Juin 2013 : révolte urbaine dite de « Gezi » contre l’autoritarisme conservateur et néoliberal du régime d’Erdogan. Octobre 2014 : émeutes massives dans le Kurdistan de Turquie en solidarité avec la résistance de Kobané et contre la bienveillance de l’AKP envers Daesh. Mais à ces deux spectres qui ne cessent de hanter la Turquie vient de s’ajouter un troisième : la lutte de classe...
Qui plus est, sous une de ses formes les plus authentiques, à savoir des grèves sauvages avec occupation d’usine, et dans le secteur de la métallurgie. Alors spectre nouveau ou ancien ? Ancien et nouveau, car si la figure du métallo et de ses combats exemplaires durant le 20e siècle font bien partie du patrimoine de la gauche et du mouvement ouvrier (international et turc), il est cependant vrai qu’une lutte d’une telle ampleur n’a pas de précédent depuis 25 ans, depuis les grandes grèves et marches des travailleurs de la mine de Zonguldak en 1990 face à l’offensive néolibérale qui fit suite au régime militaire de 1980-1983.
En l’espace de quelques jours, la grève des travailleurs de Oyak Renault s’est propagée à d’autres usines de la zone industrielle de Bursa, puis dans d’autres villes (voir l’Anticapitaliste n°290 et n°291). L’enjeu était le rejet du syndicat jaune-mafieux Türk Metal-İs (véritable appareil de contrôle du patronat au sein des ouvriers) et de la convention collective qu’il venait de signer. Des milliers d’ouvriers ont démissionné de Türk Metal-İs, soutenu et imposé aux travailleurs par l’État depuis le régime militaire des années 80.
Malgré les pressions du syndicat patronal Mess, des entreprises comme Tofaş-Fiat, Mako, Renault ont été obligé d’accepter la plupart des revendications des ouvriers : aucun licenciement, versement de primes, liberté d’affiliation syndicale, maintien de la structure de délégation actuelle. Par contre, l’augmentation des salaires, qui permettrait de diminuer l’écart ahurissant entre jeunes et ancien travailleurs, n’est pour l’instant qu’une promesse dont on aura des nouvelles qu’après les élections générales très critiques du 7 juin.
Reconstruire
Cependant deux problèmes se posent. Le rejet de Türk Metal-İs s’est transformé en rejet de tout syndicat. La non-adhésion au syndicat est fièrement brandie par les ouvriers. Que cette réaction envers les bureaucraties syndicales débouche sur la construction d’un nouveau syndicat indépendant basés sur les comités ouvriers formés lors de la grève est une des possibilités, mais qui nécessite un niveau d’organisation et de conscience syndicale, toujours à construire.
L’adhésion à Birlesik Metal-İs, qui avait pourtant organisé une grève de 15 000 travailleurs fin janvier, grève tout de suite interdite par le gouvernement sous prétexte qu’elle portait atteinte à la « sécurité nationale », ne représente pas une option pour la majorité des ouvriers en raison de son caractère politique (de gauche). Le syndicat Çelik-İş (pro-AKP) va sans aucun doute mobiliser toute son énergie pour recruter les métallos de Bursa, situé politiquement à droite (nationaliste et conservateur). 6 000 ouvriers de Tofaş-Fiat viennent déjà d’adhérer à Çelik-İş dont le véritable but ne peut être que de résorber la combativité des métallos.
Le deuxième problème, à caractère historique est la quasi-totale absence de la gauche dans les usines de métallurgie. Mais ceci nécessite une reconstruction sociale de la gauche de longue haleine, seule capable d’articuler les potentiels révolutionnaires des trois spectres...
D’Istanbul, Uraz Aydin