La première stratégie admet comme inévitable la permanence d’un courant néofasciste à influence de masse. L’argument principal est que le bolsonarisme fait désormais partie du « paysage » institutionnel. Le mieux serait donc non seulement d’accepter, mais de pousser à la « normalisation » du bolsonarisme. Pas pour provoquer. Et de faire des gestes qui signalent une volonté de coexistence, inspirée par le respect démocratique du gouvernement Lula, avec l’opposition de droite, voire Bolsonaro.
La seconde affirme que rien de tout cela n’est possible. Elle affirme que le bolsonarisme est un courant néofasciste qui a un pied dans la légalité et un autre dans les coups d’État. Les ambiguïtés des déclarations de Bolsonaro, depuis l’élection, ne sont que des déguisements. En perdant l’armure légale de sa fonction, Bolsonaro doit faire l’objet d’une enquête et être puni. « Débolsonariser » les institutions, à commencer par la police, notamment la police fédérale des routes, en raison des scandales accumulés, devrait être un combat inévitable. Cette tâche ne peut être confiée au pouvoir judiciaire comme s’il s’agissait d’une routine administrative. Elle ne peut être gagnée que par une campagne politique d’agitation et de mobilisation de masse.
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La menace Bolsonaro est toujours là
La sous-estimation du danger du bolsonarisme a été l’erreur la plus importante de la gauche brésilienne depuis 2018. À la veille du second tour, l’idée « de facilité » prévalait, selon laquelle la victoire serait acquise grâce une différence de voix égale à celle du premier tour. Il s’agit là de bien plus que de l’optimisme naïf. C’est en réalité une mentalité qui sous-estime la force de l’ennemi et ne tient pas compte de la gravité de la situation.
Certains veulent ignorer l’importance des barrages routiers et des rassemblements devant les casernes. Le bolsonarisme a en outre déjà démontré qu’il avait la capacité de mettre des centaines de milliers de personnes dans les rues. Il n’y aura pas de coup d’État pour empêcher l’entrée en fonction de Lula. La mobilisation appuyée sur les camionneurs pour en faire une étincelle destinée à enflammer la situation et à provoquer une intervention militaire s’est étiolée. Mais la mobilisation a dépassé le stade de la désobéissance civile et indique ce que sera la féroce stratégie du bolsonarisme dans l’opposition.
Ils n’ont pas renoncé à la lutte pour le pouvoir. Quand ils le pourront, ils n’hésiteront pas à s’appuyer sur les mobilisations contre-révolutionnaires pour renverser le gouvernement Lula, inspirées par la destitution de Dilma Roussef. S’ils n’y parviennent pas, ils chercheront à constituer des forces pour les élections de 2024 et 2026. Si, finalement, le Trumpisme remporte une victoire aux élections américaines du 8 novembre, la possibilité d’une candidature forte de Trump renforcera l’extrême droite mondiale, y compris Bolsnoaro, s’il n’a pas été vaincu d’ici là.
Ne pas reproduire les erreurs de 2015
S’il n’est pas arrêté, Bolsonaro sera le principal leader de l’opposition au gouvernement Lula. Aucun autre leader politique ne peut rivaliser de près ou de loin avec la confiance qu’il a suscitée. C’est une illusion d’optique institutionnelle que d’imaginer que, parce qu’il n’a pas de mandat, Bolsonaro cessera d’être entendu et suivi. Le bolsonarisme a une implantation sociale et une présence nationale. Il répond à une base sociale qui unit de puissantes factions de l’agrobusiness à la masse de la petite bourgeoisie, qui a divisé la classe ouvrière, qui draine un peu plus de la moitié des salariéEs à revenu moyen et qui a une audience dans les secteurs populaires.
Il ne faut surtout pas reproduire les mêmes erreurs que celles de 2015. Il serait impardonnable d’ignorer que la tactique consistant à nommer Joaquim Levy [1] et à céder au chantage des groupes capitalistes les plus puissants a été fatale au sort du gouvernement de Dilma Rousseff. La classe dirigeante brésilienne ne mérite aucune confiance. La question centrale au Brésil n’est pas la pression inflationniste ou la croissance de la dette publique. Ceux qui proposent Meirelles [2] pour le ministère des Finances n’ont rien appris. Ce projet fait implicitement le pari de « rassurer » les investisseurs internationaux et nationaux face à la longue stagnation économique. Ce qui n’est pas possible sans augmenter la surexploitation des travailleurEs, au niveau de l’Asie du Sud-Est. La solution consiste à augmenter les impôts des grands capitalistes, en commençant par les grandes fortunes. Le défi central sera de rechercher le soutien et la mobilisation des travailleurEs et de la population. Le gouvernement Lula reposera, essentiellement, sur la capacité de la gauche à réunir la classe ouvrière.
Valério Arcary