Le lundi 28 janvier 2008, au lendemain de la clôture du congrès, Libération n’a publié qu’une brève qui ne peut rendre compte des décisions prises. Pour l’heure, le quotidien aura donc publié une interview de Christian Picquet (voir ci-dessous), minoritaire (14%), mais d’aucun représentant de la majorité (83%) de l’organisation. On notera aussi qu’aux yeux du journaliste, Daniel Bensaïd (majoritaire) « fanfaronne » et Alain Krivine (majoritaire) « s’emporte » alors que Picquet (minoritaire) « ajoute » des précisions. Beautés du style...
P. R.
La LCR à la recherche de sa renaissance
Le congrès doit entériner le début du processus conduisant à la disparition du parti.
MATTHIEU ÉCOIFFIER
Samedi 26 janvier 2008
« Je ne suis ni à l’enterrement de Pierre Lambert ni à celui de la LCR », a ironisé vendredi Olivier Besancenot. Si sa formation, réunie en congrès à la Plaine-Saint-Denis, au nord de Paris, doit s’engager d’ici à dimanche dans le processus conduisant à sa dissolution, c’est pour renaître en « nouveau parti anticapitaliste [NPA, le nom de code en interne, ndlr] avant fin 2008 », a-t-il lancé à la tribune. « Nous, on n’enterre pas le trotskisme, on le sublime pour aller au delà, fanfaronne Daniel Bensaïd, cofondateur de la LCR. On veut réduire l’écart entre la popularité grandissante d’Olivier et notre réalité militante. Quand on voit ce qu’on est capable de faire à 3 000, imaginons ce qu’on ferait à 12 000, avec un parti plus ancré dans les milieux ouvriers et issus de l’immigration. »
Horizons. Pour faire avaler la pilule d’une disparition annoncée, même si très contrôlée, Besancenot et la direction de la LCR martèlent la terminologie, une force pour « révolutionner la société », et rappellent que le porte-à-porte pour sa promotion fonctionne : « On ne s’est pas pris un seul râteau », assure l’ex-candidat à l’Elysée. Ils font aussi miroiter leur stratégie : monter en puissance grâce à des comités locaux, puisqu’au plan national aucun partenaire ne s’est déclaré. « On n’attend pas des courants qui ne viendront jamais. On se retrousse les manches, on travaille avec la base avec le but de faire un Mai 68 qui réussisse », s’emporte Alain Krivine, porte-parole de la LCR, fondée il y a quarante ans. Besancenot, lui, affiche l’ambition de « gagner des milliers de militants » venus d’autres horizons, des anonymes « qui n’ont aucune filiation ».
Reste à convaincre les syndicalistes, féministes, altermondialistes et autres écologistes « d’en bas » de rallier la révolution, et de se couler dans le calendrier que le congrès de la Ligue doit adopter ce week-end. Un appel sera lancé pour la mise en place de « comités pour le nouveau parti » et, en juin, une assemblée constituante fixera le programme, les statuts, l’orientation de l’organisation, dont le « congrès de fondation » est prévu fin 2008.
Dans la salle, des antilibéraux d’Attac, des syndicalistes de Solidaires, des bovétistes dénoncent « le clivage entre réformistes et révolutionnaires » qui les exclut de cette future formation. « Les comités locaux de Besancenot, c’est des soviets », balance Eric Coquerel de Mars, formation qui regroupe d’ex-chevènementistes.
Bases. Pour les municipales, la LCR s’avère beaucoup plus ouverte. Dans « la moitié des 36 villes plus de 100 000 habitants où l’on est présents, on est sur des listes unitaires », concède Pierre-François Gron, un dirigeant de la LCR. A Toulouse avec les Motivé-e-s, à Marseille avec les ex-comités Bové. « Et aussi avec une dizaine de sections du PCF », ajoute Christian Picquet, chef de file des unitaires. De quoi jeter les bases du nouveau parti anticapitaliste. Ou les brouiller.
questions à...
« La direction de la LCR marche cul par-dessus tête »
Christian Picquet, chef de file de la minorité « unitaire » de la Ligue.
Recueilli par MATTHIEU ÉCOIFFIER
Vendredi 25 janvier 2008
C’est aujourd’hui que la Ligue communiste révolutionnaire, réunie en congrès à la Plaine-Saint-Denis en région parisienne, doit débattre du lancement du nouveau parti anticapitaliste, auquel adhère une majorité de plus de 80 % des délégués. Christian Picquet, chef de file de la minorité « unitaire » - qui pèse « 14 % en raison, selon lui, des effets collatéraux de l’échec de la candidature unique à la présidentielle » - critique la stratégie d’Olivier Besancenot et de la direction de la LCR.
Pourquoi critiquez-vous la stratégie de lancement du nouveau parti ?
Je crains que la direction de la LCR ne s’enferme dans une illusion : croire que l’écho d’Olivier Besancenot se traduira mécaniquement en une nouvelle construction politique. Sur le fond, Olivier Besancenot n’a pas tellement bougé de sa ligne gauchiste. Hormis sur une chose : il a compris que la Ligue ne pouvait être le réceptacle naturel des attentes qu’il suscite lui-même. Il a donc enclenché un dépassement de la LCR. Le problème, c’est qu’il s’est arrêté sur la forme.
Quels sont vos points de désaccord ?
A mesure que le projet se concrétise, la définition du nouveau parti se veut de plus en plus « révolutionnaire » et prétend ne s’adresser qu’aux seuls « révolutionnaires ». Les gens vont donc comprendre que les bases proposées sont celles de la LCR aujourd’hui et qu’elle veut les instrumentaliser. Cela risque d’avoir un coût politique élevé : le refus de discuter avec les sensibilités antilibérales existant par ailleurs, du PCF aux gauches dans le PS en passant par les forces alternatives, pour en appeler aux seuls « anonymes » dans les luttes, aux « héros du quotidien ».
C’est un risque à vos yeux ?
Oui, c’est celui d’une démarche cul par dessus tête : on définit tout à l’avance, la base politique - « révolutionnaire » -, le périmètre - seulement les anonymes et les acteurs de terrain - et le calendrier. Comment dire après aux futurs adhérents : venez, on va tout décider à égalité avec vous. Ils veulent une formation qui rassemble le meilleur des traditions de la gauche anticapitaliste. Son pluralisme est une nécessité, sauf à penser que la LCR seule peut réaliser la synthèse indispensable.
Ce nouveau parti ne peut-il pas fédérer l’extrême gauche ?
La réalité, c’est que nous n’avons pour partenaires que des petits groupes, même pas LO, ni sa minorité ou Alternative libertaire. Au total, moins de 2 000 personnes se sont rendues aux réunions sur le nouveau parti : on est très loin du compte pour prétendre incarner une alternative disputant l’hégémonie du PS à gauche. C’est d’autant plus regrettable qu’au PCF le tabou d’une autre forme du parti commence à être levé, tandis qu’au PS ou chez les Verts certains posent la question d’une nouvelle force, et qu’au sein des collectifs antilibéraux des milliers d’inorganisés aspirent à du nouveau. Voilà pourquoi la LCR doit agir « grand angle » et pas « petit bras ».
Révolutionnaire, mais pas trop
Olivier Besancenot. Alors que la LCR entame sa refondation dans un nouveau mouvement, le très populaire trotskiste n’entend pas en prendre la tête pour éviter le piège de la personnalisation.
MATTHIEU ÉCOIFFIER
Jeudi 24 janvier 2008
La gauche, c’est lui ? « A gauche, il n’y a plus que vous. » Cette phrase, Olivier Besancenot l’a beaucoup entendue à l’automne dans la bouche des cheminots en grève contre les régimes spéciaux, de salariés en lutte ou d’étudiants venus à une des « réunions fourmilières » de la LCR pour participer à la création du « parti d’Olivier ». Alors que le 17e congrès de la Ligue communiste révolutionnaire, qui s’ouvre aujourd’hui à la Plaine-Saint-Denis, en banlieue parisienne, doit procéder à la mise sur orbite d’une nouvelle formation, son « Lider maximo » se retrouve face à un véritable casse-tête : mettre sa popularité grandissante au service de son entreprise, tout en évitant le piège de la personnalisation. « Ce ne sera surtout pas le parti d’Olivier Besancenot. Ce serait un échec politique et personnel, précisait l’intéressé, hier, à Libération. Dans les réunions publiques, ce qui plaît, c’est l’idée pour ceux qui luttent de se représenter eux-mêmes dans un parti anticapitaliste. Un parti qui veut révolutionner la société, à plusieurs visages, dont je ne serai que l’un des porte-parole. Le risque serait de continuer à surfer sur ce qui s’est passé depuis six mois. »
Figure d’opposition. Certes, depuis ses 4,08 % à la dernière présidentielle - le double du score de Marie-George Buffet (PCF) -, Besancenot occupe l’espace de la radicalité. Mais il s’est imposé, au-delà des franges traditionnelles de l’extrême gauche, comme l’une des principalesfigures d’opposition à Nicolas Sarkozy. Dans les cortèges, comme sur les plateaux télés, où il rive leur clou aux ténors de droite. « Il n’y a personne entre Sarko et Besancenot », feignait de croire, en novembre, un député UMP. Lui répète qu’il ne « tortille pas », à l’inverse du PS, qui s’oppose « sur la forme, parce qu’il est d’accord sur le fond » avec les réformes du gouvernement. En pleine crise du pouvoir d’achat, la popularité de Besancenot fait aussi écho à son discours sur la nécessaire redistribution des richesses entre salariés et actionnaires. Résultat, dans le dernier baromètre Libération-LH2 des « meilleurs leaders », les sympathisants de gauche placent le leader de la LCR en troisième position, derrière Royal et DSK, mais devant Delanoë.
Jean, tee-shirt, baskets. A 33 ans, avec son immuable panoplie jean, tee-shirt et baskets noirs, le voilà « porte-voix de ceux qui luttent », se délectent ses deux mentors de la LCR, Alain Krivine et François Sabado. Et Paris Match de qualifier de « Che sans les poils » ce fils d’un professeur de physique et d’une psychologue scolaire retraitée, Geneviève Besancenot, candidate sur la liste LCR aux municipales de Louviers (Eure). « Olivier a commencé à militer à l’âge de 15 ans sur l’antiracisme et a été politisé par un prof d’allemand qui militait à la Ligue », raconte Krivine. Olivier Besancenot y adhère en 1991, à 15 ans. Après une licence d’histoire à Nanterre, il entre à La Poste en 1997. Aujourd’hui employé à temps partiel au centre de Neuilly-sur-Seine, il gagne 1 000 euros net. « Olivier bosse les mercredi, jeudi, vendredi et un samedi sur deux », précise Krivine. Ce qui, depuis 2002, lui a permis de sillonner les « boîtes en lutte », de Citroën à Playtex, de la Snecma à Well, et de devenir, selon un camarade, une sorte de « superdélégué du personnel pour tous les salariés qui souffrent ».
Posture. Sur une ligne gauchiste radicale depuis ses débuts à la LCR, Besancenot se rapproche de Krivine, dont il est l’assistant au Parlement européen, au début des années 2000. Le convainc que la posture « révolutionnariste », 100 % indépendante du PS, sera payante. D’où le dézinguage par la direction de la LCR de la tentative de candidature unique antilibérale à la présidentielle. Et le refus de s’adresser à la palette des sensibilités antilibérales au sein du PCF, du PS et des écologistes pour monter le nouveau parti. « Besancenot a crevé l’écran par son talent, regrette Christian Picquet, de la minorité « unitaire » de la LCR. Si seulement il le mettait au service d’une ligne d’ouverture, il casserait la baraque. Au lieu de s’enfermer dans une logique de rabougrissement autour d’une Ligue élargie et relookée. »
Pour ne pas donner l’impression que tout est ficelé, la LCR, qui espère tripler ses effectifs actuels (3 000 adhérents) et jure qu’elle se dissoudra dans la nouvelle structure, annonce un congrès constituant à l’automne. Et reste floue sur le nom du nouveau parti, tout comme sur son contenu. « Guévariste, syndicaliste révolutionnaire, altermondialiste, féministe… et pourquoi pas garagiste », ironise un dirigeant d’Alternative libertaire. Un flou qui oblige beaucoup de sympathisants à qualifier la future formation de « parti d’Olivier ». Et condamne pour l’heure Besancenot à en rester l’étendard.