Je suis arrivé aux Etats-Unis prêt à parler de pourquoi et comment les queers [1] doivent combattre l’islamophobie : la peur et la haine de l’Islam et des musulman•e•s. Mais le [13 novembre], jour qui a suivi mon atterrissage, Paris a été touché par une vague d’attaques terroristes. Alors je ne peux pas tenir exactement le même discours que celui que j’avais préparé.
Il m’est impossible de parler de l’islamophobie aujourd’hui sans parler d’évènements comme ceux-là, des évènements qui attisent les flammes de l’islamophobie. Je sens qu’une de mes tâches aujourd’hui est d’essayer de donner du sens à ce qui semble insensé.
Donner du sens à ces horreurs requiert de comprendre que bien que les centaines de mort•e•s et de blessé•e•s à Paris étaient des victimes innocentes – des cibles inappropriées et injustifiées – il n’est pas vrai que leur pays n’avait rien à voir avec la mort et la souffrance du monde islamique aujourd’hui. Par-delà de la Méditerranée, et particulièrement en Syrie, des dizaines de milliers de personnes sont mortes et des milliions ont fui ces cinq dernières années. Et le gouvernement français est complice de cela.
D’une part, les forces aériennes française, aux côtés des forces aériennes états-uniennes, ont bombardé des cibles en Syrie et tué des personnes, y compris des civils innocents. La France a gouverné la Syrie pendant plusieurs décennies au XXe siècle, après avoir aidé au démembrement de l’Empire ottoman après la Première Guerre Mondiale. Et elle a mené une guerre coloniale brutale contre la population majoritairement musulmane en Algérie dans les années 1950 et 1960.
La discrimination quotidienne à laquelle fait face la population d’origine immigrée musulmane aujourd’hui maintient vivace la mémoire historique de l’antagonisme entre la France et le monde islamique – un antagonisme dont les racines s’enfoncent encore plus loin, depuis la Chanson de Roland, un chant épique national français, avec la bataille des chevaliers francs et musulmans, et les Croisades, quand les chevaliers francs régnaient sur la plus grande partie de la Palestine et de la Syrie.
Si nous voulons donner du sens à des actes de terrorisme insensés, nous devons prendre en compte toutes ces connexions : le racisme quotidien, l’histoire du colonialisme, avec la géopolitique et l’économie.
Black Lives Matter
Dans le même temps, je ne veux pas perdre de vue les connexions plus positives et porteuses d’espoirs dont j’avais prévu de parler aux Etats-Unis. Avant tout, je veux me concentrer sur les connexions que Black Lives Matter a mis en place, en particulier avec son développement ces dernières semaines sur les campus universitaires.
Les jeunes femmes queer non-blanches qui ont lancé Black Lives Matter en juillet 2013 ont insisté sur le fait d’apporter toute la richesse de leurs identités et de leur oppression dans toutes leurs analyses et dans toute leur politique. J’expérimente cela comme un challenge politique et intellectuel pour nous tou•te•s – un challenge qui m’inspire, et auquel je veux contribuer à répondre.
J’ai l’impression que l’esprit de solidarité que Black Lives Matter incarne est la meilleure réponse possible à l’esprit de division et à la violence incarné à la fois par les bombardements en Syrie et par les attaques à Paris. C’est dans cet esprit que je veux essayer dans cette contribution de lier l’économie politique et l’analyse de l’ordre mondial impérialiste et d’une politique radicale du sexe.
C’est quelque chose que j’essaie aussi de faire dans mon livre, publié cette année : Warped : Gay Normality and Queer Anti-Capitalism. Le livre tente de faire beaucoup de choses – plus que je ne peux en discuter aujourd’hui – mais ces connexions particulières sont centrales dans mon focus d’aujourd’hui.
Donc : pourquoi quiconque voudrait-il essayer de lier ces sujets très différents ?
Connexions
Alors que je luttais avec la question en préparant cette contribution, j’ai réalisé qu’y répondre me mettait en dialogue avec une figure majeure des études queers, Gayle Rubin. En un sens, les liens que j’essayais de créer répondaient à un appel de Rubin en 1975 dans son article fondateur « The Traffic in Women » (« Marché aux femmes ») pour une « économie politique du sexe », « reconnaissant l’interdépendance de la sexualité, de l’économie et de la politique. » Mais ces liens sont aussi dissidents par rapport à la position adoptée par Rubin quelques années plus tard, en 1982, dans son article tout aussi fondateur « Notes for a Radical Theory of the Politics of Sexuality » (« Notes pour une théorie radicale de la politique de la sexualité ») [2]
« The Traffic in Women » était profondément enraciné dans le féminisme de gauche. Mais en 1982, Rubin supportait des attaques vicieuses qui étaient faites au nom du féminisme contre sa défense de la liberté sexuelle, en particulier de celle du SM lesbien. Dans « Notes for a Radical Theory of the Politics of Sexuality » elle s’éloigna pour libérer la théorisation sur la sexualité de ce qu’elle percevait comme un carcan féministe étroit – et dans le même temps de toute forme d’orthodoxie marxiste.
Puisque les connexions que je tente d’établir sont des connexions marxistes, je suis particulièrement préoccupé aujourd’hui par l’argument de Rubin dans cet article de 1982 selon lequel le marxisme « a plus de succès dans les aires de la vie sociale pour lesquelles il a été développé à l’origine – les rapports de classes sous le capitalisme. » Aux côtés et séparément de ce marxisme (et de ce féminisme), elle appelait à une « théorie et politique autonomes et spécifiques à la sexualité. »
Cet appel peut être vu comme le moment prémisse de la fondation de la théorie queer. Il a eu des résultats extrêmement fructueux pour les recherches, les analyses et les luttes queers. Mais aujourd’hui je pense que nous voyons que la nouvelle génération queer, la génération de Black Lives Matter, remet en cause la compartimentation de la justice économique, de la justice raciale, du féminismee et de la rébellion sexuelle qui prit racine à la fin du XXe siècle – tout comme d’autres personnes dans cette nouvelle génération queer établissent des connexions, inattendus et radicales, avec la lutte contre l’islamophobie.
Jetons un œil à ces connexions à un niveau théorique.
Intersectionnalité
Théoriquement, l’intersectionnalité, telle que conçue par les féministes afro-américaines comme Kimberlé Crenshaw et Patricia Collins, est un des outils-clés dans le dépassement de la compartimentation des oppressions. L’intersectionnalité établit des liens en théorie entre classe, « race » et genre.
Je crois que la sexualité peut et doit être pleinement intégrée à l’ensemble, en apportant toute la richesse des études queers depuis l’appel de Gayle Rubin en 1982. Et je crois qu’une compréhension de l’économie néolibérale mondiale peut et doit être pleinement intégrée à l’ensemble.
Malheureusement, comme l’intersectionnalité a trouvé une place institutionnelle au sein des études de genre, c’est le genre qui reste central, la « race » qui risque parfois l’effacement, et la classe qui est largement restée l’enfant adoptif de la triade – sans mentionner d’autres dimensions importantes comme le handicap, qui ont été encore plus négligées. Je ne pense pas que ce soit inévitable – surtout si la théorie intersectionnelle est utilisée comme outil pour redéfinir et renouveler la synthèse antiraciste-féministe-marxiste qui remonte aux années 1970.
La synthèse antiraciste-féministe-marxiste des années 1970 était largement une réponse, déjà à l’époque, aux femmes noires qui considéraient que les féministes libérales, les féministes radicales, et les femmes socialistes, utilisaient des catégories qui ne reflétaient qu’un aspect, celui de l’expérience des femmes blanches. Les féministes marxistes ont répondu en parlant de « double oppression » et de « triple oppression ».
La théorie intersectionnelle va plus loin, en considérant que la classe, la « race » et le genre non seulement s’additionnent, mais sont mutuellement constitutifs, et qu’ils ne peuvent ainsi être correctement saisis qu’en combinaison. Je pense que cette analyse peut être intégrée au cadre de travail antiraciste-féministe-marxiste, et peut enrichir et approfondir ce cadre.
Ceci peut nous aider à comprendre que la classe n’est pas seulement un élément objectif, mais qu’elle comporte aussi des dimensions culturelles et communautaires. La classe n’est pas seulement définie par la quantité d’argent gagné, le travail effectué, ou l’école fréquentée ; elle l’est aussi par le lieu où l’on vit, avec qui on traîne, et la musique qu’on écoute. Et la classe est toujours intrinsèquement genrée, sexualisée et racialisée.
La même chose s’applique à l’analyse de l’ordre mondial : les universitaires et militant-e-s féministes et anti-racistes de W.E.B Dubois à Cynthia Enloe ont montré à quel point le projet impérialiste est profondément et intrinsèquement patriarcal et suprémaciste blanc. Donc en un sens, la théorie intersectionnelle peut théoriser et expliciter des connexions que les penseur/ses ont élaborées depuis plus d’un siècle à partir d’une série de paradigmes radicaux.
Sexe et Classe
Je pense qu’une fusion de l’analyse de classe et de l’économie politique avec l’étude de la “race”, du genre et de la sexualité peut être particulièrement importante pour les personnes queer, aujourd’hui sous le néolibéralisme. Je pense que cela peut avoir un rapport avec le fait que j’ai fait mon coming-out d’homme gay en 1978, la même année où je suis devenu actif comme féministe socialiste. Mais je pense que c’est aussi pertinent pour la génération queer qui a grandi depuis les années 1990.
Par exemple, fusionner l’économie politique avec la théorie intersectionnelle peut nous aider à comprendre d’une part pourquoi les queers radicales/ux aujourd’hui, avec des revenus plutôt faibles - comme nombre de gens qu’en tant que marxiste je considérerais comme la classe ouvrière - souvent ne s’identifient pas comme appartenant à la classe ouvrière. D’autre part l’analyse intersectionnelle clarifie la façon dont l’interpénétration des fondamentaux de classe, “race” et genre façonnent néanmoins nos vies queers.
Je pense que les jeunes queers en particulier ne s’identifient pas à la classe ouvrière aujourd’hui parce que l’identité ouvrière forgée par les générations précédentes - les générations des années 1950 et 1960, les générations fordistes [l’apogée de la production industrielle bien rémunérée - ed.] - correspond rarement à la réalité de leurs vies.
Mais il s’agit de l’expression de la réalité de la classe ouvrière sous le capitalisme néolibéral - une classe ouvrière qui est divisée, fragmentée et polarisée, économiquement, nationalement, ethniquement et racialement. Cette réalité explique pourquoi tant de queers aujourd’hui n’ont pas d’emploi sécure, et ont un taux faible de syndicalisation (même s’ils/elles ont fait des études supérieures).
La plupart des queers sont en pratique exclu•e•s des couches managériales et professionnelles gays qui sont mise en avant dans l’imagerie médiatique des personnes LGBTIQ ces derniers temps, et qui domine dans les politiques lesbiennes:gays aux Etats-Unis - certainement depuis que la Human Rights Campaign a établi sa domination au tournant du siècle.
Contrairement au portrait des lesbiennes et des gays dans les magazines de papier glacé représentés comme des consommateurs/trices influent•e•s achetant vodka, vêtements de designers et croisières, de récentes études montrent que les hommes gays aux Etats-Unis ont des revenus plus faibles en moyenne que les hommes hétérosexuels ; et alors que les lesbiennes ont des revenus en moyenne plus élevés que les femmes hétérosexuelles, leurs revenus sont toujours plus faibles en moyenne que ceux des hommes - sans mentionner les personnes trans et intersexes dont les revenus sont largement en bas du classement.
Il y a donc un sens croissant de l’aliénation chez de nombreux/ses queers par rapport au gratin gay/lesbien qui leur est présenté comme modèle. Pourtant, curieusement, cette aliénation largement répandue par rapport à ce gratin distancie aussi de nombreux/ses queers de l’identité ouvrière - ou du moins d’une certaine conception restreinte de celle-ci, la conception que les dirigeants syndicaux propagent quand ils décrivent leur propre base comme la “classe moyenne”.
Et rien de tout cela ne peut être compris sans tenir compte des ses dimensions raciales, nationales, genrées, et - bien sûr - sexuelles.
Homonormativité
Pour la plupart des jeunes queers aujourd’hui, cependant, l’image de l’”ouvrier” est celle d’un homme blanc hétérosexuel. On ne peut comprendre les réalités de la classe sans une approche intersectionnelle - une approche intersectionnelle fusionnée avec quelques idées clés de la théorie radicale queer contemporaine.
Ceci m’amène au concept-clé d’”homonormativité”, que Lisa Duggan a décrit il y a plus d’une décennie comme une mentalité gay qui ne “conteste [pas] les hypothèses et institutions hétéronormatives mais les maintient et les nourrit” [3]. Je lui suis redevable pour la connexion qu’elle fait entre l’imposition d’une norme gay et lesbienne, au sein du cadre global de l’hétéronormativité - ce cadre dans lequel les personnes hétérosexuelles sont censées être la norme, et le reste d’entre nous sommes au mieux une minorité tolérée - et la société néolibérale dans laquelle nous vivons depuis 35 ans.
Duggan a montré que l’imposition d’une norme gay, au sein du cadre global d’une société hétéronormative, possède une dimension de classe. La normalité gay reflète les façons par lesquelles les gays de classe moyenne, et une certaine classe de gays plus établis et prospères de la classe ouvrière, et dans une moindre mesure les lesbiennes, doit s’adapter pour occuper une niche sécure dans l’ordre néolibéral.
Dans le même temps, l’homonormativité a une dimension de genre centrale. Cela est dû au fait que le capitalisme néolibéral, comme le capitalisme en général, est genré. Il s’agit d’un mode de production et de reproduction sociales, dans lequel le care et la formation de la famille sont des éléments clés pour mettre les gens au travail le matin et maintenir la production.
Sous le néolibéralisme, comme l’a signalé Holly Lewis, le capital est capable dans une certaine mesure de s’appuyer sur des populations de surplus - les immigrant•e•s dans les pays riches, ou les gens des pays pauvres dans lesquels certaines tâches peuvent être sous-traitées - pour garder au plus bas les coûts de la reproduction sociale. Mais il y a des limites à cela. Par conséquent, dans le même temps, même dans les pays riches, le néolibéralisme conduit à la privatisation du care, comme résultat des séries de coups dans les services sociaux. Cela permet des impôts sur les entreprises moins élevés, alors que les profits s’envolent et que la richesse se concentre sans cessa davantage dans les mains du 1%.
Dans ce contexte, certain•e•s gays et lesbiennes ont été intégré•e•s dans l’institution capitaliste prééxistante de la famille, via le mariage homosexuel et l’adoption - revendications que nous devrions soutenir, mais de façon critique et avec une approche de transition. Cette intégration dans la famille requiert un degré de conformité de genre de la part de lesbiennes et de gays normalisé•e•s. Et depuis les années 1990 cela les a séparé-e-s de plus en plus des personnes trans et des genderqueers, qui dans le siècle précédent depuis l’invention de l’homosexualité n’ont jamais été clairement démarqué•e•s dans une catégorie séparée des autres “personnes homosexuelles.”
L’homonormativité a aussi une dimension raciale, dans le contexte de la racialisation croissante de toutes les classes et les relations sociales. En temps de crise, dans laquelle des millions de personnes sont éjectées de l’économie formelle vers le chômage ou l’incarcération, les gays et lesbiennes normalisées s’identifient largement (s’ils et elles le peuvent) comme blanc•he•s.
De plus, a un moment où des régions entières sont éjectées de l’économie néolibérale mondiale, les personnes LGBT normalisées sont intégrées de façon croissante aux états-nations dominants. C’est la base matérielle de ce que Jasbir Puar appelle “homonationalisme” : l’instrumentalisation des droits gays et lesbiens au service des idéologies impérialistes et islamophobes [4].
Islamophobie
Je pense que le concept d’homonationalisme de Puar nous permet d’ajouter une dimension sexuelle à nos analyses de l’ordre mondial néolibéral, en le mettant à jour pour refléter les réalités du XXIe siècle.
L’homonationalisme favorise l’idée qu’un pays comme les Etats-Unis est un phare pour les droits LGBT et que les interventions et invasions états-uniennes dans des régions comme le Moyen-Orient font d’une certaine façon progresser les droits LGBT. Cela signifie que les lesbiennes et gays états-unien•ne•s devraient être de bon•ne•s patriotes.
En réalité les Etats-Unis soutiennent de façon horrifiantes des régimes homophobes au Moyen-Orient, comme l’Arabie saoudite et l’Irak. Mais l’homonationalisme est toujours populaire, et contribue à étendre le soutien public au militarisme états-unien.
Quels intérêts le militarisme états-unien sert-il réellement ? L’économiste marxiste argentin Claudio Katz a analysé le militarisme post-Guerre froide comme le composant armé de la mondialisation néolibérale, l’ordre économique mondial que nous avons connu ces 35 dernières années. Le pétrole du Moyen-Orient et les routes maritimes qui traversent la région sont vitaux pour l’ordre économique mondial néolibéral. La lutte politique et militaire pour la domination dans cette partie du monde est donc une clé de l’ordre géopolitique d’aujourd’hui.
C’était vrai quand George H.W. Bush a achevé le retour de la présence militaire états-unienne au Moyen-Orient en stationnant des troupes états-uniennes en Arabie Saoudite en 1990. C’était vrai quand George W. Bush a envahi l’Irak en 2003.Et cela reste vrai depuis 2011, alors que Barack Obama a lutté pour maintenir et réaffirmer le pouvoir états-unien dans la région arabe face aux soulèvements arabes. Et ce faisant, cela a étayé le soutien états-unien à Israël, comme un des très rares partenaires mineurs fiables des Etats-Unis, dans une partie du monde où le pouvoir états-unien est sous menace constante.
Depuis les années 1950 jusqu’aux années 1970, les Etats-Unis et les autres impérialismes ont défendu leur pouvoir économique au Moyen-Orient contre les mouvements qui se réclamaient d’une inspiration socialiste, qu’ils se soient revendiqués marxistes, ou plus souvent “socialistes arabes” (comme l’Egypte de Nasser). Depuis la révolution iranienne en 1979, cependant, les forces remettant en cause la domination impérialiste dans la région ont largement revendiqué une inspiration islamique.
Ceci est la réalité matérielle derrière l’islamophobie, l’idéologie qui démonise les populations et pays musulmans, explicitement ou subtilement. Aujourd’hui l’islamophobie a remplacé l’anti-communisme comme idéologie principale de l’empire états-unien.
Je pense qu’une approche intersectionnelle - une approche intersectionnelle informée par l’économie politique et par quelques éléments clés de la théorie queer contemporaine - nous permet de comprendre l’homonationalisme comme une variante gay et lesbienne distincte de cette idéologie impérialiste de base. En tant que part d’une analyse intersectionnelle, l’homonationalisme peut être compris comme une quatrième dimension de l’homonormativité, une dimension impérialiste, de même que sa dimension de classe, sa dimension de genre et sa dimension raciale.
Comme l’homonormativité racialisée, l’homonationalisme repose sur une base matérielle : la marginalisation de millions de personnes, aux Etats-Unis et à travers le monde, qui sont devenus des êtres humains jetables du point de vue du capital. C’est la réalité à laquelle font face des millions de personnes au chômage et incarcérées, en particulier les personnes non-blanches, aux Etats-Unisn et à laquelle font face des millions de réfugié•e•s, massivement de pays à majorité musulmane, au Moyen-Orient et maintenant de façon croissante en Europe.
Le Sens du Queer
Maintenant, de la même façon qu’il existe une base matérielle à l’islamophobie et à l’homonationalisme, il y existe une base matérielle à l’opposition queer à l’islamophobie et à l’homonationalisme. Mais laissez-moi définir ce que j’entends par “queer”.
“Queer” est toujours aujourd’hui utilisé comme une insulte irrespectueuse pour les LGBTIQ en général. Mais ce terme a également une connotation plus spécifique. Culturellement, socialement et politiquement, je pense que “queer” peut être défini de façon utile - et il est souvent défini, consciemment ou inconsciemment, par les personnes s’identifiant comme queers, en opposition à l’homonormativité.
Si nous faisons cela, nous pouvons commencer à analyser le queer en termes d’économie politique - sans être réducteur, sans posant une correspondance terme à terme entre l’auto-idenfication sexuelle et la position dans la société. Une telle correspondance n’existe pas. Mais il peut être utile, en fait d’une importance vitale, de voir qu’il existe des corrélations.
Il existe des corrélations entre les personnes LGBTI qui s’identifient comme queers et des positions sociétales particulières - des positions qui rendent les queers moins susceptibles d’avoir un mode de vie de classe moyenne ou les ressources pour les assumer. Il existe des corrélations entre l’auto-identification queer et des formes de dissidence de genre : le refus ou l’incapacité pour les hommes à se conformer aux normes masculines ou pour les femmes aux normes féminines.
Et alors que l’auto-identification queer n’a pas nécessairement attiré largement les personnes LGBTI non-blanches - certain•e•s, de Barbara Smith à Cathy Cohen ont analysé et déploré les opportunités que les activistes queers ont manqué à ce sujet - je pense que la direction par des jeunes femmes queer non-blanchess de Black Lives Matter a montré une affinité réelle entre les rebellions sexuelles et raciales. Et les queers auto-identifié•e•s ont été particulièrement visibles dans l’opposition aux formes d’homonationalisme, telles que l’islamophobie et le pinkwashing d’Israël.
Nous pouvons donc intégrer les différentes formes de résistance queer dans un tableau plus large. Le rejet queer d’un ghetto commercialisé, la rébellion des personnes trans et genderqueers contre la binarité de genre, la direction de jeunes femmes queers non-blanches de Black Lives Matter, les critiques queers de l’islamophobie et du pinkwashing - tout ceci montre le potentiel de reconstruction qu’Alan Seard (auteur de The Next New Left) a défini comme “l’infrastructure de la dissidence.”
Ils montrent que les queers ont un rôle à jouer dans la résistance à un ordre mondial inégal et injuste. De cette façon, nous pouvons poser les fondations pour une politique arc-en-ciel, anticapitaliste et queer. Et à terme, nous pouvons prendre part au projet reconfiguré de la transformation sociétale mondiale.
Peter Drucker