Le ministère de l’agriculture a annoncé la création de nombreuses retenues d’eau, prétextant que les précipitations qui tombent en automne et en hiver seraient inutiles et perdues, et qu’il faudrait donc les stocker. Ce n’est, en fait, pas du tout le cas. Bien au contraire, l’eau qui s’infiltre et réalimente les nappes dans le sous-sol est beaucoup plus utile pour l’ensemble des utilisateurs et, notamment, pour les agroécosystèmes [écosystèmes modifiés par l’homme], que l’eau stockée dans des retenues. Celle-ci ne servira qu’à irriguer les cultures de quelques grandes exploitations et donc une part infime des terres agricoles.
Les barrages sur un cours d’eau assèchent les secteurs situés à leur aval et détruisent ainsi tous les écosystèmes, notamment les agroécosystèmes. Ils brisent la continuité écologique et constituent un obstacle pour beaucoup d’espèces comme les poissons migrateurs. Ils détruisent aussi, en les noyant, les zones humides situées en amont qui jouent un rôle très utile d’éponge, en stockant l’eau en période humide et en la restituant en période sèche.
Hérésie totale
Alors que les réserves souterraines ne sont pas sujettes à l’évaporation, les retenues d’eau superficielles subissent une très forte évaporation en période de grosses chaleurs et conduisent ainsi à une perte importante de la ressource en eau. Des études récentes (publiées notamment, en 2018, par Katja Friedrich, de l’université du Colorado Boulder, et par Florence Habets et Jérôme Molenat, de Sorbonne Université) montrent que les pertes par évaporation sur les lacs de l’Ouest américain varient de 20 à 60 % des flux entrants. C’est donc une hérésie totale de faire passer en surface les ressources en eaux souterraines, qui assurent une humidification généralisée des sols, pour en perdre une part considérable par évaporation.
La problématique est identique avec la création de « bassines », consistant à creuser dans le sol des trous, de quelques hectares à plusieurs dizaines, et à les remplir avec l’eau des nappes souterraines ou des rivières. Là encore, la ressource utile à tous les écosystèmes se retrouve en surface, soumise à l’évaporation et à la pollution, pour le seul bénéfice de quelques producteurs de cultures non adaptées au terroir local.
Seulement 6 % des terres agricoles sont équipées pour leur irrigation. Ces retenues n’irrigueront que les cultures de quelques exploitations de taille très importante, notamment les maïsiculteurs, et n’apporteront rien à la très grande majorité des éleveurs de France. Enfin, la construction de barrages aggravera la vulnérabilité de l’agriculture vis-à-vis de la ressource en eau en empêchant la transition vers une agriculture résiliente et responsable, économe en eau.
Limiter le ruissellement et l’évaporation de l’eau
Il faut, au contraire, retenir le plus possible l’eau sur nos territoires en favorisant son infiltration dans les sols et en limitant son ruissellement et son évaporation. C’est la seule gestion responsable des ressources en eau, au bénéfice des agriculteurs et des autres utilisateurs. Elle implique une série de modifications, aussi bien dans la gestion de l’espace – en limitant l’imperméabilisation des sols par les bétonnages et les bitumages inutiles – que dans les pratiques agricoles. Certaines de ces pratiques doivent être stoppées : le drainage des zones humides, qui évacue les eaux vers l’aval sans aucun bénéfice pour les sols, l’utilisation d’engins agricoles monstrueux qui tassent et imperméabilisent les sols, le travail des terres dans le sens de la pente, qui favorise le ruissellement et leur lessivage.
En revanche, des mesures s’imposent d’urgence. Replanter des arbres, éléments essentiels dans la régulation du climat local, notamment pour limiter les pertes d’eau par évaporation. Développer l’agroforesterie [mode d’exploitation des terres agricoles associant des arbres et des cultures ou de l’élevage] en privilégiant les variétés et les races adaptées à nos conditions environnementales. En cela, la sauvegarde de la biodiversité agricole est essentielle. L’installation de cultures intermédiaires doit permettre de ne plus avoir de sols nus en hiver. Il faut enfin substituer à la fertilisation chimique une fertilisation organique afin d’augmenter le complexe argilo-humique des sols, et ainsi, leur capacité en rétention des eaux.
Christian Amblard (directeur de recherche honoraire au CNRS)