Né à Nice, fils d’un conventionnel girondin, Blanqui incarna, plus que quiconque, « le socialisme révolutionnaire au XIXe siècle en France, le lien entre la Révolution, celle de Babeuf et de Buonarroti, et la Commune de Paris, vécue dans sa cellule de Clairvaux ».
Il participa aux « Trois glorieuses » de juillet 1830, qui renversèrent le roi ultra Charles X, mais furent confisquées au profit de la branche cadette des Bourbons (Louis-Philippe d’Orléans). Membre de plusieurs sociétés secrètes républicaines, il dirigea l’insurrection (manquée) du 12 mai 1839 – à la suite de laquelle il fut emprisonné au Mont-Saint-Michel.
Sous la 2e République, de février à mai 1848, Blanqui anima la « Société républicaine centrale », opposition de gauche au gouvernement provisoire. A nouveau emprisonné durant 10 ans, amnistié, puis réincarcéré sous le Second Empire, il reforma une organisation révolutionnaire dans les années 1864/65 (dont plusieurs membres participèrent à la Commune de Paris de 1871). Après la chute du Second Empire et la guerre franco-allemande de 1870, Blanqui fut arrêté le 17 mars 1871 (à la veille de l’instauration de la Commune de Paris) et emprisonné jusqu’en 1879.
La postérité a gardé de Blanqui la seule image de l’insurgé, occultant que l’homme d’action se doublait d’un penseur : « La Patrie en danger nous avait révélé un patriote éclairé et un journaliste de grande puissance ; L’Eternité par les astres un penseur original et profond ; Ni Dieu ni maître le socialiste révolutionnaire tenace ; les deux volumes de Critique sociale (…) nous apprennent que le frère d’Adolphe Blanqui avait un sens très sûr des nécessités économiques de son époque, en même temps qu’elles nous montrent (…) un socialiste ou, pour plus exactement parler, un communiste parfaitement au fait des lois générales de l’évolution humaine et de la sérialisation nécessaire des réalisations socialistes ». [2]
Dans le recueil édité par La Fabrique, [3] on trouve la défense de Blanqui au procès des Quinze (janvier 1832), ses discours et articles pour la Société des Amis du Peuple ; les textes de 1848, « L’appel au peuple » (1851) ; « Critique sociale » ; des articles du journal « Candide (1865) ; l’ « Instruction pour une prise d’armes » (1868) ; « L’Eternité par les astres : hypothèse astronomique » (1871) ; « L’armée esclave et opprimée » (1880), pamphlet contre les armées permanentes. Mais des textes importants manquent : la réponse au « document Tascherau » (calomnie orchestrée en 1848, pour tenter de faire passer Blanqui pour un mouchard), plusieurs articles de « Candide » et de « La Patrie en danger » (1870). Enfin, dans la préface, deux coups de griffe au « Prussien Karl Marx » et à la LCR sont superflus…
Ces réserves faites, cet ouvrage permet de (re)découvrir Blanqui, « communiste hérétique ».
Notes
1. Michael Löwy & Daniel Bensaïd, « Auguste Blanqui, communiste hérétique », Les socialismes français à l’épreuve du pouvoir. Paris, Textuel, 2006 – en ligne sur le site « Europe solidaire sans frontières » : August Blanqui, communiste hérétique http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article1269
2. Benoît Malon, « Blanqui socialiste », La Revue socialiste, année 2, 1885, no 7, p. 586-597.
3. Auguste Blanqui, Maintenant il faut des armes / textes choisis et présentés par Dominique Le Nuz ; préf. par un des agents du Parti
imaginaire. Paris, Ed. La Fabrique, 2007.
Auguste Blanqui, « L’usure » (extraits de : Critique sociale, 1869-1870)
« On sait l’absence totale de scrupules, l’immoralité, la barbarie que déploie le commerce européen dans cette chasse furieuse aux débouchés. Toutes les régions du globe ont souffert et souffrent de la cupidité féroce de ces étrangers, qui ne reculent devant aucune turpitude, devant aucun forfait, pour assouvir leur soif de gain. Lorsqu’il a ainsi organisé la misère et la mort dans son propre pays, le capitaliste court porter aux plages les plus lointaines l’escroquerie, le vol, le brigandage, l’assassinat. Après la traite des noirs, la traite des jaunes. Il a fait de la race blanche un légitime objet d’exécration pour les quatre cinquièmes de l’espèce humaine. (…) Depuis bientôt quatre siècles, notre détestable race détruit sans pitié tout ce qu’elle rencontre, hommes, animaux, végétaux, minéraux. La baleine va s’éteindre anéantie par une poursuite aveugle. Les forêts de quinquina tombent l’une après l’autre. La hache abat, personne ne replante. On se soucie peu que l’avenir ait la fièvre. Les gisements de houille sont gaspillés avec une incurie sauvage.
Des hommes étaient apparus soudain, nous racontant par leur seul aspect les premiers temps de notre séjour sur la terre. Il fallait conserver avec un soin filial, ne fût-ce qu’au nom de la science, ces échantillons survivants de nos ancêtres, ces précieux spécimens des âges primitifs. Nous les avons assassinés. Parmi les puissances chrétiennes, c’est à qui les achèvera. Nous répondrons du meurtre devant l’histoire. Bientôt, elle nous reprochera ce crime avec toute la véhémence d’une moralité bien supérieure à la nôtre. Il n’y aura pas assez de haines ni de malédictions contre le christianisme qui a tué, sous prétexte de les convertir, ces créatures sans armes, contre le mercantilisme qui les massacre et les empoisonne, contre les nations qui assistent d’un oeil sec à ces agonies »