Nous l’avions ainsi annoncé dès l’homologation du PSE le 4 mars et, après deux mois de réflexion et de travail, nous avons saisi le tribunal de grande instance (TGI) de Bordeaux.
Nous assignons Ford pour deux raisons : d’une part l’absence de motif économique justifiant la fermeture de l’usine et les licenciements, d’autre part l’abus du droit de refuser un repreneur. Nous avons demandé que notre dossier soit pris en procédure d’urgence, étant donné que l’activité s’arrête le 1er août et que les lettres de licenciement devraient être envoyées le 1er octobre. Donc il faut agir vite, il nous faut une décision de justice avant, de manière à empêcher Ford d’aller plus loin, d’empêcher tout simplement que Ford nous licencie.
Aller au bout de la bataille
Utopique ? Inconcevable ? Non, c’est tout simplement aller logiquement au bout d’une bataille, avec l’idée qu’il nous faut utiliser tous les outils possibles pour défendre les droits que nous avons encore. Ce que nous n’avons pas réussi à faire par notre mobilisation depuis l’année dernière, ce que l’État n’a pas pu ou su faire de son côté, du fait d’une impuissance dont il s’est lui-même doté au fil des années, nous le tentons par une décision du tribunal.
Nous partons du travail de nos experts économiques, de tous les arguments depuis le début de notre résistance, à savoir que Ford, qui fait d’énormes profits et qui a encaissé des subventions publiques importantes, n’a aucune raison économique pour nous licencier. Nous remettons clairement en cause la légitimité de Ford à liquider le site, son droit et sa « liberté » de licencier.
Ford est propriétaire, on le sait, et la propriété patronale est « sacrée ». Cela donne le pouvoir, mais pas tous les pouvoirs, ni tous les droits. Or les capitalistes abusent en permanence de leur position de pouvoir, et c’est à nous d’en fixer les limites. Bien sûr nous sommes pour la réquisition, pour l’expropriation, pour la réappropriation collective, pour que l’outil de travail revienne à la collectivité. Mais cela n’est écrit pas dans le droit. C’est l’abus de pouvoir ou l’abus du droit de propriété qui peut été condamné. Voilà ce que nous voulons.
Il n’y a pas de raison de lâcher
Nous avons d’ailleurs sollicité l’État et le gouvernement pour qu’ils viennent en soutien à notre démarche. L’assignation de Ford s’appuie justement sur les déclaration du ministre Bruno Le Maire et du président Macron, lorsqu’ils dénonçaient Ford et la fermeture injustifiable de l’usine. Alors il faut aller au bout, prolonger le bras de fer jusqu’à obtenir le maintien d’une activité et des emplois.
Nous espérons avoir une décision de justice cet été, c’est-à-dire avant l’envoi des lettres de licenciement. Si le tribunal nous donne raison, Ford ne pourrait pas licencier… On se trouverait alors dans une situation inédite, avec Ford contraint de trouver une autre solution que la fermeture.
La bataille peut prendre des formes variées. Une chose est certaine : il n’y a pas de raison de lâcher, l’enjeu concerne des milliers d’emplois, ça en vaut la peine.
Philippe Poutou
• Créé le Jeudi 9 mai 2019, mise à jour Jeudi 9 mai 2019, 12:53 :
https://npa2009.org/actualite/entreprises/ford-blanquefort-et-en-passant-par-la-case-tribunal
Comme une obsession de ne plus subir les choses
Ça paraît dérisoire et anecdotique mais, la semaine dernière, à 6 mois de la fin, il y avait des élections professionnelles pour le futur CSE (remplaçant du CE). C’est la direction qui avait tenu absolument à ce qu’elles aient lieu alors que l’ensemble des syndicats ne le souhaitaient vraiment pas. À quoi bon aller voter alors que les préoccupations n’en sont pas du tout à choisir de futurs délégués, les collègues préparant leurs départs, en préretraite ou cherchent un emploi ailleurs en prenant rendez-vous avec le cabinet de reclassement…
Un succès électoral qui fait plus que du bien
L’abstention a été logiquement plus importante que d’habitude, mais 70% de l’effectif a voté. Et surtout, nous avons eu la bonne surprise avec des résultats très positifs pour la CGT. Nous avons obtenu la majorité absolue, avec 8 sièges sur 15, et 53% tous collèges confondus. Cela constitue pour nous, dans le contexte actuel, une belle victoire qui fait un bien fou au moral.
Certes, cela ne change rien à ce que nous vivons. L’usine ferme et nous sommes licenciés dans quelques mois. Mais quand même. Après des mois d’une bataille perdue pour sauver l’usine, pour qu’il y ait une reprise, après des mois avec des tensions, des conflits entre collègues et syndicats, avec des craintes et de l’écœurement, l’ambiance n’est pas au top.
Ce succès pour l’équipe militante est le signe qu’il y a encore un parfum de résistance. Car cela traduit une reconnaissance de notre combat, de notre détermination et, quelque part aussi, de notre orientation, celle de la bataille pour l’emploi. Car nous avions insisté ces dernières semaines sur l’importance de se donner un peu plus de moyens d’action pour la suite en choisissant des délégués qui continueront la lutte dans la période qui vient : dans les réunions pour la ré-industrialisation du site en tentant toujours de pousser les pouvoirs publics à agir et dans les tribunaux (TGI pour commencer) dès ce mois d’avril, en attaquant Ford pour absence de motif économique dans la fermeture l’usine.
Récupérer notre dû
Donc, même si nous regrettons depuis le début la très faible mobilisation qui ne nous a pas permis de changer la donne, le fait est que le mécontentement et la contestation se sont exprimés dans cette élection. Ce qui nous met en position pas complètement défavorable pour la suite. Notre légitimité renforcée peut nous aider face à Ford et surtout à l’État et aux collectivités territoriales.
Il est difficile de dire ce que nous pourrons vraiment faire, comment nous pouvons encore agir, influer sur les évènements. Dans l’immédiat, dès cette semaine avec les NAO, avec deux autres syndicats, nous allons tenter de mobiliser pour obtenir une prime exceptionnelle, histoire de faire payer Ford. Nous revendiquons un partage des richesses (des profits autour de 7-8 milliards de dollars annuels) : si les dirigeants ou les actionnaires peuvent empocher des millions de dollars, alors il n’y a pas de raison que les travailleurEs n’aient pas un bout de cette fortune. C’est notre dû que nous aimerions aller chercher, aller arracher.
Pour cela, il faut un rapport de forces, il faut un sentiment de légitimité et il faut que le sentiment d’injustice qui existe devienne une véritable colère. Ce que nous n’avons pas réussi à faire contre la fermeture de l’usine, en nous faisons virer comme des moins que rien, peut-être que cela serait possible maintenant pour exiger notre dû. En tout cas, nous tentons.
Le chômage, une affaire individuelle ?
Que ce soit pour une prime ou pour l’emploi, on doit faire face à une propagande permanente, patronale et gouvernementale, relayée bien souvent pas les grands médias. La fermeture de l’usine est banalisée, dédramatisée, d’ailleurs le quotidien Sud-Ouest n’en parle plus, c’est plié, c’est comme si nous étions déjà passé à autre chose. Régulièrement, il y a même des articles pour dire qu’il y a des créations d’emplois ici et là, dans les entreprises du coin, que les ex-Ford devraient être reclassés ici et là. Pas de souci donc. Cela ressemble bien à des mini-campagnes idéologiques pour faire croire que les pouvoirs publics travaillent ou que les patrons embauchent et seraient même préoccupés par le sort des salariéEs licenciés de Ford ou d’ailleurs. La solidarité quoi.
Dans le discours dominant, le chômage, c’est un problème individuel, celui ou celle qui se trouve sans emploi ne peut que s’en prendre qu’à lui ou elle-même. C’est dit plus ou moins clairement, cyniquement. Si on cherche, si on se forme, si on en veut, si on est malin, on trouve du boulot. C’est comme si les 8 millions de chômeurEs, c’était une légende. La pression comme la culpabilisation sont là. Ne perdons pas de temps à râler, à dénoncer un système ou les logiques destructrices de la course aux profits. Non, il faut aller chercher les opportunités, quitte à passer avant les autres.
De toute façon tout est comme ça. Si on veut on peut. C’est la morale individuelle, individualiste. La direction, les pouvoirs publics, chacun dans leur style, cultivent le chacun pour soi. Et évidemment ça perturbe la conscience collective et ça complique du coup la résistance.
Le suicide, aussi une affaire individuelle ?
La machine écrase tout sur son passage. Il y a un autre exemple avec le drame des suicides. En 6 mois, trois de nos collègues se sont donné la mort. À chaque fois la direction s’est dédouanée immédiatement, par réflexe. Le suicide, ce serait aussi une affaire individuelle. Ça relèverait forcément de la vie personnelle, cela viendrait de soucis dans la vie privée (santé, famille…). Comment oser penser que cela pourrait venir de l’usine, des conditions de travail, d’un licenciement ? D’où pourrait venir cette idée que Ford, par sa politique, son arrogance, son mépris des gens, pourrait quelque part avoir une responsabilité dans la mort de ses salariéEs ? Il a suffi qu’on en parle un peu dans nos tracts, que nous fassions le lien entre licenciements, craintes du chômage et suicide, pour que la direction nous accuse d’instrumentaliser les drames et nous demande de ne plus en parler.
Oui, les politiques patronales de rentabilisation, de réduction des coûts, sont des politiques criminelles car elles écrasent les gens, elles aboutissent à des drames, elles finissent par tuer. Mais pour le dire, pour seulement le penser, c’est déjà une bataille contre les pressions, les chantages, les menaces même, contre une volonté de nous faire taire. C’est une véritable guerre de classe qui est à l’œuvre.
Jusqu’ici tout va bien ?
Voilà l’histoire. Une usine ferme, des gens sont virés après des décennies de « bons et loyaux services », comme des moins que rien, le patron a bonne conscience, il a fait ce qu’il a pu pour nous, il s’excuse de cette fin et nous guide vers la sortie, calmement, impunément. Et il faudrait accepter, continuer à subir. Rien ne sert de se mettre en colère. Il faut rester sage, concentré sur son avenir, rester professionnel, car oui il faut bien finir les derniers objectifs de production, jusqu’au dernier jour, prendre nos rendez-vous auprès du cabinet de reclassement, bien remplir son CV, faire le point sur nos compétences, nos savoir-faire, trouver la bonne formation pour être « réemployable » demain, ou bien créer son entreprise pour créer soi-même son emploi …
Alors il y a des moments où on rêve que ça pète, que la colère explose contre ce système bien rodé, contre les profiteurs, contre tous ceux qui nous font la morale, nous diminuent. Car il s’agit plus que de nos emplois ou de nos salaires, il s’agit de nos dignités, de nos vies. Et elles valent bien de relever la tête et de faire tout péter.
Philippe Poutou
• Créé le Mercredi 17 avril 2019, mise à jour Samedi 11 mai 2019, 05:00 :
https://npa2009.org/actualite/social-autres/ford-blanquefort-comme-une-obsession-de-ne-plus-subir-les-choses
Ford Blanquefort : pas d’issue sans solution radicale
La rencontre du lundi 18 février à Bercy avec le ministre de l’Économie, a débouché sur… un nouveau délai et une nouvelle réunion pour le lundi suivant. Donc on joue les prolongations, et cela donne l’impression que l’on ne va jamais en finir.
Il faut dire qu’on s’acharne pour tenter de sauver des emplois, cela peut-être de manière un peu irrationnelle. Beaucoup, autour de nous, à commencer par des collègues, y compris dans l’équipe syndicale combative, se disent que nous perdons notre temps… Pour certainEs, cela revient à prolonger inutilement la souffrance, pour d’autres, c’est aller logiquement au bout de la bataille menée depuis un an, dans sa dernière phase.
Impuissance face aux logiques patronales
Il nous est impossible de dire si ces quelques jours de suspens supplémentaire sont le signe, du côté de l’État, d’une véritable possibilité de reprise, ou si c’est juste pour repousser la mauvaise annonce, celle d’un échec qui serait pas seulement celui du candidat à la reprise Punch mais aussi celui de l’État et du ministre lui-même.
De notre côté, nous voyons mal pourquoi Ford accepterait maintenant une reprise avec un plan moins solide que précédemment. Car ce plan de reprise est effectivement moins convaincant du fait que les clients potentiels du repreneur potentiel ne confirment pas leurs commandes. Il s’agissait rien moins que les constructeurs automobile PSA et Renault. L’État a visiblement essayé de convaincre ces entreprises, dans lesquelles il a quand même des actions et une part de décision ou d’influence. Mais décidément tout est compliqué.
On savait déjà que les pouvoirs publics se prétendaient sans moyen pour contraindre Ford à vendre son usine au lieu de la fermer. On sait maintenant que, même avec des constructeurs automobiles nationaux, l’État se retrouve sans argument pour trouver des solutions industrielles qui paraissaient pourtant largement possibles. Ce qui pose plus globalement le problème d’un État sans capacité à élaborer des stratégies industrielles, véritablement impuissant face aux logiques patronales et libérales destructrices.
Une bataille politique
Le constat n’est pas nouveau, les usines ferment depuis longtemps, des petites, des moyennes, des grandes, un peu partout sur le territoire. Souvent, quand ça proteste, quand il y a des luttes, alors des élus locaux, des représentants des pouvoirs publics ou des collectivités territoriales, des gouvernements s’indignent, dénoncent la rapacité des multinationales, promettent la bataille pour préserver les emplois… et à la fin, c’est en général la catastrophe, la disparition de l’usine, la suppression de centaines ou de milliers d’emplois.
Est-ce que nous, à Blanquefort, pouvons connaître une autre fin ? Qu’est-ce qui ferait que nous réussirions là où tant d’autres salariéEs ont échoué ? D’autant plus qu’il faut reconnaître que la mobilisation chez nous n’est pas du niveau qu’il faudrait. Après dix années de bataille pour empêcher la fermeture de l’usine, l’ambiance est largement dominée par l’usure et la résignation.
Comment dans ces conditions pourrions-nous sauver au moins un bout d’usine et environ 350-400 emplois directs ? On voit mal, mais nous sommes un certain nombre à ne pas vouloir abandonner pour autant. Car il ne s’agit pas seulement d’un bras de fer avec Ford, avec le repreneur. C’est une bataille politique. Même si nous ne sommes pas capables de changer le cours de choses, nous pouvons essayer, au moins à notre niveau, de poser les problèmes de la nécessité d’une intervention autoritaire de l’État, des pouvoirs publics, pour contraindre vraiment les multinationales comme Ford.
Des réponses d’urgence sociale
« L’État n’a pas vocation à prendre le contrôle d’une usine », nous répètent les gens responsables, les experts économiques en tout genre. Nous l’avons bien entendu. Mais à l’inverse, l’État a-t-il vocation à la laisser fermer, à laisser supprimer les emplois directs et induits ? Et puis qu’est-ce qui rend irréalistes les solutions « originales » et radicales de réquisition des usines menacées ? Qu’est-ce qui empêcherait de prendre en main des entreprises qui ont été largement subventionnées par l’argent public, donc qui appartiennent en partie, de facto, à la collectivité ? Pourquoi l’État et les collectivités territoriales ne pourraient pas travailler sur des productions utiles à la population, pour répondre aux besoins sociaux et à la protection de l’environnement, à mettre en lien des activités sur un territoire ?
Pourtant, à part la piste du repreneur Punch, aucune autre solution, aucune étude ne semble menée sur ce qu’on pourrait faire d’une usine, d’un collectif de travail existant. Il y a un silence étonnant du côté des pouvoirs publics, qui ne proposent rien.
Dans le cas de Ford, pourtant, cela ne semble pas compliqué : il suffirait de prendre une usine dont la multinationale ne veut rien faire, donc disponible à autre chose. Il suffirait de s’emparer des machines et des équipements. Il suffirait juste de reprendre tout l’argent public donné à Ford durant des années, s’il le faut en menaçant de sanctions économiques comme le boycott de la marque. Il suffirait aussi peut-être – ou pas – d’en parler à Teddy Riner, le nouvel ambassadeur censé soigner l’image d’une multinationale qui ferme des usines.
Mais ce qui semble simple et logique pour nous ne l’est visiblement pas pour l’État. Mais ce sont ces problèmes et ces solutions que nous essayons de mettre en avant, tout en sachant qu’au fond cela pose le problème d’un rapport de forces global différent, qui nous permettrait d’imposer des réponses d’urgence sociale.
Philippe Poutou
• Créé le Jeudi 21 février 2019, mise à jour Samedi 11 mai 2019, 05:00 :
https://npa2009.org/actualite/entreprises/ford-blanquefort-pas-dissue-sans-solution-radicale