A l’approche du 19e congrès du PCC, l’Internet chinois est entré dans une phase de glaciation. La messagerie WhatsApp, propriété de Facebook et populaire car offrant un cryptage relatif des données par rapport à WeChat, le grand réseau social chinois réputé « transparent », n’est plus accessible que par intermittence.
Les périodes de contrôle sur la Toile fluctuent, mais la tendance est à un resserrement et à une emprise totalisante de l’Etat censeur. La dernière offensive vise les groupes de discussion sur messagerie, pour l’utilisation desquels les plates-formes, mais aussi les usagers, sont soumis à de nouvelles règles depuis le 8 octobre. Elles les obligent à « adhérer aux directives correctes, [à] promouvoir les valeurs socialistes fondamentales et [à] entretenir une culture en ligne positive et saine » sous peine de voir leur « notation sociale » abaissée et « leur dossier transmis aux autorités ».
Ainsi, créateurs et modérateurs de groupes deviennent responsables de ce qui se dit sur leur forum. Or, les critères choisis pour dégrader la notation de quelqu’un et lui compliquer son existence en ligne peuvent facilement être brandis contre des voix critiques du pouvoir ou quiconque en appelle à des changements politiques.
Cette nouvelle mesure a généré une vague de sarcasmes. Ses implications sont orwelliennes : « Le plus inquiétant, c’est la manière dont les réglementations étendent aux usagers individuels les contrôles politiques qui s’appliquaient d’abord aux médias chinois et étaient le fléau des reporters, de leurs supérieurs, des éditeurs et des contrôleurs de sites Internet », analyse le spécialiste des médias chinois David Bandurski, du China Media Project sur le site Medium. Face au défi de l’Internet, le régime est parvenu à inverser les rôles : « Les technologies mobiles dont nous pensions qu’elles pouvaient perturber la domination du parti lui ont donné une ligne directe vers le consommateur individuel – une ligne qui peut être contrôlée et manipulée », écrit M. Bandurski.
Arrestation de blogueurs
Cette reprise en main tout au long du premier mandat de Xi Jinping a été rendue possible par le recours à un arsenal législatif punitif sans garde-fous. Dès 2013, le Twitter chinois, Weibo, est remis au pas par une mesure prévoyant la prison pour toute personne dont un message « délictueux » est vu plus de 5 000 fois ou retweeté plus de 500 fois. Pour l’exemple, plusieurs blogueurs célèbres sont arrêtés et condamnés. « Depuis cette règle, tout le monde est devenu plus prudent, ça a été la fin de l’ouverture de l’Internet », confie une jeune journaliste chinoise.
Des lois sur la cybersécurité, adoptées en novembre 2016, donneront des munitions à la police politique pour monter des dossiers d’accusation contre des internautes coupables de « subversion du pouvoir de l’Etat » ou les « troubles à l’ordre public ». En août, un jeune blogueur, Lu Yuyu, fut condamné à quatre ans de prison au prétexte d’« incitation à la querelle et trouble à l’ordre public » pour avoir diffusé des vidéos de clashs et de protestations collectives en Chine compilées sur les réseaux sociaux chinois.
Outre les groupes de discussion, les VPN (réseaux privés virtuels), qui permettent de converser sur des messageries étrangères ou d’accéder aux sites bloqués en Chine comme Facebook, Le Monde.fr ou Twitter, sont désormais dans le collimateur. Mais l’administration agit avec prudence par crainte d’effrayer les entreprises étrangères et d’être critiquée par ceux qui jugent cette fermeture nuisible à l’éducation.
Instruction aux trois fournisseurs de réseau
En juillet, quand Bloomberg a fait état d’une instruction donnée aux trois grands fournisseurs de réseau à haut débit chinois (China Telecom, China Unicom et China Mobile) de bloquer les VPN à partir de février 2018, le ministère de l’information et des technologies chinois a immédiatement démenti. Tout en apportant un éclairage révélateur sur la nouvelle régulation à l’étude : celle-ci autorisera certaines entreprises « à s’abonner à des VPN proposés par des vendeurs agréés par la loi » et prendra pour cible « ces individus et ces entreprises non autorisés qui n’ont pas de licence pour utiliser/fournir un VPN ». La portée de la future régulation sur les usagers est encore difficile à évaluer. Les étrangers ou certains Chinois pourraient, pensent certains, être autorisés à emprunter des VPN « agréés », et donc éventuellement surveillés et contrôlables à volonté.
Progressivement, la pénalisation de l’utilisation des VPN s’impose dans les esprits. Elle est déjà réelle au Xinjiang, la région autonome de la minorité ouïgoure, sous surveillance, où accéder à un VPN avec une carte sim locale entraîne, au mieux, un avertissement de la police ou de son unité de travail. Dans le reste de la Chine, elle gagne du terrain au gré d’arrestations. Comme celle de Deng Jiwei, un Chinois du Guangdong qui vient d’être condamné à neuf mois de prison pour avoir créé un site vendant des logiciels de contournement de la « grande muraille virtuelle ». Son avocat, Yu Wensheng, a dénoncé l’aberration du tribunal, qui a condamné un délit inexistant dans la loi chinoise, celui de « vouloir consulter ce qui existe en ligne en dehors de Chine » – sans pouvoir, bien sûr, éviter la prison à son client.
Dans cette quête de contrôle, un nouveau front s’ouvre, celui de l’intelligence artificielle et du big data, dont l’industrie florissante en Chine, mais aussi à l’étranger, est largement mise à contribution pour u n assaut sans précédent contre les libertés publiques, estime le sinologue François Godement. « On voit en Chine les systèmes de notation [credit rating] s’étendre à une évaluation du comportement politique et social, dit-il. Or, contrairement à l’Occident, où l’on se pose toutes sortes de questions d’éthique, les Chinois ont la capacité d’unifier tous ces systèmes. » Et ils ne s’en privent pas.
Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)
* LE MONDE | 16.10.2017 à 07h00 • Mis à jour le 16.10.2017 à 08h55 :
http://www.lemonde.fr/international/article/2017/10/16/l-internet-chinois-en-voie-de-glaciation_5201409_3210.html
Chine : plus de 13 000 sites internet fermés depuis 2015
Près de dix millions de « comptes » ont également été fermés, selon l’agence de presse officielle Chine nouvelle.
Les autorités chinoises ont ordonné la fermeture de plus de 13 000 sites internet qui ne respectaient pas loi ou les règles en vigueur, depuis le début de l’année 2015, annonce dimanche l’agence de presse officielle Chine nouvelle.
Les contrôles, déjà très stricts sur Internet, ont été renforcés depuis l’investiture du président Xi Jinping, il y a cinq ans, malgré l’indignation des défenseurs de la liberté d’expression. Pékin parle de mesures nécessaires pour empêcher la diffusion de contenus pornographiques ou violents et garantir la sécurité nationale comme la stabilité sociale.
« Puissant effet dissuasif »
Outre les 13 000 sites, près de dix millions de comptes ont également été fermés, ajoute Chine nouvelle, citant un rapport remis au comité permanent de l’Assemblée nationale populaire. L’agence ne précise pas la nature de ces comptes, mais il s’agit probablement d’abonnements aux réseaux sociaux.
Selon un sondage réalisé pour le rapport, plus de 90 % des personnes interrogées sont favorables à l’action des pouvoirs publics sur Internet et 63,5 % jugent que les contenus offensants ont visiblement diminué ces dernières années. « Ces mesures ont un puissant effet dissuasif », s’est félicité Wang Shengjun, vice-président du comité permanent du parlement. L’accès à de nombreux organes de presse étrangers, aux moteurs de recherche et aux réseaux sociaux tels que Google ou Facebook est interdit en Chine.
Le Monde.fr avec AFP
* Le Monde.fr | 24.12.2017 à 08h25 • Mis à jour le 24.12.2017 à 10h09 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/12/24/chine-plus-de-13-000-sites-internet-fermes-depuis-2015_5234080_3216.html
La chasse aux VPN se poursuit dans les tribunaux chinois
Pékin a demandé aux entreprises de télécommunications de fermer tout accès aux VPN avant le 1er février.
Wu Xiangyang, un citoyen chinois, a été condamné à une lourde peine de cinq ans et demi de prison pour avoir conçu, et vendu sur un site de commerce en ligne, des logiciels destinés à contourner le blocage de sites internet par la censure.
Le tribunal de la région autonome du Guangxi, dans le sud du pays, lui a aussi infligé une amende de 500 000 yuans (64 000 euros). M. Wu a « illégalement gagné de l’argent » de 2013 à 2017 en « créant des serveurs VPN et en fournissant (…) des logiciels de connexion », tout cela « sans avoir obtenu les licences commerciales adéquates », a fait savoir, mercredi 20 décembre, le Parquet populaire suprême.
Pour contourner la censure de certains sites, certains particuliers utilisent des VPN (virtual private network, « réseau privé virtuel »). C’est une technologie simple d’utilisation qui permet de relier deux ordinateurs à distance. Ces logiciels peuvent se trouver en ligne, notamment sur les magasins d’applications pour smartphone.
« Reconquérir la souveraineté chinoise sur Internet »
Les VPN sont aussi très utilisés par les entreprises, notamment les multinationales ou les start-up établies en Chine, qui en ont besoin pour accéder à des services internationaux, à des serveurs d’entreprise ou à des sites bloqués dans le pays.
En septembre, un jeune homme de 26 ans a été également condamné à neuf mois de prison et 5 000 yuans d’amende pour avoir vendu des logiciels antiblocage durant un an.
Pékin a largement durci, ces dernières années, sa législation de contrôle du Web, notamment ces derniers mois, alors que se profilait un important congrès du Parti communiste. Après l’annonce en janvier d’un plan dit de « nettoyage » pour « reconquérir la souveraineté chinoise sur Internet », le gouvernement chinois a demandé, le 11 juillet, aux entreprises de télécommunications de fermer tout accès aux VPN avant le 1er février. Déjà, en juillet, Apple a, sur demande des autorités chinoises, retiré de son magasin d’applications en ligne tous les VPN qui s’y trouvaient.
Le Monde.fr avec AFP | 22.12.2017 à 16h26
* Le Monde.fr | 22.12.2017 à 16h26 :
http://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/12/22/la-chasse-aux-vpn-se-poursuit-dans-les-tribunaux-chinois_5233603_4408996.html