Depuis l’abandon, en 1998, du sigle CNPF (Conseil national du patronat français) pour celui de Medef, l’organisation patronale se définit comme un acteur politique à part entière, ne se satisfaisant plus de déléguer aux autres le soin de défendre ses intérêts. Elle se veut le parti de la réforme qui ne se limite plus seulement au social stricto sensu. Son projet englobe l’ensemble de la société : l’éducation, la formation, la santé, l’emploi, le fonctionnement de l’État. Le Medef veut peser idéologiquement, exercer un « leadership d’influence » pour imposer une société dont l’entreprise constituerait la cellule de base, dont toute notion de lutte serait exclue et dont tous les membres seraient unis par une communauté d’intérêts. Dans cette optique, l’organisation patronale a présenté, jeudi 25 janvier, comme avant chaque échéance électorale, son traditionnel livre blanc intitulé « Besoin d’air », à l’intention des candidats et des électeurs. Ce livre, de 150 pages, avance environ 50 propositions, se voulant accessibles au plus grand nombre, pour alimenter la campagne électorale. La petite nouveauté, c’est que la patronne des patrons, Laurence Parisot, a clairement appelé les adhérents du Medef à se lancer dans le débat des élections présidentielles et à « aller sur le terrain pour faire connaître leurs idées, mais aussi témoigner de la réalité ». Une vraie campagne est ainsi lancée avec plans de communications, sites Internet, blogs et meetings.
Contre les acquis des salariés
Devant 6000 patrons et deux leaders syndicaux (CGC et CFTC), Laurence Parisot, dans un show de plus de trois heures rappelant celui du sacre de Sarkozy il y a dix jours, a présenté les grandes lignes du livre blanc. Tous les thèmes de la société ont été abordés : le chômage, les 35 heures, le Smic, le contrat de travail, le dialogue social, la croissance et la place de l’entreprise mais aussi l’enseignement, la protection sociale, la réforme de l’État, le développement durable. L’objectif des patrons est « d’enrichir les Français » et pour cela ils ont « besoin d’air ». Pour Laurence Parisot, « rien n’est foutu. Il suffit de changer quelques paramètres : un peu plus de liberté, un peu plus d’air et tout ira mieux tout de suite en France », promettant un taux de chômage à moins de 5 % si les candidats appliquent les revendications du Medef. Le programme patronal est loin d’être nouveau, on change l’air mais pas le discours. En résumé : toujours moins de social et de droits collectifs.
Mais c’est essentiellement « l’assouplissement » du droit de travail qui est réclamé, aux différents candidats à l’élection présidentielle. Fustigeant « l’illusion désastreuse des 35 heures », Laurence Parisot réclame haut et fort que le concept de durée légale du temps de travail soit abrogé du code du travail. Plaidant pour un temps de travail à la carte, elle propose donc « que la durée du travail ne soit plus fixée par la loi, mais par des accords collectifs, avec pour plafond le seuil de 48 heures par semaine, fixé par la directive européenne ». Elle fait aussi l’apologie d’un nouveau contrat de travail, appelé « contrat de mission », que l’employeur pourrait rompre sans aucune contestation possible de la part du salarié, mais qui permettrait à ce dernier de toucher les indemnités de chômage. C’est la fumeuse notion de « séparabilité à l’amiable », calquée sur le modèle du divorce à l’amiable, déjà introduite au moment où elle nous rappelait que « la vie, la santé, l’amour étaient précaires. Pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? » Le contrat de mission reviendrait à recréer le CPE, mais applicable à l’ensemble des salariés quel que soit leur âge et quelle que soit la taille de l’entreprise.
En matière de retraite, soulignant « l’erreur historique de la retraite à 60 ans », et revendiquant la poursuite de l’allongement de la durée de cotisation, Mme Parisot fait plus fort en prônant, « pour consolider le système », la casse des régimes spéciaux et la baisse des pensions pour certaines catégories de retraités. Elle considère, en effet, que « seraient mortels pour notre économie, une augmentation du SMIC sans aucun lien ni avec les gains de productivité ni avec l’inflation, ou encore le projet d’abrogation de la loi de 2003 sur les retraites ».
Côté fiscalité, le Medef foisonne de propositions. Dans son manifeste de 150 pages, il propose de constitutionnaliser les orientations libérales en la matière : une « charte des droits du contribuable » pourrait, selon l’organisation, devenir partie intégrante du préambule de la Constitution afin de garantir le « droit à une fiscalité non confiscatoire, non rétroactive et non cumulative ». Sur le modèle du pacte de stabilité de l’Union européenne, le patronat propose aussi d’inscrire dans la Constitution « le principe d’équilibre des finances publiques ». Si « la suppression pure et simple de l’ISF [impôt de solidarité sur la fortune] serait radicalement dynamisante », le Medef laisse entendre qu’il pourrait simplement se contenter de nouvelles exonérations. Il réclame la poursuite des exonérations des cotisations sociales et veut faire « glisser » vers le budget de l’État le financement des prestations familiales et maladie.
En appauvrissant l’État, il s’agit, comme le Medef le dit ouvertement, de le « forcer à se réformer » et, au bout du compte, à dépérir. Le patronat préconise ainsi la suppression de 400 000 emplois dans la fonction publique en ne remplaçant qu’un départ à la retraite sur deux d’ici 2015. En matière d’éducation, le patronat veut rendre obligatoire l’apprentissage de l’anglais « dès le CP » et l’initiation à l’économie dès le collège. Il veut permettre l’enseignement « le plus précoce possible » des sciences et technologies, et améliorer encore l’apprentissage. Il appelle à l’autonomie des universités.
Sur l’Europe, Laurence Parisot demande aux candidats de préparer un nouveau texte constitutionnel simplifié et compréhensible. Et enfin sur la croissance, la patronne des patrons veut mettre en place une vraie politique de recherche et d’innovation avec de nouveaux financements, une augmentation des déductions fiscales pour les investissements dans les jeunes entreprises innovantes et le décloisonnement de la recherche publique et de la recherche privée.
Des désirs exaucés
Sous prétexte de combattre le chômage, c’est donc un vrai programme de démolition sociale que le Medef propose. Il souhaite se faire entendre par les candidats à l’élection présidentielle. En regardant le programme de Sarkozy, on peut dire que c’est chose faite : abrogation des 35 heures, licenciements facilités, fin de la retraite à 60 ans, augmentation des cadeaux fiscaux aux plus riches, augmentation des pressions sur les chômeurs, remise en cause du droit de grève, suppression du repos dominical, non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant en retraite.
Tout en disant vouloir s’adresser aux travailleurs, il considère que le contrat nouvelles embauches (CNE) est un « progrès » dont il faut s’inspirer pour « le contrat de travail unique ». On le voit, Sarkozy et Parisot sont au diapason pour nous en mettre encore plein la tête. Les remèdes qu’ils préconisent, on les connaît, c’est la destruction du code du travail, la fin des garanties collectives, des 35 heures, la baisse des cotisations sociales, la précarité, la flexibilité, la retraite à 65 ou 70 ans. Dans tous les domaines, les propositions du Medef et de son candidat Sarkozy mettent en cause les droits des salariés.
Leurs prétendues idées pour améliorer le sort de la population, lutter contre la baisse du pouvoir d’achat, etc. ne sont qu’un emballage mensonger. Contre la baisse du pouvoir d’achat, ils préconisent l’allongement « volontaire » du temps de travail. Il n’est pas question d’augmenter les salaires mais de faire faire des heures supplémentaires ! Et de partir en guerre contre les « rigidités du code du travail ». Les Français ne doivent pas « avoir peur de la flexibilité ». Pour lutter contre le chômage, il faut pouvoir licencier facilement, c’est-à-dire simplifier et raccourcir les procédures de licenciement. Notre intérêt serait de laisser encore plus les patrons faire ce qu’ils veulent.
Le Medef et Sarkozy s’entendent pour que l’État continue de distribuer de l’argent aux patrons - les aides aux entreprises ont représenté 65 milliards d’euros en 2005 - et aux riches. C’est un programme de classe, un programme de guerre contre les travailleurs et les pauvres.
Une gauche de combat
Le Medef et la droite sont bien nos premiers adversaires et il faut empêcher leurs plans de s’appliquer et les battre électoralement. Pour cela, il faut une gauche de combat, avant, pendant et après les élections. Une gauche qui veuille vraiment combattre la politique du Medef et de la droite. La gauche de Ségolène Royal ne répond pas aux exigences des salariés, des chômeurs et des précaires. Elle se refuse à garantir le droit au travail par l’interdiction des licenciements, elle légitime la flexibilité et entérine la précarité. Elle propose de porter le Smic à 1 500 euros brut d’ici... 2012, soit une augmentation annuelle inférieure à celle des dernières années. Elle reste dans la même logique économique et sociale que la droite, celle de l’économie de marché, de la concurrence, celle du « oui » à l’Europe capitaliste. Laurence Parisot l’a bien compris rappelant que : « Si je prends les trois principaux candidats, Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy et François Bayrou, je suis très heureuse d’entendre que tous parlent de la nécessité de réconcilier les Français avec l’entreprise, que tous évoquent la nécessité de revaloriser le travail. »
Face à l’offensive réactionnaire du patronat et de la droite, il est urgent d’imposer une gauche anticapitaliste qui s’attaque au patronat et à ses profits. Une gauche qui ne s’aplatit pas dès que le Medef fronce les sourcils, une gauche qui, si elle arrive au pouvoir, ne se modifie pas en politique de droite. La politique que nous voulons passe par le partage des richesses pour en finir avec le chômage et la précarité généralisée. Combattre la démolition du Medef et de la droite ne peut se résumer à défendre l’existant tant les notions de solidarité et de droits égaux sont mises à mal. Nous voulons renforcer et rendre automatiques et irréversibles les droits collectifs : droit à l’emploi, droit à la santé, droit à la retraite, droits des chômeurs, droit à la formation. Ces droits sont essentiels, ils doivent être garantis à toutes et tous. Mais nous savons aussi que, pour battre le Medef et la droite, les luttes et les mobilisations d’ensemble sont indispensables avant, pendant et après l’élection présidentielle. Les patrons ont besoin d’air ? Préparons-nous à les asphyxier !