Cela fait mille jours, depuis le 10 juillet 2015, que son époux a « disparu », et Li Wenzu a choisi de marcher : l’épouse de l’avocat Wang Quanzhang, détenu dans un lieu tenu secret, a entamé mercredi 4 avril à Pékin une marche pour rejoindre le centre de détention n° 2 de Tianjin, la mégapole chinoise, à une centaine de kilomètres, lieu dont dépend la procédure visant son mari pour subversion de l’autorité de l’Etat. « Nous n’avons pas été empêchés par la police mais l’époux avocat d’une amie qui m’accompagne a reçu un appel pour dissuader sa femme de rester avec moi. Pourtant, elle est toujours là », nous dit Li Wenzu au cinquième jour de voyage, dimanche 8 avril. L’équipée est arrivée le jour même en périphérie de Tianjin. Une telle initiative est risquée en Chine : les marcheurs peuvent être accusés d’atteinte à l’ordre public.
Li Wenzu est vêtue d’un sweat-shirt à l’effigie de M. Wang, 42 ans, et à ce jour le dernier des militants arrêtés lors de l’opération policière dite du « 7.09 » (pour 9 juillet 2015) non seulement à ne pas avoir été jugé, mais à être toujours détenu sans avoir accès ni à un avocat ni à sa famille. Elle porte, sur sa casquette noire, les phrases d’une lettre que son mari avait écrite à l’attention de ses parents dans les jours qui ont suivi l’arrestation des premiers de ses confrères, le 9 juillet 2015, les prévenant des difficultés qui s’annonçaient : « Malgré le désespoir que j’ai souvent ressenti, je n’ai jamais abandonné l’idée d’un avenir meilleur. »
Wang Quanzhang avait disparu le 10 juillet 2015, d’abord, apprit-on plus tard, pour se cacher, avant de se faire arrêter dans sa province natale du Shandong au début du mois d’août. A la fin du mois, il était placé en « surveillance résidentielle dans un endroit désigné » pour six mois, la mesure qui a légalisé la pratique des « disparitions forcées » organisées par la police politique chinoise. En janvier 2016, il était officiellement mis en examen pour subversion de l’autorité de l’Etat. Mais le dossier a depuis été renvoyé aux enquêteurs pour complément d’enquête, et Wang Quanzhang reste détenu au secret.
Innombrables vexations
Durant ces trois ans, Li Wenzu s’est rendue à Tianjin une ou deux fois par mois. Promenée d’un bureau à l’autre, privée, de même que ses avocats, d’informations sur le sort de son mari, elle a subi d’innombrables vexations : la police la surveille, a harcelé son propriétaire à Pékin et la menace. « Peut-être que quelque chose d’horrible lui est arrivé en prison, et que c’est la raison pour laquelle les autorités ne disent rien à personne », a-t-elle dit à l’Agence France-Presse jeudi. Car les autres femmes d’avocats ou de militants avec lesquelles elle livre bataille depuis 2015 ont vu leurs époux passer, un à un, en jugement.
Parmi la douzaine de personnalités mises en examen pour subversion ou incitation à la subversion, la moitié environ a reçu des condamnations relativement légères ou avec sursis, tandis que les autres ont été condamnées à de lourdes peines – sept ans de prison pour l’avocat Zhou Shifeng, le chef du cabinet d’avocats dans lequel travaillait M. Wang. Lors des deux derniers procès, en décembre 2017, un militant a été condamné à huit ans de détention, alors qu’un avocat, qui avait dénoncé les tortures subies depuis son arrestation, a été relaxé, car il avait ensuite « avoué » publiquement avoir été « manipulé » pour le faire.
« Confessions forcées »
« Il est presque certain que Wang a reçu des pressions intenses, et subi des tortures dans le but de l’amener à se livrer à des aveux publics, comme des confessions forcées à la télévision, en échange du traitement de son cas. Mais sa personnalité est telle qu’il a refusé, et en retour, ils refusent que le procès se tienne », nous dit le Suédois Peter Dahlin, qui fut animateur en Chine d’une ONG de soutien et de formation des avocats chinois au côté de Wang Quanzhang jusqu’en 2014. Arrêté à son tour à Pékin en 2016 pendant 21 jours puis expulsé de Chine, Peter Dahlin a raconté avoir été poussé par ses interrogateurs à incriminer Wang Quanzhang, ce qu’il refusa de faire.
L’avocat Wang a un long parcours d’engagement. En tant qu’étudiant, au début des années 2000, dans la province du Shandong, il fournissait déjà une assistance juridique aux adeptes persécutés du mouvement religieux du Falun Gong, puis aida des paysans en quête de justice. Après son installation à Pékin en 2008, il prend les dossiers les plus sensibles. « C’est quelqu’un de très têtu, prêt sans aucun doute à mourir en martyr, alors que beaucoup de gens l’appellent publiquement à accepter de faire ces maudits aveux. C’est un cauchemar pour le Parti communiste, ils ne parviennent sans doute pas à l’utiliser comme ils voudraient », poursuit M. Dahlin.
Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)