TÉMOIGNAGE DE ELLA FAIZ,INTERNE DES HÔPITAUX DE LYON
Quand Abraham [de la revue « Médecine et guerre nucléaire »] m’a demandé d’écrire un texte sur mon vécu à l’hôpital, je me suis juste dit, « Tiens, c’est heureux, je ne travaille pas aujourd’hui ».
Cela fait dix jours que je travaille sans pause. A part un repos de garde après 24h aux urgences. Dans mon service d’urgences, nous sommes 4 internes, les autorités régionales du système ont décidé de supprimer 3 postes, un n’était pas pourvu malgré l’urgence de la pandémie. Il fallait remplir d’autres postes d’abord. A 4 internes, il faut assurer tous les jours, week-end inclus, une présence de 2 à 3 jeunes médecins.
Heureusement, d’anciens internes nous viennent à la rescousse. Sans ça, nous aurions travaillé trois week-ends sur quatre. Souvent, les patients nous demandent comment on va, nous souhaitent bon courage. Un petit pourcentage se plaint d’avoir attendu plusieurs heures, d’être mal reçu, de la lenteur de nos soins. Avec le temps, on apprend à répondre gentiment, à utiliser notre bouclier pour ne pas se sentir attaqué. Nos équipes n’arrêtent pourtant jamais. Les déjeuners sont expédiés en une dizaine de minutes, les cafés bus devant des résultats de biologie, ou au téléphone avec nos confrères.
Parfois, le matin, quelqu’un craque. Fond en larmes devant le tableau de relève. Toutes les équipes sont épuisées. La solidarité entre services a complètement disparu. Désormais, le mot d’ordre est chacun pour soi. La guerre d’égos fait rage. Les services ferment leurs portes quand ils sont pleins. Aux urgences, l’afflux est continu. Les patients passent parfois 24h sur un brancard aux urgences. On appelle ça de la maltraitance, on râle, on essaye de transférer, mais tous les hôpitaux sont pleins, débordés, au bord de l’asphyxie. On manque de tout, de tests PCR, de lits, de personnel, d’énergie.
Les cas nosocomiaux se multiplient, les familles se déchaînent, les soignants aussi. Pourtant, toutes les précautions sont prises, masques, sur-blouses, vaccination du personnel. Le Covid fragilise les patients déjà sensibles, qui décompensent leurs pathologies habituelles. Mais cette fois, il y a quelque chose en plus, la peur au ventre de les infecter. Les familles sont interdites de visite, sauf cas exceptionnels. Cela renforce leurs inquiétudes, leur agressivité parfois, et dans de rares cas, leurs théories conspirationnistes. Pourtant le Covid est là, remplit les lits. Pourtant, le Covid tue. A chaque garde, on annonce des décès.
Les patients sont de plus en plus jeunes, jusqu’à avoir des patients du même âge en face de nous. Je n’ai pourtant que 25 ans. Le dernier en date a fini intubé. A l’heure où j’écris, il n’est toujours pas sorti de réanimation, on ne sait pas s’il s’en sortira. La violence est là. On a beau être vaccinés, jeunes, en bonne santé, n’importe lequel d’entre nous pourrait finir avec un tube dans la gorge. Et si à 25 ans, notre vie s’arrêtait ? On nous a promis que la vie serait plus belle pendant l’internat. Pourtant, je n’ai pas vu ma famille ni mes amis depuis 6 mois. J’ai trop peur. Trop peur d’infecter ceux que j’aime. Quand je vois les fêtes clandestines, mon sang bout. Bien sûr que je comprends, bien sûr que je fais preuve d’empathie, tout le monde est fatigué, voudrait retrouver sa belle vie d’avant. Alors, pour tenir le coup, on fait des apéros en visioconférence, mais pas trop, on ne voudrait pas devenir un autre dégât collatéral de la crise. On essaye de profiter des petites choses, des fous rires avec les collègues, de la sortie running qu’on a fait lorsqu’il faisait beau, du fait que tout simplement, nous sommes en vie, en bonne santé.
ELLA FAIZ. Interne de 25ans.
TEMOIGNAGE DU Dr. JORGE ZWAIG
Ils viennent dans les consultations Ils nous confient leurs récits. J’écoute. Je les mâche. Je les digère. Quelque fois je les mets dans une poche ou dans un carnet. Je les garde. Aujourd’hui je ne consulte pas. J’ai décidé de m’en débarrasser de quelques uns. Les voici.
Elle, médecin en herbe dans un centre : pas de repos pendant de longues journées qui s’enchainent sans répit. Lui qui vient d’être attaqué par le virus : pas possible de bouger de faire quoi que ce soit, car douleurs partout et fatigue qui pèse plus lourd qu’une chape de plomb sur mes épaules. Elle, nous sommes moins nombreux, il y a eu des suppressions de postes. Lui, dans ma famille nous avons tous été touchés, tous au même moment ou à quelques jours d’intervalle. Elle : je n’ai plus le temps de boire un café, de me reposer, de dormir. Lui : je dors tout le temps, je n’ai plus envie de manger. Elle et lui : parfois on fond en larmes, nous sommes épuisés, nos paroles ne sortent plus comme avant, nous sommes pris par l’instant qui est dur, très très dur. Elle et lui : on se dispute avec notre entourage, nous sommes stressés en permanence.
Lui : j’ai perdu 10 kg, ou 11 ; j’étais mort, puis je suis ressuscité ; le pire je l’ai vécu en sortant du coma car j’avais l’impression que mon corps ne m’appartenait plus, je ne savait pas où j’étais, les bruits des « machines », le va et bien de personnes autour de moi me faisaient peur ; je reviens de très loin. Elle : nous manquons de tout, les contagions se font dans nos services ; certains soignants sont priés de travailler même en étant contaminés. Elle et lui : notre vie peut s’arrêter à n’importe quel moment ; nous savons que autour de nous il y a des personnes qui sont en train d’être tuées par le Virus. Elle et lui : je n’ai plus vu ma famille depuis longtemps. Elle et lui : certains ignorent ce que nous sommes en train de vivre, d’autres préfèrent le cacher ; certains se fâchent avec nous. Il arrive que nous nous disputions entre nous. Elle et lui : tout sera à reprendre à zéro, je ne le souhaite à personne.
Dr. JORGE ZWAIG. Médecin dans un dispensaire à Gennevilliers.