Cher.es camarades,
Suite à l’intervention de notre représentante au 53e congrès de CGT, deux fédérations et trois unions départementales de la CGT, affiliées à la FSM, ont publié une adresse à Pambis Kyrisris, secrétaire général de la FSM.(1)
Les auteur.es de cette adresse protestent contre les propos concernant l’Iran et la FSM dans l’intervention de notre représentante, et demandent au secrétaire général de la FSM de leur adresser des documents « circonstanciés » « par courrier interne ».
Tout d’abord, les propos violents et peu courants utilisés dans ce courrier nous sidèrent. Notre camarade est accusée d’avoir :
– « gravement calomnié la FSM sur son comportement et ses orientations en Iran »,
– « diffamé suffisamment la FSM pour présenter les organisations affiliées que nous sommes, comme infréquentables et dans l’erreur ».
Et les signataires poursuivent de façon menaçante : « de telles calomnies ne peuvent rester impunies ».
Ces éléments de langage nous choquent. Ils ne sont pas sans rappeler la rhétorique de certains Etats tyranniques qui qualifient toute contestation politico-sociale de calomnie et de complot orchestré par l’adversaire, et méritant punition.
Mais au-delà de ces écrits, il est très inquiètant de constater le niveau d’ignorance d’éminent.es responsables de la CGT concernant l’Iran.
Pourtant, une grande organisation mondiale comme la FSM n’est certainement pas à court d’informations sur le fonctionnement de la République islamique d’Iran, notamment en ce qui concerne le monde du travail et en particulier ses institutions et organismes, dont la « Maison des travailleurs » et ses dirigeants. En la matière, cela fait des années que différentes associations de défense des travailleurs/euses d’Iran informent la FSM, ainsi que les organisations syndicales la composant.(2)
De plus, peu de gens ignorent aujourd’hui les pratiques du régime islamique d’Iran et l’ampleur de l’oppression qu’il exerce sur sa population.
Néanmoins, l’importance de certaines questions soulevées lors de notre intervention au congrès de la CGT et ses impacts au sein de cette organisation nous engage à détailler nos arguments - notre « calomnie » - ce que nous n’avons pas pu faire à la tribune du congrès par manque de temps.
Nous considérons qu’outre les Fédérations et UD signataires de l’adresse à Pambis Kyritsis, nous devons informer, le plus pleinement possible, tous les membres de la CGT sur les sujets abordés par notre représentante au 53e congrès de la CGT.
C’est pour cette raison que nous demandons à l’Espace International de la CGT de diffuser le présent article, ainsi que les documents ci-joints, auprès de tous les syndicats de la CGT.
La « Maison des Travailleurs » d’Iran, de quoi s’agit-il ?
L’origine de la « Maison des Travailleurs » (MT) remonte à l’époque du Chah, le dernier roi d’Iran renversé par la révolution de 1978-1979. Elle regroupait à cet époque un certain nombre de syndicats étatiques et d’associations professionnelles inféodées au pouvoir, et sans réelles activités.
Quelques mois avant la chute du régime monarchique en février 79, des militant.es ouvriers/ères révolutionnaires et des activistes de gauche ont arraché la MT des mains des institutions liées au pouvoir, et ont pris son contrôle. Lorsque les luttes de masse et de classe montaient en puissance, les comités de grève se développaient et les structures d’auto-organisation des travailleurs/euses se formaient. Ainsi le siège de la MT de Téhéran est devenu un centre de rassemblement des militant.es ouvriers/ères, des chômeurs/euses, des intellectuel.les et des révolutionnaires de gauche.
Par la suite, les nervis islamistes qui se préparaient à prendre la place du régime monarchique ont tenté plusieurs fois, en vain, de la conquérir. Finalement, quatre mois après la prise du pouvoir par la contre-révolution islamiste et l’avènement de la République islamique, les hommes de main du nouveau régime ont pu s’en emparer par la violence. Parmi ces hommes se trouvait Alireza Mahjoub, actuel vice-président de la FSM.(3)
Plus tard, des assaillants étroitement liés au clergé dominant, encadrés par les forces de renseignement et de sécurité du nouveau régime, et adoptés par la grande et petite bourgeoisie, ont été investis de leurs mission fondamentale se focalisant sur le renseignement et la répression : faire face aux protestations des travailleurs/euses, et empêcher la constitution de syndicats et autres organisations professionnelles indépendantes afin de réorganiser l’exploitation de la force du travail, et ainsi procéder à la consolidation du nouveau régime.
La MT n’est pas une organisation syndicale
La « Maison des travailleurs » était au départ un succursale (branche ouvrière) du parti au pouvoir, le Parti de la République Islamique. Après l’auto-dissolution de fait de ce parti en juin 1987, les chefs de « Maison des travailleurs » ont fondé le Parti islamique du travail.
Dès le départ, jusqu’à aujourd’hui, trois personnes dirigent le comité central de la MT :
– Ali Rabi’i, secrétaire général de 1979 à 1989,
– Hossein Kamali, actuel secrétaire général du Parti islamique du travail, de 1989 à 1990.
– Alireza Mahjoub (actuel vice-président de FSM) qui a remplacé Hossein Kamali en 1990, et occupe depuis le poste de secrétaire général (depuis déjà 33 ans).
La MT sert de marchepied à ses dirigeants pour s’installer aux leviers du pouvoir.
– Ali Rabi’i a été promu, entre autres, vice-ministre du Renseignement et de la Sécurité, puis chef des Renseignements des Gardiens de la révolution (Sepah) dans plusieurs régions, ministre de la Coopération, du Travail et des Affaires sociales (2013-2018), porte parole du gouvernement (2019-2021).
– Hossein Kamali, secrétaire général du parti islamique du travail, était aussi député durant trois législatures et promu ministre du Travail des Affaires sociales (1989-2001).
– Quant à Alireza Mahjoub, il a été député durant six législatures. Il occupait en même temps le poste de secrétaire général de la MT (Il faut rappeler que les élections ne sont pas libres en Iran). Il a été désigné conseiller du Premier ministre en 1981, ainsi que conseiller et inspecteur général du président de la république en 1990.
La MT est administrativement et officieusement reconnue comme un parti politique en Iran. Ses statuts relèvent aussi de la catégorie des partis politiques. Dans la rubrique « A propos de nous » de la page d’accueil de son site officiel, elle se présente ainsi :
« Afin d’atteindre les nobles objectifs de l’islam pur, la MT est établie comme une organisation qui croit au gouvernement du docte et obéit à la Constitution, pour guider et organiser les forces défendant les droits des démunis et des opprimés. Ceci pour atteindre les objectifs de la Constitution de la République islamique d’Iran afin de créer les conditions nécessaires pour que les travailleurs s’auto-construisent spirituellement, politiquement et socialement pour participer activement à la direction du pays, à la poursuite de la révolution islamique et du système de la justice divine, à l’exécution des décrets de Dieu et à la poursuite du chemin de l’Imam Khomeiny « paix à son âme », dans les domaines industriel, culturel, économique et social, et ce jusqu’au retour de Hazrat Mahdi (l’imam caché) ».
En effet, la MT n’est pas un syndicat mais un groupe politico-idéologique. De ce seul fait, elle n’a pas vocation de faire partie d’une organisation syndicale internationale ou mondiale.
La MT est un appareil à caractère coercitif au service de l’État
La MT est un dispositif politico-idéologique du pouvoir. Ses activités principales consistent à faire en sorte que des organisations syndicales indépendantes de l’État et du patronat ne soient pas formées ou en mesure de fonctionner.
Les travailleurs/euses qui bravent les interdictions dont l’observation est contrôlée par la MT sont menacé.es de licenciement et sont la cible d’un harcèlement quotidien, de persécution, d’emprisonnement, de violences physiques, etc.
Mais en dépit de la répression, diverses organisations indépendantes de travailleurs/euses se sont formée et luttent pour faire avancer leurs revendications, pour que le droit de s’organiser s’impose de fait, et pour que le droit à la grève soit obtenu.
En 2005, à la suite de la reconstitution du syndicat indépendant de la régie du transport de Téhéran et sa banlieue (Vahed), les hommes de la MT sur l’ordre de Alireza Mahjoub, en compagnie des forces de sécurité, ont pris d’assaut une réunion du syndicat, ont battu violemment les syndicalistes et les ont fait arrêtés.
C’est dans ces conditions que le Syndicat des travailleurs/euses de la régie du transport de Téhéran et de sa banlieue, et bien d’autres organisations indépendantes telles que les Associations professionnelles d’enseignant.es, Unions des retraité.es, Syndicat des travailleurs/euses de la sucrerie de Haft Tapeh, l’Union libre des travailleurs/euses d’Iran .... continuent leur combat coûte que coûte.
Il est évident que réprimer les syndicalistes et empêcher les travailleurs/euses de s’organiser librement et faire grève, renforce la détermination du patronat à maintenir les mauvaises conditions de travail et les salaires de misère. C’est ainsi que la MT participe, avec les Conseils Islamiques du travail (conseil mixte salarié.es/patronat), au renforcement d’un pouvoir ultralibéral et dictatorial.
La participation même de la MT à la FSM est donc contraire aux statuts de cette organisation, et encore plus en ce qui concerne le poste de son vice-président. Pour rappel, l’article 1 des statuts de la FSM stipule « La FSM est ouverte à toutes les organisations syndicales qui représentent et luttent pour les intérêts des travailleurs et acceptent les présents statuts ... ».
Cet article (comme bien d’autres) est-il une bagatelle, ou la FSM prétend-elle vraiment que la MT est une « organisation syndicale qui représente et lutte pour les intérêts de travailleurs » en Iran ?
La MT est au service des intérêts du patronat
La FSM souligne dans tous ses documents, son hostilité au capitalisme et ses méfaits. Mais elle accueille chaleureusement en son sein Alireza Mahjoub, le grand serviteur d’un capitalisme déchaîné qui sévit en Iran.
Car, c’est sous le regard favorable de la MT que le contrat d’embauche ultra-précaire - dit blanc - a été instauré. Grâce à ce « contrat » le patron peut licencier le/la salarié.e à tout moment et sans justification (il faut savoir que 93% des ouvriers/ières en Iran sont embauché.es sous de tels « contrats »).
Ce sont la MT, les représentants du patronat et ceux du gouvernement (au sein d’une commission dite tripartite), qui fixent chaque année le salaire minimum de misère. A titre d’exemple, le montant du salaire minimum représente cette année est un tiers du seuil de pauvreté défini officiellement. De plus, ces mêmes salaires de misère restent souvent impayés pendant plusieurs mois.
La répression des contestations, des grèves, et des associations indépendantes, qui laisse les travailleurs/euses sans défense, servent à maintenir les salaires et conditions de travail au plus bas possible, au profit du patronat.
Mais ce n’est pas la seule façon dont la MT offre ses services au patronat : son présidant, Alireza Mahjoub, durant ses six mandats successifs au Parlement islamique (1996-2020), était aux commandes de la Commission des Affaires sociales de ce parlement. Cette commission a une part active dans le processus d’adoption des lois visant à renforcer les pouvoirs des patrons au détriment des droits de salarié.es, la déréglementation et les privatisations.
En 1990, Alireza Mahjoub a été également promu conseiller et inspecteur spécial du président de la république de l’époque, Hachemi Rafsandjani. Etre conseiller social de Rafsandjani, le père du néo-libéralisme à l’iranienne, en dit long sur les missions remplies par Alireza Mahjoub.
La MT promeut le racisme et la xénophobie
Dans les objectifs des statuts de la FSM, il est précisé que cette organisation est « pour l’élimination du racisme, du sexisme et de toute autre forme de discrimination ». La question est de savoir :
– si la FSM et les auteur.es du courrier à l’adresse de son secrétaire général considèrent que la MT et ses dirigeants adhèrent à ces valeurs,
– si les représentants d’un Etat structuré par les discriminations liées au sexe, à l’ethnie, à l’origine nationale, à la religion, à l’opinion, etc, répondent favorablement aux objectifs affichés de la FSM,
– si il est conforme aux principes déclarés de la FSM d’offrir un siège de vice-président au dirigeant d’une bande de réactionnaires confirmés qui promeut des slogans racistes et xénophobes contre les travailleurs/euses afghan.es réfugié.es en Iran.(4)
Informer les syndicats à propos de la MT n’est pas un délit
Est-ce une calomnie de dire qu’il est inadmissible d’accueillir dans une organisation syndicale mondiale celles et ceux qui ne sont ni représentant.es d’une organisation syndicale (même jaune), ni ne reconnaissent le droit de constituer de syndicats, et qui ont recours à la force contre toute tentative de constituer une entité syndicale ?
S’indigner du fait que l’un des principaux protagonistes de la répression anti-syndicale en Iran soit confortablement installé à la FSM et même promu vice-président relève-t-il d’un complot contre les syndicalistes français.es membres de la FSM ?
Est-ce un délit de rappeler qu’il est contraire aux statuts et aux déclarations de la FSM d’admettre en son sein et à sa présidence des éléments clés d’un Etat criminel et anti-travailleurs/euses ? Cela mérite-t-il une « punition » ?
Impacts de la reconnaissance de la MT par la FSM
Il ne faut pas oublier que la promotion attribuée par la FSM à Alireza Mahjoub a des retombées indéniables en Iran. Elle contribue à préserver la mainmise de la MT sur le sort des travailleurs/euses, et à accréditer les politiques répressives de la République islamique d’Iran à l’encontre des travailleurs/euses et de leurs organisations indépendantes.
Il est important de rappeler aussi que :
– la période 2021-2022 a enregistré un nombre record de grèves et d’actions de protestation de travailleurs/euses à l’échelle nationale en Iran,
– cette mobilisation sociale a fait face, au cours du mois de mai 2022 (date de l’élection d’Alireza Mahjoub à la vice-présidence de la FSM) à une vague massive de répression qui a mené des syndicalistes en prison.
Il ne faut pas oublier non plus qu’au même mois de mai 2022, un peu après la promotion d’Alizera Mahjoub, le Guide suprême a tenu un discours devant des associations inféodées au régime « pour célébrer le Travail ». Au cours de ce discours il a évoqué des « provocations » ouvrières qui durent depuis la révolution de 1979. Il a également glorifié la répression des années 1980 à l’encontre de ces « provocations » (à savoir la grande répression sanglante des années 1980).
Les organisations syndicales indépendantes de travailleurs/euses d’Iran considèrent, à juste raison, que la décision de la FSM de promouvoir Alireza Mahjoub, est dirigée contre les intérêts du mouvement ouvrier et des travailleurs/euses.
Notes :
1. L’adresse à Pambis Kyrisris est jointe à ce document.
2. Lettre ouverte adressée à la FSM et aux syndicats affiliés par IASWI
3. Le secrétaire général de la « Maison des travailleurs » de la République islamique d’Iran, Alireza Mahjoub, a été élu vice-président de la Fédération syndicale mondiale (FSM) lors de son 18e Congrès qui s’est tenu à Rome du 6 au 8 mai 2022. La « Maison des travail- leurs » d’Iran participe à la FSM depuis 2011, et à son Conseil présidentiel depuis 2016 en tant que représentant des travailleurs/euses d’Iran. Pendant ce temps-là, d’authentiques syndicalistes sont persécuté.es et réprimé.es par des licenciements, des emprisonne- ments, des tortures et diverses autres peines.
4. Lors de la cérémonie officielle du 1er mai 2015 à Téhéran organisée par la MT, de grandes banderoles et des centaines de pancartes identiques exigeaient des patrons le renvoi des travailleurs/euses afghan.es, pour n’employer que des « iranien.nes ».