Le développement de l’industrie marocaine porte, selon le plan Emergence, sur quatre axes principaux, dont l’Offshoring. Cette branche à laquelle s’adonnent toutes les économies émergentes, et pour laquelle celles-ci n’hésitent pas à se tuer et à surenchérir sur le marché international pour gagner quelques investissements directs étrangers (IDE), a consisté à son tout début au Maroc, vers la seconde moitié des années 1990, en un seul métier : les centres d’appels. Ceux-ci continuent d’être le principal vecteur de toute la branche. Les centres d’appels ont rapporté en 2009, un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros, en progression annuelle de 15%. L’’effectif total de ces centres, implantés dans les grandes villes marocaines, et principalement Casablanca est de 25000 personnes, pour la majorité des jeunes diplômés avec une prédominance du sexe féminin.
Prix de l’’asservissement : 3500dh/mois
Les centres d’appels au Maroc, issus de la vague de délocalisation qu’avait permis l’ouverture progressive des frontières à la circulation de capitaux, offrent plusieurs services destinés aux sociétés françaises qui y font appel : télévente de produits et de services, assistance téléphonique, prise de rendez-vous pour les clients.
L’employé applique à la lettre les dispositions d’un script affiché devant lui. D’abord, on ne s’appelle plus Ahmed ou Hassan. Quand on met le casque, on devient Victor ou Franck et on travaille en France, à l’’adresse qui nous est indiquée dans le script. On s’adapte parfaitement à la situation française. Et l’on est même amenés à y mettre du sien, bien plus que les français eux-mêmes. « On travaille à temps plein alors qu’en Europe, nos collègues ne travaillent qu’à mi-temps en raison de la nature très stressante de ce travail » explique cet employé, payé 3500dh par mois, et qui travaille 8h par jour, en continu de 6H30 à 16H, avec une pause de 10m à prendre selon les conditions françaises, à 10h. Résultat : Le décalage est assuré ! Mais il n’y a pas que ça. « L’employé est en permanence écouté, contrôlé, rajoute ce télé-opérateur, le matin, vous commencez le travail et vous entendez : bonjour à tous, c’est mademoiselle X qui fera l’écoute à partir de La Rochelle (ville française) » Ce contrôle met l’opérateur sous un stress permanent. Sur base de cette écoute, on reçoit une notation par équipe. Si quelqu’un est malade et que cela fait baisser le rendement, c’’est toute l’équipe qui est pénalisée. Les travailleurs de la nouvelle ère numérique en paient les frais de leur santé. Beaucoup souffrent de maux de dos, de perte d’ouïe, de dépression, de migraines et aussi de rhumatisme à cause de la climatisation.
Si en France, ce métier provoque également du stress et des effets psychologiques graves sur la personne, les syndicats font pression pour préserver leurs acquis. Au Maroc, le patronat a la main lourde. Les investissements sont minimes pour un profit optimal. Dans cette optique, les règles de santé et de précaution ne sont même pas évoquées au Maroc. « Dans mon centre d’appel, on a cent personnes sur un seul plateau, avec des plafonds trop bas. L’environnement de travail n’est pas adapté Comme on ne peut pas prendre nos repas aux horaires normaux, il y a aussi pas mal de troubles alimentaires. » Nous explique cette jeune fille de 23 ans.
Le syndicalisme dans les centres d’’appel
Outre ces conditions de travail particulièrement stressantes, les salariés des centres d’appel dont la majorité ne sont pas déclarés à la CNSS et travaillant sous un contrat-ANAPEC, subissent un manque de reconnaissance de leurs qualifications et de leurs compétences. La nature du contrat et des règles du travail rendent difficile voir impossible toute possibilité de se syndiquer. Le contrat stipule que l’employeur peut mettre fin à sa relation avec ses collaborateurs à tout moment, et sans motif. La société n’est pas obligée de donner des congés payés. Et la limitation du nombre d’heures travaillées n’est pas mentionnée, et on ne parle pas du tout d’’heures supplémentaires, souvent ordonnées par le supérieur quand l’objectif du salarié n’est pas atteint. Or, dans le code du travail marocain, on ne peut travailler par objectif que lorsqu’e l’on a un statut de cadre. La plupart des licenciements des centres d’appels utilisent ce motif.
Au début de l’année 2008, certains salariés de centres d’’appels avec une condition de travail plus ou moins stable, notamment ceux de Maroc Telecom, ont décidé de créer un syndicat. En deux ans, les employés de deux centres d’’appels ont également créé leurs bureaux syndicaux. Il s’agit de Sitel, de Dell. Ces trois bureaux sont affiliés à la CDT. Ce syndicalisme n’a pourtant rien généré de concret en matière d’actions, et réussit difficilement à rassembler les salariés, pourtant unanimes sur leur situation.
Et pourtant, les attaques contre les droits de ces travailleurs sont de plus en plus pesantes, les baisses de l’impôt sur le revenu de 2009 et 2010 n’ont pas été répercutées sur leurs revenus, et leurs formations va devenir payantes.
L’Association Marocaine des Relations Client et l’’Etat viennent de signer un partenariat sur la formation dans les métiers des centres d’appels. L’Etat se désengage du financement de ces formations. Les employés devront s’engager à travailler sur une durée déterminée (généralement 24 mois). Autrement, ils seront amenés à rembourser les frais de leur formation, pourtant nécessaire pour commencer le travail.
Al Mounadil-a