Les conflits collectifs du travail au Maroc ont augmentés depuis 2007 et le gouvernement prépare une loi organique visant à limiter les conditions d’exercice du droit de grève. Unanimes, les syndicats rejettent toute aliénation de ce qui est un droit constitutionnel au Maroc. Ils dénoncent les dérives patronales dont sont victimes les salariés et l’échec des autorités publiques à faire respecter la loi. (Réf. 110224)
Augmentation des conflits collectifs au Maroc
D’après les statistiques du ministère de l’Emploi, le mode de conflictualité sur le marché du travail marocain a changé avec une augmentation des grèves et une diminution des conflits individuels. Les conflits collectifs sont en hausse depuis 2007. Une hausse significative puisque l’année 2010 par exemple a vu naître 241 conflits contre 182 en 2007 ! Les conflits individuels, eux, ont diminué de 8% entre 2010 et 2009. Probablement un contrecoup mécanique de l’augmentation des grèves pendant lesquelles les conflits individuels sont pris en charge collectivement.
L’année 2010 montre que l’agriculture tient la première place avec 30 grèves. Les services fournis aux entreprises viennent en deuxième position avec 23 grèves, l’industrie des fourrures et du textile en troisième avec 20 grèves, l’industrie alimentaire et la fabrication des produits minéraux non métalliques en dernière position avec respectivement 15 et 18 grèves.
L’état chiffré de la répartition géographique des grèves du ministère de l’Emploi montre que c’est plutôt dans des régions provinciales ou dans les zones un peu reculées, que les conflits éclatent. A titre d’illustration, c’est à Tanger et à Agadir que l’on recense le plus de grèves, vient ensuite par exemple la région de Tiznit/ Aït Melloul et Inezgane. Casablanca, Rabat et Meknès viennent en cinquième position. Dans les grandes agglomérations, les employeurs irrespectueux de la loi doivent faire face à une main d’œuvre plus au fait de ses droits que dans les zones provinciales ou de campagne ce qui rend plus difficile le non-respect du Code du travail.
L’impact de la crise internationale fait exploser les conflits latents liés à la non-application du Code du travail
De nombreux médias convaincus de ce qu’ils appellent « l’exception marocaine » ont assuré que le Maroc passerait à travers la crise économique mondiale. Aujourd’hui, la tension dans les relations socioprofessionnelles coïncide du moins dans son timing avec le contrecoup de la crise financière internationale. Une situation de tension économique qui a probablement contribué à exacerber les situations potentielles de conflits entre salariés et employeurs. Les chiffres du Ministère révèlent l’importance des situations de conflits latents puisque la non-application du Code du travail est la première cause de grève apparente. Le licenciement et le retard dans le versement du salaire constituent les deux motifs de déclenchement des grèves. Ces trois revendications représentent donc à elles seules 55% des causes de conflits collectifs selon le ministère. Côté syndicats, on confirme le constat du ministère de l’Emploi : « les grèves se rapportent encore essentiellement à la non-application du code de Travail, l’absence d’affiliation à la caisse nationale de sécurité sociale, la violation des conventions collectives, le non-paiement des salaires, ou encore le défaut de couverture médicale ! » analyse Miloudi El Mokharek, Secrétaire général de l’UMT (Union marocaine du travail). Bien souvent les grèves ne portent donc pas sur des améliorations des conditions salariales ou de carrière mais sont donc plus souvent déclenchées par l’absence de respect des dispositions du Code du travail.
Préparation d’une loi organique par le gouvernement
En 2009 une première mouture d’un projet de loi organique visant à limiter le droit de grève avait été proposée aux différents partenaires sociaux. Un projet qui avait déjà de quoi faire réagir les organisations syndicales ; service minimum y compris dans le privé, décision de grève soumise un vote des salariés avec un préavis de 10 jours et interdiction de reprendre une nouvelle grève après le règlement d’un conflit collectif avant 365 jours. Selon certains journaux spécialisés, une mouture finale de ce projet est actuellement en préparation.
Les syndicats dénoncent un chantage législatif en faveur du patronat.
Les syndicats accusent le gouvernement de vouloir « goulotter » un droit grève dans un marché du travail où l’attitude irrespectueuse des règles du Code du travail de la part des employeurs affaiblit considérablement les salariés. « Le gouvernement nous fait une sorte de chantage que nous condamnons, car il consiste pratiquement à nous proposer la suppression de l’article 288 en échange de la négociation d’une loi organique sur le droit de grève ! » s’offusque M.Mokharek.
Par ailleurs, les syndicats marocains réclament depuis de nombreuses années la suppression de l’article 288 du Code pénal qui prévoit de sanctionner ceux qui par leur attitude empêchent le bon déroulement du travail. Une disposition dont la formulation juridique peu précise introduit un flou juridique qui a permis à de nombreux employeurs de « punir » les employés pour leur action syndicale.
La responsabilité sociale de l‘État et des entreprises marocaines en cause.
Les manifestations du 20 février, en dénonçant l’injustice sociale, met en question la capacité des autorités publiques à faire respecter la loi. Entre une corruption rampante et des inspecteurs du travail peu outillés pour contraindre les entreprises à respecter les règles, le nombre de journées de travail perdues pour les entreprises marocaines ne cesse d’augmenter. Elles s’élevaient à 110 557 en 2008 pour passer au triple en 2009 avec 313 523. Par ailleurs, le mouvement du 20 février a vite convaincu les différents partenaires sociaux que l’époque était propice aux revendications sociales déclenchant de nombreuses grèves dans plusieurs secteurs (banquiers, professions médicales, etc.). Consciente que le coût des grèves en 2011 sera certainement plus lourd, la CGEM (Confédération générale des entreprises marocaines) a annoncé l’organisation d’assises sur la responsabilité sociale des entreprises qui devaient se tenir le 23 mars. Ces premières assises sur la responsabilité des entreprises ont été annulées…