détentions, bien des demandeurs d’asile – parmi lesquels figurent Kurdes, Iraniens ou encore Birmans – refusent le rapatriement et y passent ainsi des années dans des conditions délétères. Ils n’ont, par exemple, que peu accès aux soins médicaux, sont harcelés moralement par les gardiens et voient leurs contacts avec l’extérieur entravés.
Selon les données recueillies par la chaîne publique NHK en décembre 2019, plus de 360 étrangers étaient détenus dans ces établissements depuis plus d’un an. Pour réclamer leur mise en liberté temporaire et l’amélioration de leurs conditions de détention, ils entament régulièrement des grèves de la faim sans toutefois réussir à attirer l’attention des Japonais. Désespérés, certains d’entre eux sombrent dans la dépression et la folie. Selon un article du journal Mainichi Shimbun, 17 étrangers sont morts dans les centres de détention depuis 2007.
Affichant sa volonté de résoudre le problème de la détention de longue durée, maintes fois épinglée par les organisations humanitaires et l’ONU, le ministère de la Justice envisage un amendement de la loi. “De nombreux étrangers refusent le rapatriement et cela ne fait qu’allonger la détention. Il faut que nous trouvions vite une solution pour rendre la procédure de rapatriement plus efficace”, a déclaré le 16 avril la ministre de la Justice, Yoko Kamikawa, lors de la présentation du projet d’amendement, citée par le journal Asahi Shimbun.
Violation du principe de non-refoulement
Or, ce texte, actuellement débattu par les députés japonais, a de quoi susciter l’indignation des organisations humanitaires. En cas de validation, la loi permettrait au Bureau de l’immigration d’infliger une sanction pénale aux étrangers en situation irrégulière qui refusent le rapatriement. De plus, les demandeurs d’asile voyant leur dossier rejeté pour la troisième fois risqueraient d’être renvoyés dans leur pays d’origine par les autorités japonaises.
Alarmés par cette perspective, les rapporteurs spéciaux du Conseil des droits de l’homme des Nations unies ont publié une lettre ouverte dénonçant un texte “qui ne remplit pas, sous plusieurs aspects, les critères internationaux en matière de protection des droits fondamentaux des immigrés”, rapporte le journal Mainichi Shimbun. Ils ont notamment fait part de leurs “graves inquiétudes” concernant la clause sur le rapatriement forcé visant les demandeurs d’asile dont la demande d’asile a été rejetée trois fois. Celle-ci pourrait bel et bien violer le principe de non-refoulement, l’un des fondements de la protection des réfugiés, qui consiste à ne pas expulser un demandeur d’asile ou un réfugié vers le pays ou la région où sa vie serait menacée.
Pays pourtant ratificateur de la Convention relative au statut des réfugiés, le Japon n’accorde le statut de réfugié qu’au compte-gouttes : seuls 47 dossiers ont été acceptés en 2020. Nombre de demandeurs d’asile n’obtiennent gain de cause qu’après avoir intenté un procès au Bureau de l’immigration.
Pour lever la voix contre l’amendement, 80 Kurdes vivant dans la préfecture de Saitama, au nord de Tokyo, ont tenu une conférence de presse. “Si ma famille est rapatriée en Turquie, mes parents seront arrêtés à l’aéroport et moi et mes frères serons livrés à nous-mêmes, alors que nous ne parlons même pas le turc”, a raconté un lycéen arrivé sur le sol japonais quand il avait 2 ans, a rapporté le quotidien Mainichi Shimbun. Afin de faire abolir le projet d’amendement, l’ONG japonaise Posse a lancé une pétition en ligne, laquelle a recueilli plus de 40 000 signatures.
Une mort tragique aggrave la défiance
Dans ce contexte, la mort de Wishma Sandamali, une jeune femme srilankaise de 33 ans, survenue en mars dans le centre de détention de Nagoya (dans le centre du pays), ne fait que renforcer la défiance à l’égard du Bureau de l’immigration. Les députés des partis d’opposition, eux, accusent les agents de l’établissement de ne pas avoir prodigué les soins médicaux nécessaires à la jeune femme, qui souffrait de nausées et de paralysies.
De fait, un médecin qui l’avait reçue en consultation deux jours avant sa mort a bel et bien conseillé de la mettre en liberté sous caution. Mais le Bureau a omis cette information du rapport préliminaire présenté à la Diète, le Parlement japonais, invoquant “l’honneur et le respect de la vie privée de l’intéressée”, rapporte le journal Asahi Shimbun. Accusée d’avoir tenté de couvrir l’information, la ministre de la Justice, Yoko Kamikawa, a finalement admis que les raisons avancées par le Bureau “n’étaient pas suffisantes”. Les partis d’opposition de gauche, tels que le Parti démocrate constitutionnel et le Parti communiste, réclament que la lumière soit faite sur les circonstances de la mort de la Srilankaise avant les débats sur l’amendement. Il n’est pas certain que leur revendication soit satisfaite. Le Parti libéral-démocrate et le parti de centre droit Komeito, majoritaires au Parlement, entendent faire voter le texte dès le 7 mai, selon l’Asahi Shimbun.
Courrier International
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