Madame Marina Petrella est hospitalisée depuis quelques jours à l’hôpital Sainte-Anne pour une aggravation extrêmement préoccupante de son état de santé. Nous saluons la sagesse de cette décision, prise conjointement par les ministères de la Santé et de la Justice et notre établissement, cette hospitalisation ayant permis d’éviter une issue fatale.
Pour autant, cette intervention, réalisée dans l’urgence, s’est faite au mépris de la loi. S’il n’était pas question de discuter du droit avant de réaliser les gestes médicaux d’urgence, il est légitime, une fois les premiers soins indispensables à la survie de madame Marina Petrella instaurés, de s’étonner de cette violation du code de la santé publique (CSP) et du code de procédure pénale (CPP).
Les textes sont, en effet, très clairs :
– selon l’article L.3214-1 du CSP, l’hospitalisation, avec ou sans consentement, d’une personne détenue atteinte de troubles mentaux est réalisée dans un établissement de santé, au sein d’une unité spécialement aménagée. Comme le service du docteur Bernard Lachaux, à l’hôpital Paul-Guiraud de Villejuif, où elle a été internée en juin, mais ce qui n’est pas le cas du service hospitalo-universitaire non sectorisé de Sainte-Anne, où elle a été admise de son plein gré, il y a une semaine.
– selon l’article L.3214-3 du CSP, cette hospitalisation doit se faire par un arrêté d’hospitalisation d’office (HO), selon l’article L.3213-1, c’est-à-dire un internement par décision du préfet de police de Paris ou d’un représentant de l’Etat. Ce qui n’est pas le cas puisque cette patiente a été admise à la clinique des maladies mentales et de l’encéphale (CMME) de Sainte-Anne en hospitalisation libre (HL), à notre demande explicite et à la condition qu’elle ne soit plus soumise aux impératifs de l’incarcération (attestation du professeur Frédéric Rouillon datée du 18 juin).
– selon l’article D.398 du CPP, il est prévu que, pour les détenus atteints de troubles mentaux, nécessairement placés en HO, il n’est pas fait application de la règle posée au second alinéa de l’article D.394, concernant leur garde par un personnel de police ou de gendarmerie pendant leur hospitalisation. Alors que quatre fonctionnaires de police nous sont pourtant imposés, ce qui entraîne une gêne pour le personnel et les autres patients, en dépit de la courtoisie et du comportement irréprochable des fonctionnaires affectés à ce service.
On ne peut qu’être surpris par la désinvolture des ministères concernés qui pérennisent, en connaissance de cause, la violation de ces textes essentiels tant au maintien de la sécurité publique qu’aux droits des malades, auxquels nous sommes tous très attachés. La seule question qui vient à l’esprit pour l’expliquer, dans un lieu de soins psychiatriques emblématique comme Sainte-Anne, est : l’Etat français a-t-il perdu la raison ?
En ayant fait confiance à notre pays, Marina Petrella, dont le comportement en France a toujours été exemplaire, se sent trahie. Emprisonnée une dizaine d’années pour sa participation à « une guerre civile de basse intensité », selon les termes des autorités politiques italiennes elles-mêmes, elle a reçu l’asile de la République française (« en exil sur fondement humanitaire, à la condition de renoncer à la lutte armée » très précisément) par la voix de deux de ses présidents. Sans renier son combat pour un monde meilleur et alors qu’elle a clairement exprimé ses regrets pour sa participation aux drames des « années de plomb », elle estimait « avoir payé sa dette à la société », selon la formule consacrée. D’autant que, il n’est pas inutile de le rappeler, Marina Petrella ne fut pas condamnée comme exécutante matérielle mais pour « concours moral » aux activités de son groupe.
Elle est mère de deux filles (dont la dernière n’a que 10 ans) et travaille à soulager les difficultés des plus démunis dans son métier d’assistante sociale.
A l’heure où le gouvernement promeut les alternatives à l’incarcération, avec un projet de loi récemment présenté au Conseil des ministres, il semblerait incohérent de renvoyer en prison cette mère de famille pour des faits qui datent de trente ans. De surcroît, l’extrader reviendrait à la condamner à la peine de mort, pourtant abolie en Europe ; en effet, la conviction de tous les médecins et infirmier(e)s qui la soignent actuellement est qu’elle mourra si la décision d’extradition n’est pas annulée pour raison humanitaire (conformément à la loi).
Aucune intervention médicale ne peut empêcher quelqu’un de mourir si il ou elle y est déterminé ; d’autant que cette patiente étant en hospitalisation libre, aucun soin ne pourra lui être imposé à la CMME, ni légalement, ni même déontologiquement. Nous savons tous que la justice ne doit pas être inspirée par la vengeance, vengeance d’Etat en l’occurrence ! D’autant que celle-ci punirait autant, sinon plus, sa famille et notamment sa petite fille, que l’on priverait de sa mère.
Une solution digne, d’ailleurs prévue par la Convention de 1957, doit donc être trouvée pour que Marina Petrella puisse se reconstruire comme elle l’a toujours souhaité… Aujourd’hui, et probablement pour de long mois, compte tenu de la sévérité de son état, cette reconstruction ne saurait se faire en dehors d’une structure de soins spécialisés.