• Pourquoi une BD sur l’adolescence ?
Hugues Barthe - C’est un âge intéressant, car c’est souvent celui où l’on prend conscience de son homosexualité, où l’on se pose beaucoup de questions. J’ai voulu faire un ouvrage utile, un lien entre enfant et parents, pour un ado qui a envie de parler. Ce livre est lisible par toute la famille. Il y a beaucoup de questions, incongrues pour les adultes, qu’on se pose quand on est ado. Mon livre est construit à partir de ces questions naïves, qui peuvent avoir des effets comiques : par exemple, les homos peuvent-ils faire n’importe quel métier ou sont-ils condamnés à être chanteurs d’opéra ?
Quand j’étais ado, je me posais moi-même bien des questions idiotes, parce que la société produit de tels clichés. Plusieurs enquêtes prouvent qu’une majorité de suicides chez les jeunes est liée à la prise de conscience de l’homosexualité : douze tentatives sur treize. Ce n’est pas le fait d’être homosexuel qui est en cause, mais les réactions homophobes. Si mon livre est utilisé en milieu scolaire pour aborder le thème de l’homosexualité, j’en serai très heureux et je suis d’ailleurs disponible pour venir le présenter. J’ai déjà travaillé, à partir d’autres ouvrages, dans des écoles ou des collèges, et je me suis rendu compte que l’homosexualité restait largement un sujet tabou. Une des insultes les plus présentes dans les cours de récréation reste « pédé ». Même si les gamins utilisent cette insulte sans forcément réfléchir à ce qu’elle signifie, les effets sont dévastateurs pour quelqu’un qui se découvre et ne s’est pas encore bien construit.
• Comment avez-vous créé le personnage d’Hugo ?
H. Barthe - Il y a des éléments autobiographiques, mais j’ai aussi discuté avec des amis gays ou lesbiennes, qui m’ont raconté leurs propres expériences. À partir de toutes ces histoires, j’ai créé un personnage et des situations. Par exemple, les planches sur le double langage de l’Église, qui a un discours très dur contre l’homosexualité alors que certains prêtres ressentent une attirance homosexuelle, m’ont été inspirées par le récit d’un ami qui a fait le petit séminaire. Sur la famille, j’ai voulu présenter, avec le personnage de la mère, le cas de parents tolérants, de gauche sans doute, qui ont un discours ouvert mais qui acceptent mal que leur propre enfant soit homosexuel. Même si elle s’en doute, elle est dérangée que cela soit dit, comme si son éducation était remise en cause. Les parents se disent parfois qu’ils ont moins de chances d’avoir des petits-enfants, ou ils sont renvoyés à des questions concernant leur propre sexualité. D’où ce genre de décalages.
Dans le livre, Hugo ne parle finalement pas à son père de son homosexualité : certains préfèrent rester dans le non-dit. Je n’ai pas voulu laisser croire qu’il y avait une obligation absolue à faire un coming out. J’ai essayé de jouer avec humour sur les clichés, afin de montrer qu’en définitive, les homos sont à l’image de la société en général. Par exemple, malgré le cliché de l’homo cultivé, il y en a qui sont complètement « beaufs » ! Il y a aussi des homosexuels dérangés par les « folles », parce que cela leur renvoie une image d’eux qu’ils n’acceptent pas. Il y a plusieurs façons d’être homo mais, même dans le milieu homo, tout le monde est très vite rangé dans des cases. J’ai d’autres projets d’ouvrages, peut-être plus graves, mais là, tout en abordant le sujet de front, l’histoire reste drôle, sans catalogue de tous les thèmes obligés. Je n’aborde pas le Sida par exemple. J’ai eu la volonté de ne pas faire un ouvrage trop sombre, de dédramatiser l’homosexualité, même si le constat de départ sur les suicides est terrible. Être homo, ce n’est pas pire qu’être hétéro !