Aux abords de Vientiane, la capitale du Laos, les ouvriers du China Railway No. 2 Engineering Group [une entreprise de BTP chinoise] viennent de souder les 500 derniers mètres de la voie ferrée qui crée une “ligne ininterrompue” entre la Chine et le Laos, l’un des grands chantiers de l’Initiative une ceinture, une route [ICR, autre dénomination des nouvelles routes de la soie].
Les médias officiels chinois font l’éloge de cette nouvelle voie ferroviaire, présentée comme un exploit d’ingénierie moderne, qui doit être inaugurée en décembre. C’est aussi une prouesse de comptabilité moderne, qui déduit de la dette publique laotienne 3,6 milliards de dollars [3,1 milliards d’euros] que l’État risque quand même de devoir rembourser.
Ce financement ainsi que d’autres “dettes cachées” envers la Chine représentent un tiers du PIB laotien, ce qui pourrait devenir problématique : la dette souveraine du Laos équivaut déjà à environ 60 % de son PIB et la moitié de cet argent doit aller à la Chine.
44 pays doivent 10 % de leur PIB à la Chine
Les dettes cachées minent un grand nombre de projets chinois de développement à l’étranger, tout particulièrement en Asie. Les financements sont si complexes et répartis entre tant d’entités que mêmes les autorités financières chinoises peinent à y voir clair. Le 29 septembre, le laboratoire de recherche AidData, de l’université américaine William & Mary [en Virginie], a diffusé une base de données visant à chiffrer les prêts accordés par la Chine à des projets à l’étranger, en incluant les dettes hors comptabilité officielle, qui ne sont pas déclarées à la Banque mondiale.
AidData a recensé 13 427 projets pour lesquels la Chine a prêté environ 800 milliards de dollars [690 milliards d’euros], couvrant les années 2000 à 2017. Sur ce montant, 385 milliards de dollars sont qualifiés par AidData de dettes “cachées”. Les chercheurs ont aussi recensé 44 pays qui doivent à la Chine des sommes correspondant à au moins 10 % de leur PIB.
Comprendre combien les États doivent à la Chine est essentiel car nombre des pays en développement concernés, mis en difficulté par la pandémie, cherchent à renégocier les conditions de leur dette souveraine, non seulement avec la Chine, mais aussi avec des organismes multilatéraux et d’autres États.
En 2020, le G20, dont fait partie la Chine, a accepté de suspendre provisoirement les échéances de 73 pays, afin de leur permettre de restructurer leurs emprunts. Mais nombre de prêts accordés par la Chine sont conçus de telle manière que ce sursis n’est pas toujours applicable. Dans le cas de la ligne de chemin de fer Chine-Laos, certains prêts sont signés entre des entreprises publiques et des coentreprises sans garantie officielle de l’État (le Laos a par ailleurs émis une obligation souveraine de 480 millions de dollars [416 millions d’euros] associée à ce chantier). Parfois, les gouvernements n’ont même pas connaissance de tous les emprunts qu’ils devront un jour finir par assumer.
Le nombre de prêts accordés par la Chine dans le cadre des nouvelles routes de la soie a considérablement baissé depuis quelques années (l’enquête d’AidData s’arrête en 2017). Mais rien n’indique que Pékin prévoit de changer de méthode avec ses débiteurs.
Diplomatie du piège de la dette
Beaucoup de prêts relatifs à l’ICR sont conclus avec des pays pauvres à des taux d’intérêt commerciaux et prévoient souvent des garanties (par exemple, les recettes de la vente de ressources naturelles), ce qui n’est pas le cas du financement classique des projets de développement.
Face aux impayés, la Chine choisit le plus souvent d’allonger la durée d’un prêt au lieu d’accepter une décote du principal – une façon de “botter en touche”, selon Scott Morris, du Center for Global Development, un groupe de réflexion de Washington. Parfois, les Chinois prennent une participation importante dans des projets où les débiteurs cumulent les impayés. En 2017, la prise de contrôle d’un port au Sri Lanka a donné lieu à des accusations de “diplomatie du piège de la dette”.
Au Laos, pays fortement endetté, une entreprise publique chinoise s’est déjà emparée d’un autre pan de l’infrastructure, une partie du réseau électrique. Mais selon Matt Mingey, du cabinet d’études Rhodium Group, l’exemple de la ligne ferroviaire Chine-Laos montre qu’un prêt chinois affecté à des infrastructures peut-être compliqué plutôt que “caché”.
Car la coentreprise qui doit à la Chine 3,6 milliards de dollars [pour la construction de la voie ferrée] est déjà détenue en majorité par trois entreprises publiques chinoises, ce qui en fait plutôt un projet chinois mis en œuvre à l’étranger. Si le chemin de fer se révèle un échec financier, c’est peut-être la Chine qui devra finir par payer, et non le Laos. La “dette cachée” serait alors celle que la Chine a envers elle-même. Ce qui devrait être assez simple à régler.
The Economist
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