De Copenhague,
Jeudi 1er mars, les habitants du quartier ouvrier de Norrebro, à Copenhague, sont réveillés aux aurores. Comme s’il s’agissait d’une opération antiterroriste de grande envergure, des hélicoptères des forces spéciales militaires déposent des commandos sur le toit de la Maison des jeunes, le Ungdomshuset, un squat culturel historique de la capitale danoise. En elle-même, l’évacuation s’est déroulée rapidement et relativement tranquillement.
Immédiatement, dans la matinée, des milliers de personnes se mobilisent, prouvant que le soutien au Ungdomshuset ne se limite pas à une subculture autonome. Les jours suivants sont marqués par un grand nombre de manifestations et d’actions afin de défendre les cultures alternatives. À plusieurs reprises, particulièrement dans les quartiers de Norrebro et de Christianshavn, ma¬nifestants et policiers s’affrontent violemment : des barricades s’érigent, des feux embrasent les rues et des voitures sont incendiées, paralysant la ville. Loin de ces actions spectaculaires et des médias, des manifestations, pacifiques, rassemblent des retraités et des familles.
Mais la répression s’abat. Selon la police danoise, près de 690 personnes au total - dont beaucoup de mineurs - sont arrêtées, et plus de 200 sont placées en détention préventive. Tout porte à croire, comme le pense Morten Kabel, conseiller municipal de Copenhague et membre de l’Alliance rouge et verte, que la police se sert des émeutes pour sévir contre la gauche. Des descentes ont ainsi lieu dans de multiples lieux habités par des militants de gauche. Gaderummet, un centre de crise alternative qui accueille des sans-abri et assiste des gens souffrant de troubles psychologiques, est même pris pour cible. Le porte-parole d’un comité local de soutien au Ungdomshuset, le groupe juridique et des volontaires du premier secours figurent également parmi les personnes arrêtées. Dans une opération apparemment illégale, la police investit les locaux de l’organisation politique Jeunesse rouge : tous les papiers, y compris les listes des membres, sont examinés.
Une fois le calme revenu, lundi 5 mars au matin, la démolition de la Maison des jeunes commence. Des jeunes et des voisins pleurent et laissent des fleurs en souvenir de la maison. « Tu as été créée par l’amour de la vie ; tu es maintenant tué par l’arrogance du pouvoir », lance l’un d’entre eux en guise d’adieu. Car, dans l’histoire de la ville, le Ungdomshuset a été un symbole majeur de la résistance. Inauguré en tant que Maison du peuple, en 1897, le lieu joue un rôle important dans la vie ouvrière. La IIe Inter¬nationale y tient sa conférence internationale des femmes, en 1910. C’est là que Clara Zetkin, figure historique du féminisme, lance la Journée internationale des femmes. De même, Lénine et Rosa Luxemburg, de passage dans la ville, y tiennent leurs réunions. Et, en 1918, partant de cette même maison, des ouvriers attaquent la Bourse danoise.
En 1982, la gestion de la maison, propriété de la municipalité de Copenhague, est attribuée à un groupe de jeunes. Depuis lors, le Ungdoms¬huset est le principal centre du mouvement de squatters danois. Une majorité de la municipalité, dominée par les sociaux-démocrates, décide, douze ans plus tard, de vendre la maison, arguant du coût des rénovations nécessaires. En 2001, une secte évangélique intégriste chrétienne, Faderhuset, fait la meilleure offre et devient officiellement propriétaire. Les squatters s’organisent et refusent de quitter la maison. Mais une longue bataille juridique confirme le droit patrimonial de la secte et garantit la légalité d’une évacuation. La démolition de la Maison des jeunes n’est rien moins qu’une tragédie pour Copenhague. La ville a toujours besoin de son espace culturel alternatif.