Combien de personnes la canicule de cet été a-t-elle tuées en France ? La synthèse du nombre de décès quotidien publiée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) indique une importante surmortalité en juin, juillet et août.
Sur la période allant du 1er juillet au 22 août, le nombre de décès en 2022 est supérieur à celui de 2021 (+ 5,2 %), de 2020 (+ 7,3 %) et largement plus élevé que sur la période 2015-2019 (+ 10,9 %).
Mais toutes ces personnes n’ont pas perdu la vie à cause de la chaleur. Les avis de décès répertoriés par les mairies indiquent les causes médicales directes de mort, et pointent donc très rarement des températures trop élevées.
Pour savoir combien d’individus sont morts de chaud, il faut donc procéder à une enquête statistique et à des comparaisons globales sur plusieurs années. C’est le travail qu’a commencé l’Insee, qui présente sur son site un bilan provisoire des morts de cet été – il sera revu probablement à la hausse le 30 septembre avec les données de la fin du mois d’août et un rattrapage des semaines précédentes. De son côté, Santé publique France annonce un rapport de synthèse en octobre (voir ici celui publié en 2021).
Selon ces premières données, on voit que 1 748 personnes sont mortes en moyenne chaque jour en France en juillet, et 1 643 entre le 1er et le 22 août. Si l’on compare avec l’été 2019, avant l’épidémie de Covid-19, l’excès de mortalité entre le 1er juin et le 22 août de cette année concerne 11 124 personnes – tous ces chiffres sont consultables sur le site de l’Insee.
Peut-on considérer que ces plus de 11 000 personnes sont les victimes de la canicule, tandis que sur cette même période, 5 290 personnes sont décédées du Covid-19 en France ?
« Les décès de l’été 2022 sont clairement élevés, par rapport à 2019 où il y avait déjà une canicule,explique Sylvie Le Minez, cheffe de l’unité des études démographiques et sociales de l’Insee. Il y a un excès de décès, et il est très vraisemblablement dû en partie à la canicule. Mais de là à donner un chiffre précis du nombre de morts causés par la canicule, l’Insee ne franchit pas ce cap. »
Mediapart a mis en regard le nombre de décès quotidien avec le nombre de départements placés cet été en alerte orange ou rouge canicule. On observe que les pics de mortalité correspondent à des pics de chaleur.
Dans le détail, un premier pic de décès apparaît autour du 18 juin. Sur la totalité du mois de juin 2022, les décès sont supérieurs de 4 % aux décès survenus le même mois en 2019, selon l’Insee. En juillet, les décès toutes causes confondues atteignent un pic très net le 19 juillet, après un pic moins marqué le 12 juillet, selon l’institut.
Ses expert·es invitent à la prudence dans la comparaison entre les années : le nombre de personnes âgées est plus important en 2022 qu’en 2019. Pour mesurer précisément l’impact de la canicule, il faudrait comparer les décès de 2022 au nombre de morts attendus compte tenu du vieillissement de la population – une méthode utilisée pour le décompte des victimes du Covid-19.
Ces premiers chiffres indiquant un fort excès de mortalité en France pendant l’été 2022 ravivent le spectre de la dramatique canicule de 2003 : 15 300 personnes avaient alors perdu la vie en raison des températures extrêmes – c’est la surmortalité mesurée par l’Insee, en la comparant avec la moyenne des décès à la même période entre 1999 et 2002.
Durant les vingt dernières années, l’épidémie de Covid-19 de 2020 est le seul événement, en France métropolitaine, à avoir tué plus de monde que la canicule de 2003, avec 27 000 décès supplémentaires entre le 10 mars et le 8 mai 2020.
Les effets dévastateurs de la chaleur sur la mortalité
Derrière chaque chiffre unitaire de décès se trouve une vraie personne. Ce sont nos voisin·es, nos ancien·nes, le travailleur épuisé par un chantier sous une température extrême, la personne sans domicile fixe et sans lieu pour boire et se rafraîchir, la femme ou l’homme fragilisé par un problème cardiaque ou un cancer de stade très avancé. On meurt de nombreuses causes possibles pendant une canicule.
« On sait que la chaleur tue. Dès qu’il y a quelques jours de chaleur, au-delà de l’optimal de température qui est proche de 20° dans notre pays, il y a une hausse de la mortalité pour l’essentiel des causes de décès », explique Rémy Slama, épidémiologiste environnemental et coauteur d’une récente étude en France consacrée à l’impact des températures élevées sur les causes de décès, sur les cinquante dernières années.
Ces chercheurs et chercheuses ont mis en évidence qu’à partir du moment où les températures dépassent 20 °C, les décès commencent à augmenter, toutes causes confondues. Quand leur niveau devient extrême, les effets sont d’autant plus importants.
« Cela s’explique par plusieurs mécanismes : l’un est que quand il fait chaud le système cardiaque tourne à plein régime et peut notamment provoquer des phénomènes d’épuisement, explique Rémy Slama. On décède alors de la pathologie dont on souffrait déjà, si on est fragile : maladie cardiovasculaire ou respiratoire, cancer, insuffisance rénale, diabète, etc. La coagulation sanguine est aussi accrue, avec des effets cardio-respiratoires possibles. »
Selon leur étude, ce lien avec la température est valable y compris pour les pathologies du système nerveux, du système endocrinien, les maladies mentales et les suicides. Dans ce dernier cas, l’explication pourrait venir d’une baisse de la sérotonine, un neurotransmetteur dans le cerveau qui joue un rôle d’inhibiteur des comportements impulsifs, quand il fait plus chaud. La diminution des contacts sociaux en cas de canicule est une autre hypothèse complémentaire.
Ces chercheurs et chercheuses n’ont pas spécifiquement travaillé sur la canicule de l’été 2022 en France. Mais compte tenu du consensus scientifique sur les effets de la chaleur sur la mortalité, « il est inévitable que la canicule ait un impact », estime Rémy Slama.
Les facteurs sociaux jouent aussi à plein. En 2003, deux tiers des décès supplémentaires concernaient des femmes, selon l’Insee : « Cet événement affecte en effet principalement les plus âgés, or les femmes sont surreprésentées à ces âges. » La surmortalité avait été plus forte en Île-de-France et en Centre-Val de Loire.
En 2022, l’excès de mortalité n’est pas le même dans toute la France métropolitaine. En juillet 2022, les décès sont supérieurs de plus de 15 % à ceux observés en juillet 2019 dans quatre régions, en Nouvelle-Aquitaine (+ 17 %), Provence-Alpes-Côte d’Azur (+ 18 %), Pays de la Loire (+ 19 %) et Occitanie (+ 19 %).
Mediapart a réuni sur une carte ces données géographiques de l’évolution du nombre de morts par département par rapport à l’été 2019 – nous avons exclu l’outre-mer car la canicule ne s’y est pas manifestée comme dans le reste du pays, et la mortalité due au Covid-19 y est beaucoup plus forte qu’en métropole.
Aujourd’hui en France, un habitant sur sept vit sur un territoire exposé à plus de vingt journées anormalement chaudes par été, dans les décennies à venir, selon une autre étude de l’Insee. Les régions qui seront les plus touchées sont l’Auvergne-Rhône-Alpes, la Bourgogne-Franche-Comté et l’Occitanie.
Dans les territoires les plus exposés, 1,2 million de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. Elles sont particulièrement vulnérables aux canicules, en raison de leurs mauvaises conditions de logement, de leur état de santé précaire, de leur isolement social bien souvent – en 2003, la Seine-Saint-Denis avait été l’un des départements les plus touchés par la surmortalité. Les travailleurs des secteurs de la construction et de l’agriculture sont aussi particulièrement mis à l’épreuve quand les températures montent à des niveaux extrêmes.
Les chiffres publiés par l’Insee, à partir des avis de décès que lui envoient les mairies, permettent de connaître une autre information importante : le lieu où les personnes ont perdu la vie à l’été 2022. On voit ainsi que 27,7 % des personnes sont mortes à domicile, soit une hausse de 4,5 points par rapport à la même période de 2019.
Mediapart en a fait une infographie : l’hôpital – public ou privé – reste le principal lieu de décès, devant le logement, les maisons de retraite et Ehpad, et enfin la voie publique.
La part importante de décès chez soi pourrait en partie expliquer la relative invisibilité de tous ces morts. D’où l’importance du patient travail des décomptes statistiques.
Donatien Huet et Jade Lindgaard
Boîte noire
Cet article a été modifié le 9 septembre vers 8h pour apporter des précisions aux citations de Rémy Slama.