La prison. Depuis qu’elle a été instaurée en tant que moyen de répression, la prison a été dénoncée comme un acte inhumain. Elle est un moyen de réprimer ceux qui ne marchent pas dans les clous, et nécessairement, quand on réprime, on ne peut pas le faire de manière humaine. La polémique actuelle est intéressante : on voit les VIP lancer un appel, alors qu’eux vivent la prison dans des conditions particulièrement « agréables » ... Si eux s’en indignent, on imagine ce que vivent les autres...
Comment, pourquoi. On s’intéresse toujours au « comment » comment vit le détenu , jamais au « pourquoi » . L’Observatoire international des prisons est une organistion sympathique, « caritative » ... Mais l’important, c’est de tirer les conclusions économiques, politiques, des raisons pour lesquelles on est amené à observer. D’une certaine manière, je n’ai pas envie de rendre la prison « supportable » ... Je veux que les gens qui y sont s’indignent de leur condition. C’est un peu comme les Restos du cur : plus il y en a, plus on recule l’instant où les pauvres auront de bonnes raisons de se révolter. Evidemment c’est ambigu... Si demain, je suis dans la rue avec un type en train de crever, je vais lui donner 10 francs, parce que je suis pris aux tripes. Mais je ne résouds rien.
Il y a 30 ans, nous nous battions sur les deux fronts. Nous considérions que certaines catégories sociales étaient prédestinées à se retrouver en prison. C’est vieux comme le monde : dès que les hommes ont créé des inégalités, ils ont créé les conditions objectives de l’envie. La société crée les conditions de la délinquance, de la révolte, de l’indignation.
« Petits voleurs ». La force de notre société, c’est que les gens les plus fragiles sont attaqués les premiers. Le petit voleur est un gosse qui se brûle et ne comprend pas le feu : en retirant sa main, il donne un coup de coude à celui qui est le plus proche. Avant d’en arriver à voler celui qui a les moyens de l’être, il faut une réflexion. Lorsque je fais des ateliers d’écriture dans des cités déshéritées, je m’aperçois que les jeunes n’ont pas la vaisselle cérébrale pour comprendre. A la rigueur, je leur dis : si voler est la seule solution que vous ayiez trouvée, allez voler ceux qui le méritent ; mais ce que je préférerais, c’est que vous militiez dans un mouvement politique pour changer le monde...
Le problème de la délinquance pose question à tous les individus sensés : ceux qui sont responsables de l’organisation mondiale que nous connaissons se sont mis à l’abri, vivent dans des lieux très protégés. Ce que j’explique aux mômes, c’est qu’ils doivent comprendre le feu avant de s’attaquer au système. Sinon ils ne pourront rien faire d’efficace.
Le « principe de réalité ». Alfred de Vigny disait des gens du peuple qu’ils étaient soit résignés, soit révoltés. La grande majorité sont résignés, ils se conforment à la société dans laquelle ils se trouvent. C’est ce que les psychologues appellent le « principe de réalité » . Mais si on avait tous fait cela, on mangerait encore la cervelle de l’ennemi pour prendre ses forces... Il a bien fallu des individus qui ne se conforment pas à ce principe. Je fais peut-être partie de ces premiers cannibales qui ont dit « il ne faut plus qu’on se bouffe entre nous », et qui au demeurant ont dû se faire bouffer...
A la racine. On est dans une société qui répare plutôt que d’envisager ce qu’on pourrait faire pour qu’il n’y ait pas à réparer. C’est le cas du Kosovo, par exemple. Je fais partie de ceux qui se sont indignés : je n’ai aucune sympathie pour Milosevic, mais comment peut-on laisser faire les choses au point d’en être réduits à réparer en bombardant ? Ce n’était pas le seul moyen : ça l’est devenu, par l’incapacité à prévenir.
C’est pour cela que, même si nous ne partageons pas toujours les mêmes convictions, j’ai de la sympathie pour ceux, comme Alain Krivine ou Arlette Laguiller, qui mesurent l’origine des choses. Tout en se disant qu’il faut réparer, bien entendu : je ne vais pas cracher sur le « caritatif » , il m’arrive plus souvent qu’à mon tour d’y aller de mon obole, sans être dupe du placebo que je mets en place. Les seuls moments où on a résolu des problèmes humains, c’est quand on a fait de grands mouvements sociaux...
S’indigner. Je veux encore faire partie de ces gens qui s’indignent. Et je n’ai pas envie de m’indigner que pour des causes humanitaires. Je sais que je pourrai toujours rendre la prison de moins en moins « inhumaine » ; mais qu’est-ce que cette humanité qui, en amont, conduit des gens à considérer l’emprisonnement comme nécessaire ? Il faut s’attaquer aux sources : ceux qui s’enrichissent indûment sur le dos de ceux qui sont esclaves, parmi lesquels le révolté qui va se retrouver en prison...
Quand j’ai milité contre la prison, j’ai pensé que ces types capables de se révolter seuls contre la société entière pourraient un jour prendre conscience que la révolte doit être collective. C’est le but que je poursuis : changer radicalement de système social, pour qu’il n’y ait plus jamais de prisonniers. Je veux faire la révolution !
Continuer à se battre. Fitzgerald disait : il faut savoir que les choses sont sans importance, mais continuer à se battre pour essayer de les changer. Tout est très dérisoire, quand on en parle sur un plan personnel, et en même temps je trouve insupportable la vie en société.
J’ai été démuni, j’ai connu la soupe populaire, c’est ce qui m’a conduit à aller voler. Si cela me paraît insupportable, c’est parce que je ne peux pas l’oublier. J’ai vite compris que ce n’était pas en allant à la soupe populaire que j’allais sortir de ma condition, c’est pour cela que j’ai voulu voler ceux qui m’obligeaient à y aller... Aujourd’hui j’ai tiré mon épingle du jeu, mais je n’arrive pas à oublier que d’autres sont dans la situation où j’ai été. La vue de la misère m’est insupportable. Cela relève presque d’une valeur morale plus que politique. De la capacité à s’indigner pour quelqu’un d’autre que soi-même ou ses proches.