Cher Gilet jaune, chère Gilet jaune,
J’ai vu que revenait souvent, parmi les revendications de ton mouvement, celle de référendum d’initiative citoyenne (RIC) et que la Suisse et sa démocratie directe y étaient données en exemple. Une République aussi autoritaire que la Ve a certes besoin d’un lifting démocratique.
Mais j’aimerais te parler de notre expérience helvétique, car elle traduit une réalité à ne pas oublier : les droits démocratiques s’exercent toujours dans une société donnée, avec ses dominant·e·s et ses dominé·e·s et ses rapports de force politique.
Ces droits démocratiques existent en Suisse depuis la fin du 19e siècle. Ils n’ont toutefois pas bouleversé notre système politique. Le pays était majoritairement conservateur et réactionnaire et, à quelques exceptions près, il l’est resté. Parmi les initiatives populaires acceptées ces dernières décennies, on constate que ce sont surtout celles prônant des politiques xénophobes et répressives qui sont passées. Et depuis le 19e siècle, seules 22 initiatives ont été acceptées sur 215 textes valides.
Les grands changements ont surtout été le fruit de mouvements politiques et sociaux, comme la Grève générale de 1918, le mouvement pour le suffrage féminin ou la Grève des femmes en 1991.
Faut-il pour autant renoncer aux droits démocratiques et à leur emploi ? Non, tant qu’on ne les charge pas de vertus qu’ils n’ont pas. En 2017, le référendum nous a permis, par exemple, de nous opposer victorieusement à un projet de réforme, à la baisse, de la taxation des entreprises. Mais comme le patronat et ses représentants n’en démordent pas, ils sont revenus à la charge. Nous avons donc lancé un référendum contre leur nouveau projet. Référendum qui vient heureusement d’aboutir.
Même lorsque les textes sont rejetés en votation populaire, ils peuvent avoir des effets politiques positifs, comme celui « Pour une Suisse sans armée » en 1989, qui a définitivement désacralisé l’armée et fichu la trouille à l’État-major. Ce qui a ensuite permis de s’opposer victorieusement à l’achat de nouveaux avions de combat en mai 2014. Mais à la même date, la proposition d’introduire un salaire minimum a été rejetée de manière très sèche (76%). L’avantage d’avoir réintroduit le thème dans le débat politique a été gommé par l’ampleur de la défaite.
Tu le vois, cher Gilet jaune, chère Gilet jaune, dans nos sociétés capitalistes, les droits démocratiques ne fonctionnent pas souvent au bénéfice des démuni·e·s, de ceux et celles que l’élite dominante méprise. C’est une arme utilisable dans notre lutte, mais pas une voie royale. Du reste, en république, on ne construit plus de voie royale…
Avec mes salutations solidaires.
Daniel Süri
Mode d’emploi du système suisse
Nous connaissons, au niveau fédéral, d’une part le référendum (facultatif ou obligatoire) et d’autre part l’initiative populaire. Le référendum facultatif concerne les lois modifiées par le parlement. Pour le faire aboutir, il faut 50 000 signatures valables de citoyen·ne·s, récoltées en 100 jours. Pour que le référendum soit accepté, et donc que la modification parlementaire soit rejetée, la majorité simple des votant·e·s est requise.
L’initiative populaire vise à modifier la Constitution fédérale ; c’est donc un pouvoir de proposition, contrairement au référendum, qui est un pouvoir d’opposition. Le texte de l’initiative doit être soutenu par 100 000 signatures valables (environ 2% du corps électoral), récoltées en 18 mois. Pour être adoptée, une initiative doit réunir la double majorité du peuple et des cantons.
Salarié·e·s et contribuables, mais exclu·e·s du droit de vote
Les immigré·e·s qui contribuent aux profits des firmes helvétiques ou au fonctionnement de certains services publics, comme les hôpitaux, travaillent et paient des impôts dans le pays, mais sont exclu·e·s du droit de vote. Deux cantons leur octroient un droit de vote au niveau cantonal ; d’autres, un peu plus nombreux, au niveau communal. Cela évidemment après un certain nombre d’années de résidence.
Au niveau fédéral, l’exclusion est complète. Une estimation approximative permet de voir l’ampleur de ce déni démocratique : en 2015, la Suisse comptait 1 273 495 immigré·e·s disposant d’un permis C (autorisation d’établissement, cinq ans de présence au moins pour les membres de l’Union européenne). Si l’on soustrait à ce chiffre la part des moins de 20 ans, on arrive en gros à un peu plus d’un million de personnes. C’est l’équivalent de 20% du corps électoral helvétique.