Tenu au secret de très longs mois après son arrestation en juillet 2015, Xie Yang, un avocat chinois de 44 ans, doit être jugé prochainement pour incitation à la subversion, comme l’ont déjà été plusieurs de ses confrères. En amont de son procès, il a pu livrer à ses deux avocats, lors de ses premiers entretiens sans présence policière du 4 au 13 janvier, un récit circonstancié des tortures subies en détention. Il a nommé ses tortionnaires et les officiels qui les dirigent, et détaillé les menaces proférées contre les membres de sa famille.
L’un des avocats de Xie Yang, Chen Jiangang, a confirmé au Monde avoir eu toutes les difficultés à rencontrer son client, malgré les garanties prévues par les lois : « Si nous avons pu le faire, ce n’est pas parce qu’ils ont voulu se conformer aux procédures, mais parce qu’ils n’avaient plus d’autre option. Xie Yang a refusé de prendre un avocat assigné d’office. Et comme son procès approche, ils se sont finalement résignés à ce qu’il prenne son propre avocat. » Xie Yang, qui est emprisonné à Changsha, dans la province du Hunan, a autorisé ses avocats à publier l’intégralité de son témoignage [1].
Assis vingt heures par jour, jambes pendantes
Il s’y proclame innocent malgré ses « aveux » obtenus lors d’éprouvants interrogatoires en « résidence surveillée dans un endroit désigné ». Une disposition légale adoptée en 2012 permet aux interrogateurs de détenir un suspect au secret jusqu’à six mois, en dehors de toute institution officielle. Xie Yang y a subi toutes sortes de sévices. Il a ainsi été forcé à rester assis plus de vingt heures par jour sur des tabourets en plastique empilés, les jambes pendantes. Ses interrogateurs, supervisés par les « unités de la sécurité intérieure » – la police politique –, l’avaient prévenu que le moindre mouvement de sa part sans leur autorisation serait considéré comme une « attaque contre la police ». Il a également été copieusement tabassé. « C’est un cas de contre-révolution, tu crois que le Parti communiste va te relâcher ? On peut te torturer à mort et personne n’y pourra rien », lui a dit l’un d’entre eux.
Toute la famille de l’avocat détenu a été menacée. Un policier a évoqué le « risque » que sa femme, qui se bat pour alerter le monde sur le sort de son mari, soit victime d’un accident de la route. Les interrogateurs de Xie Yang, qui lui reprochent de défendre des victimes « sensibles », qu’il s’agisse de membres de la secte Falun Gong ou de paysans expulsés, ne lui ont laissé d’autre choix que d’avouer, que ce soit de « s’être opposé au Parti communiste » ou d’« avoir recherché la célébrité » ou « l’argent ». M. Xie a argué de sa volonté de combattre des injustices et de faire appliquer les lois. Privé de sommeil, parfois d’eau, brutalisé, il a plusieurs fois craqué, raconte-t-il, signant les « déclarations » toutes prêtes que ses tortionnaires lui soumettaient.
Des aveux trop accablants pour être honnêtes
Ces révélations éclairent d’un jour nouveau le coup de filet de la police chinoise contre les avocats du « 7.09 », ou 9 juillet 2015. Une vingtaine d’entre eux, arrêtés ce jour-là à travers tout le pays, ont été mis en examen pour subversion. Certains, parmi les plus célèbres, ont été condamnés à de lourdes peines après avoir effectué des aveux trop accablants pour être honnêtes. D’autres ont été relâchés et vivent sous surveillance. L’un d’eux, Li Chunfu, a sombré dans un état psychique alarmant. Mardi 24 janvier, une trentaine de juristes de renom du monde entier, dont le Français Robert Badinter, ont de nouveau appelé dans une lettre ouverte à la libération de ces avocats, un an après une première démarche similaire restée sans réponse de la Chine.
Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)
Journaliste au Monde