• Que révèlent ces drames ?
Vincent Duse - Mario était un copain. C’est lui qui m’a formé quand je suis arrivé dans l’usine. Ces suicides posent la question de l’exploitation du travail chez PSA. 500 emplois ont été supprimés à Mulhouse en moins de trois ans. D’autres menaces existent pour 4 800 postes sur le groupe, mais on ne connaît pas leur répartition par sites. C’est ce que nous appelons le plan « Stress », officiellement la « gestion prévisionnelle des emplois et compétences » (GPEC), avec les méthodes copiées sur Toyota, des chronométrages chaque mois, pour pousser à des gains de productivité. Ce qui aboutit, tous les mois, à un poste supprimé. Tout est mis à plat régulièrement, avec une demande d’implication toujours plus grande des salariés. Eux-mêmes doivent suggérer des améliorations, à tous les niveaux, comme « monteurs polyvalents » dans ce qu’ils appellent les unités élémentaires de production (UEP). Tout le monde finit par contrôler tout le monde. Les salariés finissent par dénoncer tel collègue en arrêt maladie, allant jusqu’à dire que c’est à cause de lui qu’on ne touche pas les primes prévues... L’organisation du travail génère du stress, de la peur. Ils laissent même planer la menace d’une fermeture du site, sans fondement. Ce tableau forme une ambiance pourrie dans l’entreprise.
• Il y a aussi des lettres « culpabilisantes » envoyées aux salariés...
V. Duse - C’est une lettre type envoyée systématiquement à tous ceux qui sont en maladie. Elle leur dit : c’est à cause de vous que nous ne pouvons pas démarrer des installations prévues, ou que nous ne pouvons pas faire de formation. Vous perturbez le travail par « des absences nombreuses et répétées ». Or, l’article 30 de la convention collective locale stipule qu’un employeur peut se séparer d’un salarié qui « perturbe la production », du fait de ses « absences nombreuses et répétées ». C’est une machine à broyer les gens et à casser les résistances. Mais cela ne signifie pas que les salariés qui se sont suicidés aient tous reçus ce genre de courrier.
• Comment réagissent les salariés ?
V. Duse - Il y a certes la peur, la résignation. Les dépressions nerveuses ont explosé : plus de 150. Mais les salariés disent : on ne pourra pas continuer à travailler dans ces conditions. Nous organisons, le 13 septembre, une réunion de la filière automobile, appelant à un plan d’urgence et de résistance. Avec Peugeot, Renault, les sous-traitants, etc. Il faut mener une bataille juridique pour la reconnaissance des suicides comme accidents mortels du travail, ce que PSA refuse. Le DRH [directeur des ressources humaines, NDLR] a trouvé choquant que « certains », de façon « dogmatique », puissent « utiliser » la mort pour dénoncer les conditions de travail, alors que PSA, depuis des années, « œuvre pour l’amélioration des conditions de travail ». Mais ces morts ne sont pas que des problèmes « privés ». Nous voulons une enquête indépendante sur les conditions de travail à PSA, avec des personnes ou des organismes extérieurs à l’usine. Par exemple, la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), des médecins, etc.
Propos recueillis par Dominique Mezzi
EN 1980 DÉJÀ, LE SUICIDE DE PHILIPPE MARCHAUD
Tradition antisyndicale
Philippe Joseph
Au début de l’année 1980, notre camarade Philippe Marchaud, militant LCR et délégué CGT sur les chaînes de montage de l’usine de Peugeot Sochaux, se suicidait. Le lendemain, les chefs du secteur annonçaient sa mort par ce commentaire : « L’emmerdeur s’est flingué. » Ces mots résonnaient quasiment comme un communiqué de victoire... et comme un aveu de leur responsabilité.
Les patrons de l’automobile étaient rompus à la chasse aux syndicalistes. À Citroën, c’était la terreur brutale, organisée par la maîtrise et le syndicat maison, rendant quasi clandestine l’activité de la CGT et de la CFDT ; à Peugeot Sochaux, la méthode était plus sophistiquée, et elle consistait en l’organisation d’un harcèlement permanent des militants visés.
Embauché en 1976, Philippe - « le Grand » pour ses copains - était élu, un an plus tard, délégué du personnel sur la liste CGT. À partir de ce moment, il a subi un harcèlement permanent de la part de la hiérarchie du secteur. Cela consistait en des changements de poste fréquents sur la chaîne - ce qui entraînait des difficultés à suivre la cadence -, en des avertissements sous n’importe quel prétexte - Philippe en a reçu plus d’une centaine en un peu plus de trois ans de travail à Sochaux -, en un suivi constant de ses déplacements, en des avertissements à répétition pour dépassement des heures de délégation, accompagnés de retraits sur la feuille de paie, alors que ces dépassements étaient prévus par la loi.
Cette pression a pour but d’isoler le militant : dans cette situation, on perd plus de temps et d’énergie à se défendre qu’à faire le boulot de délégué. Et ensuite de l’amener à craquer en demandant son compte ou sa mutation dans un autre secteur, car si la direction de Sochaux était forcée de tolérer les syndicats, elle voulait éliminer tout militant actif dans le secteur stratégique des chaînes de montage.
Notre camarade était conscient de ces manœuvres. Il n’avait pas de goût particulier pour le sacrifice, mais il ne voulait pas satisfaire « ceux d’en face ». Mais ce harcèlement est terrible : il use en profondeur, déstabilise, épuise mentalement et fait douter de soi. Que d’autres difficultés dans la vie familiale ou affective s’y ajoutent, et le suicide peut survenir. Philippe ne voulait pas être un martyr, encore moins un exemple. Son combat doit simplement nous rappeler la férocité de l’adversaire et l’urgence de mettre fin à la barbarie de l’exploitation.
Editorial
Le capitalisme assassine
Joséphine Simplon
« Tout ça, c’est la faute à SFR. » Voilà le message SMS qu’une jeune salariée de 34 ans, en lutte depuis deux mois contre le projet de SFR service clients, a envoyé avant de faire une tentative de suicide sur le site de Poitiers, son lieu de travail.
Cet acte désespéré a eu lieu le lendemain du comité central d’entreprise, lors duquel la direction, passant ainsi en force, a confirmé le transfert à la sous-traitance de 1 900 salariés. Depuis le 23 mai, la majorité des salariés de SFR se bat chaque jour pour que la direction revienne sur sa décision de vendre les sites de Toulouse, Poitiers et Lyon à la sous-traitance. Malgré cette lutte sans précédent, la direction ne veut en aucun cas revenir sur sa décision. On comprend pourquoi : 50 millions d’euros d’économies iront grossir les poches des actionnaires, qui ne se satisfont plus du 1,6 milliard versé en 2006. Pour augmenter les dividendes des actionnaires, SFR a trouvé le bon filon : l’article L-122-12 du code du travail, permettant de se débarrasser de ses salariés sans plan social, tout en abaissant leurs salaires, leurs conditions de travail et leurs acquis !
Les salariés de SFR ont pris conscience qu’ils n’étaient que des marchandises, des variables d’ajustement pour enrichir les plus riches. C’est cette logique qu’ils combattent, depuis plus de deux mois, face à une direction arrogante, indifférente, ayant tous les pouvoirs... même sur leur vie.
Le cas de SFR n’est pas, hélas, un cas isolé. Les suicides, ou les tentatives de suicide, sur le lieu de travail sont de plus en plus nombreux, comme au Technocentre de Renault Guyancourt ou à PSA Mulhouse, le dernier en date. C’est bien ce système qui exploite et broie les travailleurs. Il est urgent de s’en débarrasser. Nos vies valent vraiment plus que leurs profits.