La Commission de garantie des retraites (ainsi nommée, probablement, par dérision) a recommandé au gouvernement, le 29 octobre, l’augmentation, à partir de 2009, de la durée de cotisation pour bénéficier d’une retraite à taux plein « d’un trimestre par année pour atteindre 41 annuités en 2012 ». De 40 ans en 2008, nous passerions à 41 en 2012. Il est bon ici de rappeler que ce passage n’a aucun caractère automatique : un simple décret peut s’y opposer. Il revient aux travailleurs de s’emparer du sujet et de peser de toutes leurs forces, pour imposer leur point de vue.
Pour rendre son avis, la Commission en question s’est appuyée sur un rapport récent du Conseil d’orientation des retraites (COR) : « Retraites : vingt fiches d’actualisation pour le rendez-vous de 2008 ». Ce rapport prévoit un déficit s’élevant à 24,8 milliards d’euros (à prix constants, ceux de 2006) en 2020. Une somme qui est déclamée sur tous les tons et dans tous les médias. 25 milliards, cela ne peut qu’impressionner le salarié moyen ! Pourtant, le COR nous indique aussi que le besoin de financement, en 2020, représenterait 1 % du PIB de cette année. Voyons donc si un financement, de l’ordre du 1 % du PIB serait supportable aujourd’hui : si c’est le cas, il n’y a pas de raison qu’il ne le soit pas aussi en 2020, l’effort relatif demeurant le même.
Commençons d’entrée de jeu par relever que les seuls allégements généraux de cotisations sociales accordés aux entreprises ont précisément atteint, en 2005, 1 % du PIB de cette année. Voilà une source de financement toute trouvée et parfaitement adéquate : nous couvrons le déficit, tout en supprimant autant de cadeaux indus au patronat. Cela sera d’autant plus facile à réaliser que le COR suppose lui-même que l’on se dirige peu à peu vers le plein-emploi : il s’ensuit que, bien avant 2020, il n’y aurait plus aucune excuse, même officielle, aux allégements et dégrèvements divers.
En finir avec les exonérations
Notons, par ailleurs, que 1 % du PIB en 2006 représente près de 18 milliards d’euros. Ce qui est aussi peu que 6,5 % des profits des sociétés non financières de la même année, profits estimés d’après leur excédent brut d’exploitation. Cela représente aussi le pourcentage insignifiant de 10 % des dividendes, distribués cette même année 2006, par ces mêmes sociétés. On pourrait donc faire face au besoin de financement de 2020 en augmentant progressivement les cotisations patronales et en réduisant du même montant les dividendes distribués. Un (petit) sacrifice de ceux qui s’enrichissent en dormant permettrait de couvrir le déficit, alors que l’on s’apprête à demander aux salariés et, parmi eux, aux plus pauvres, de travailler plus longtemps ou d’avoir de plus faibles pensions.
Mais que se passerait-il si, contrairement aux prévisions du « scénario de base », l’âge moyen de départ à la retraite n’augmentait pas, demeurant ce qu’il est aujourd’hui ? Dans ce cas, nous dit le rapport du COR, le besoin de financement passerait, en 2020, de 1 % à 1,5% du PIB. Un tel accroissement ne change pas le tableau : dans tous les cas de figure, une combinaison quelconque des deux moyens qui viennent d’être évoqués (renonciation aux exonérations et ponction sur les dividendes) permettrait, sans difficulté, de faire face au déficit attendu. Et qu’on ne vienne pas nous dire qu’il n’y a pas de marge de manœuvre : la part des salaires dans la valeur ajoutée des sociétés non financières a perdu plus de 8 points, de 1982 à 2006 ! Il y a de quoi faire ! Ajoutons que, si nous nous dirigeons effectivement vers le plein-emploi, nous pourrons alors faire basculer des ressources prévues pour faire face au chômage vers le financement des pensions : le rapport du COR montre que l’hypothèse d’une hausse des cotisations vieillesse compensée par des baisses des cotisations à l’assurance chômage conserve toute sa validité.
Pensions au rabais
Il est vrai que, selon les projections du COR, le déficit ne s’arrête pas en 2020 ; il se prolonge dans les années suivantes, jusqu’en 2050. Mais cela n’aurait guère de sens de prendre, dès aujourd’hui, des mesures pénalisantes pour faire face à une dégradation susceptible d’intervenir d’ici une quarantaine d’années, et dont personne ne sait si elle aura lieu ou pas. En seulement deux ans, de 2005 à 2007, le COR a lui-même changé son fusil d’épaule, prévoyant pour 2050 un déficit qui s’élèverait à 1,7 % du PIB de cette année, en lieu et place des 3,1 % qui étaient jusque-là attendus, confirmant au passage que le catastrophisme n’a pas lieu d’être, ce que nous disions dès la sortie du rapport Charpin, en 1999. De 3,1 % à 1,7 %, le changement n’est pas mince, c’est le moins qu’on puisse dire, et il devrait inciter à la prudence en matière de prévisions ! D’ailleurs, le 1,7 % n’est guère éloigné du 1,5 % de 2020, et on peut sans grande peine montrer que le premier peut se financer tout aussi facilement que le second. Ajoutons que, si le déficit de 2020 est couvert à l’aide des mesures que nous avons envisagées, il restera 30 ans – 30 ans ! – pour trouver, progressivement, le 0,2 % du PIB manquant.
Tout cela rend d’autant plus incompréhensible la recommandation de la Commission de garantie des retraites consistant à allonger la durée de cotisation pour bénéficier du taux plein. Le but officiellement proclamé est d’inciter à l’allongement de l’activité. Mais une grande partie de ceux qui partent à la retraite n’a déjà plus d’emploi. Le modèle de l’Insee, sur lequel s’appuie le COR, prévoit que, même en 2020, tel sera le cas de 55 % de ceux qui liquident leurs droits ! Alors, de deux choses l’une : soit ces personnes partent à la retraite dès qu’elles le peuvent, et allonger la durée de cotisation ne fera que réduire le montant de leur pension ; soit elles retardent leur départ à la retraite, mais elles sont de toute façon à la charge des actifs occupés, par exemple en tant que chômeurs, au lieu de l’être en tant que retraités.
Refuser les 41 annuités
S’agissant maintenant des actifs occupés, une telle mesure est tout aussi inefficace, comme le COR lui-même l’a constaté dans son rapport. En effet, la mise en œuvre de la loi de 2003 – et les allongements de durée de cotisation qui l’ont accompagnée – n’ont entraîné aucune modification des comportements : tout le monde se précipite vers la sortie aussi vite qu’il le peut. L’introduction de la surcote n’a pas eu plus d’effet. La part des personnes relevant du régime général et partant à la retraite avec surcote est stable, aux alentours de 5 à 6 %. Quant aux fonctionnaires, le COR ne cache pas qu’en l’absence de surcote, nombre d’entre eux seraient partis à la retraite au même âge. Et d’ajouter : « Seulement 3 % des bénéficiaires de la surcote pourraient avoir été sensibles aux incitations financières et conduits, de ce fait, à reporter la date de leur départ en retraite. »
L’allongement de la durée de cotisation ne sert pas l’objectif que l’on prétend poursuivre : mieux, il travaille à son encontre. Les différents « rendez-vous » prévus par la loi de 2003, la dramatisation voulue par le gouvernement pour faire avaler les allongements programmés, tout cela pousse les assurés à emprunter tout de suite le chemin de la sortie, aggravant le déficit. Le COR souligne le désir des seniors de partir au plus vite et, maniant l’euphémisme, note que « ce désir a pu être renforcé par la crainte de modifications futures des droits à la retraite ». Les « départs anticipés pour carrière longue » se sont transformés en une véritable vague, « la régularisation de cotisations arriérées » a pris une ampleur inattendue, etc. Le seul moyen d’arrêter cette mécanique est d’arrêter les allongements, devenus réflexe pavlovien. « Dès que je renifle un déficit, même à échéance de 50 ans, je sors mon allongement de la durée de cotisation », dit la pensée unique. Tout cela est plutôt bas de plafond.
À quoi bon ajouter une couche à ce qui n’a eu que des effets pervers ? C’est que le véritable objectif de la manœuvre n’est pas l’allongement de la période d’activité, mais la dégradation du niveau des pensions. Raison de plus pour dire un « non » catégorique au passage à 41 annuités, rouvrir le dossier des 37,5 annuités pour tous, et demander que l’on se décide à faire (un peu) de peine à ceux qui attendent tranquillement, sans bouger le petit doigt, que leur capital fasse des petits.
Isaac Johsua
Encarts
LEURS TRÈS CHÈRES RETRAITES
Ils n’ont pas de mots assez forts pour fustiger les « privilèges » des cheminots, des agents de la RATP, d’EDF ou de GDF. Ils jurent n’avoir pour seul souci que l’égalité et la justice sociale. Ils mettent en avant leur attachement à « l’intérêt général » pour tailler à la hache dans nos retraites. Ils ? Les 577 députés présents à l’Assemblée nationale ! Il est vrai que, pour eux, tout va bien : retraite pleine et entière à 60 ans. Au bout de 40 ans de cotisation ? Non ! Ni même de 37,5 ans, d’ailleurs. 22,5 ans suffiront, car leurs années de mandat comptent double pendant quinze ans, puis une fois et demie pendant les cinq années suivantes. Pénibilité du travail, sans doute ? Encore faut-il préciser que leur pension est de 1 500 euros pour un mandat, de 3 000 pour deux mandats, de 4 600 pour trois mandats, et qu’elle peut atteindre 6 190 euros pour les multirécidivistes ! Naturellement, un régime aussi luxueux est déficitaire – 38 millions d’euros en 2005 et 2006. Déficit épongé par le contribuable, comme il se doit.
François Duval
POUR UN VRAI DROIT À LA RETRAITE
Comme il fallait s’y attendre, l’offensive contre les régimes spéciaux n’était que le prélude à une nouvelle attaque contre les retraites de tous et de toutes, avec le passage à 41 années de cotisation pour les salariés du public et du privé.
Les rapports d’experts se suivent et se ressemblent. L’allongement de la durée de vie sert de prétexte aux mêmes « recommandations ». Trop de retraités par rapport aux actifs ? Il faudra donc allonger indéfiniment la durée de cotisation et diminuer systématiquement le montant des pensions ! C’est oublier que la productivité du travail a, elle aussi, considérablement augmenté : la masse de richesses créée par chaque salarié n’a jamais été aussi importante. Elle continue – et elle continuera – de croître. Le fameux « problème des retraites » n’est pas la conséquence de « phénomènes démographiques », mais de l’accaparement des richesses créées par tous au profit d’une petite minorité d’actionnaires.
Financer une retraite décente pour tous et toutes est possible. Grâce à une réelle redistribution de ces richesses, à commencer par la suppression des allégements des cotisations patronales, voire leur augmentation. Et grâce à l’élévation des salaires et du niveau d’emploi, dont l’un des premiers effets sera d’augmenter les cotisations perçues : 300 euros mensuels de plus par salarié, c’est 55 milliards d’euros de plus par an dans les caisses de la Sécu. 100 000 emplois supplémentaires, c’est encore 1 milliard de plus de cotisations…
CE QUE PROPOSE LA LCR
● Le droit à une retraite pleine et entière à 60 ans, sur la base de 37,5 annuités de cotisations.
● Un montant des pensions égal à 75 % du meilleur salaire de la carrière professionnelle (le dernier pour les salariés du secteur public).
● Le principe qu’aucune retraite ne soit inférieure au Smic.
● Un plan massif de rattrapage des retraites des femmes, aujourd’hui inférieures de moitié à celles des hommes (du fait du temps partiel imposé et des périodes d’arrêt d’activité pour élever les enfants).
F. D.