Manon Rescan – L’écologie politique française a été traversée par de multiples crises au cours de son histoire. Que révèlent les nouvelles turbulences que connaît EELV ?
Daniel Boy – Elles sont symboliques d’une chose qui n’est pas propre à l’écologie politique : la question des alliances et du pouvoir. Au tout début de leur existence, les écologistes, les Verts d’Antoine Waechter, avaient adopté la tactique du ni droite ni gauche. M. Waechter défendait alors l’idée que l’écologie n’était pas réductible aux partis politiques.
La position était toutefois difficile à tenir car les adhérents du parti étaient, eux, clairement à gauche. De plus, un parti qui ne fait que 3 ou 4 % des suffrages n’obtient que très difficilement des élus. Parmi les concurrents de M. Waechter, Dominique Voynet et Yves Cochet se sont donc mis à défendre les alliances avec des partis de gauche dans le but de pouvoir avoir des élus. C’est ce qu’ils ont fait notamment en 1997 en négociant un programme avec le PS, et des circonscriptions. Les Verts ont alors obtenu des élus et une ministre : Dominique Voynet, chargée de l’environnement.
Cette stratégie a tenu tout le temps de la gauche plurielle, jusqu’en 2002 [quand la droite revient au pouvoir]. En 2012, les écologistes [alors devenus Europe Ecologie-Les Verts] adoptent une stratégie similaire à celle de 1997 : un programme négocié très complet et un grand nombre de circonscriptions négociées au moment des élections législatives. Cela leur a permis d’obtenir de nombreux élus et surtout un groupe parlementaire. Jean-Vincent Placé, qui est l’artisan de tout cela, a auparavant négocié la même chose au moment des sénatoriales. Cécile Duflot entre également au gouvernement, au ministère du logement.
A partir de quel moment cela a-t-il changé ?
La bascule se produit avec l’arrivée de Manuel Valls à la tête du gouvernement [en mars 2014]. Cécile Duflot qui s’est plusieurs fois écharpée avec celui qui était jusque-là ministre de l’intérieur, notamment sur la question des Roms, décide seule de quitter le gouvernement, estimant que M. Valls est trop à droite pour les écologistes.
Cette sortie du gouvernement repose alors la question de l’alliance avec le PS. Le parti se retrouve face à une contradiction avec laquelle il vit depuis longtemps : si les socialistes sont leurs alliés électoraux, sur un certain nombre de sujets de société, les écologistes sont bien plus à gauche que le PS. Ils vivaient avec cette contradiction, mais à l’arrivée de Valls, celle-ci n’est plus tenable.
A cela s’ajoute un contexte européen avec des problématiques comme les politiques d’austérité qui soulèvent de nouvelles questions. Les écologistes ont alors deux options : le virage à gauche, incarné par Mélenchon, ou la social-démocratie. Voilà ce sur quoi ils se déchirent actuellement.
Le virage à gauche semble pourtant majoritaire…
Cela semble vraisemblable, oui, mais tant qu’il n’y a pas de vote des adhérents en Congrès, difficile de le savoir fermement. Le problème c’est que s’ils font alliance avec le Front de gauche, les écologistes savent qu’ils vont perdre le pouvoir. Le seul cas où ils sont parvenus à l’emporter dans un tel schéma, c’était à Grenoble aux municipales de 2014. Mais Grenoble n’est pas la France, elle a une tradition très particulière de gauche gestionnaire. Plus vraisemblablement, les écologistes risquent d’être marginalisés s’ils suivent ce scénario. On les voit mal finalement demander des circonscriptions au PS en 2017. Cela veut dire qu’ils risquent de perdre des élus, et donc un groupe parlementaire, et de l’argent.
Quel est dans ce cas le calcul de ceux qui prônent les alliances avec la gauche radicale ?
Ils parient sans doute sur le développement d’un grand parti à la gauche du PS qui aurait vocation à mettre ce dernier en minorité, et à gouverner. Ça a été le cas en Grèce, mais avec un autre mode de scrutin, et les difficultés que l’on connaît aujourd’hui. C’est une spéculation un peu délicate…
De son côté, Jean-Vincent Placé appelle à une alliance de « l’écologie réformiste », peut-il y parvenir ?
Cela va aussi être compliqué pour lui, car il va devoir aller chercher des centristes comme Jean-Luc Benhamias, des gens comme Corinne Lepage et pourquoi pas les anciens d’Europe Ecologie, les proches de Nicolas Hulot, les associations, ceux qui ont fait le Grenelle de l’environnement… Et tenter de mettre tout le monde d’accord. La tâche ne va pas être facile non plus.
Manon Rescan
Journaliste au Monde
* « La question des alliances et du pouvoir » au cœur de la crise d’EELV. " Le Monde.fr | 28.08.2015 à 13h44 • Mis à jour le 28.08.2015 à 17h24 :
http://abonnes.lemonde.fr/politique/article/2015/08/28/la-question-des-alliances-et-du-pouvoir-au-c-ur-de-la-crise-d-eelv_4739255_823448.html
Jean-Vincent Placé annonce qu’il quitte EELV
Après le départ jeudi de François de Rugy, coprésident du groupe écologiste à l’Assemblée, c’est au tour de Jean-Vincent Placé de claquer la porte d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV). Le président du groupe écologiste au Sénat a annoncé sur Europe 1, vendredi 28 août, son intention de quitter ce parti, qu’il a qualifié d’« astre mort, une structure morte qui donne une vision caricaturale et politicienne de l’écologie ».
« Je souhaite fédérer autour de moi, avec François de Rugy, un grand mouvement de l’écologie réformatrice. […] Mon objectif, c’est d’animer l’écologie réformatrice qui assume la mondialisation, qui est pour l’Europe fédérale, qui aime la République, qui aime la laïcité et qui s’inscrit bien sûr dans l’économie de marché, qui veut faire changer les choses. »
« Dérive gauchiste »
Jeudi, le député de Loire-Atlantique, François de Rugy, avait annoncé, dans un entretien au Monde, qu’il quittait EELV et souhaitait « fédérer les écologistes réformistes ». « Aujourd’hui, on n’arrive plus à avoir les débats, ni de fond ni stratégiques, au sein d’un parti qui s’enfonce dans une dérive gauchiste », avait-il affirmé. Un constat partagé par Jean-Vincent Placé, qui a affirmé à son tour vendredi qu’« EELV se fourvoie dans une dérive gauchiste ».
Ces départs ne sont pas une surprise, tous deux ayant à plusieurs reprises fustigé la position du parti en vue des régionales. Ils s’inquiétaient notamment de la stratégie d’alliances avec le Front de gauche en Nord – Pas-de-Calais – Picardie et en PACA, deux régions que pourrait ravir le Front national.
Martelant sa ligne constante sur le sujet, M. Placé a aussi réaffirmé que les écologistes ne doivent pas présenter une candidature à l’élection présidentielle de 2017, leurs idées ne pouvant « être portées par une candidature croupion qui ferait 1 ou 2 % ».
Manque de soutien au gouvernement
Dans une longue charge contre la stratégie de rapprochement de son parti avec la gauche de la gauche, Jean-Vincent Placé s’était dit jeudi « sidéré » du manque de soutien d’EELV au gouvernement, sur les questions de climat notamment, et a multiplié les appels au rassemblement de la gauche modérée.
« Il y a urgence et il y a le feu à la maison de la gauche et des écologistes. Il est encore temps de rassembler, il faut le faire sur le fond, sur les projets », avait dit Jean-Vincent Placé lors des journées du Front démocrate et Génération écologie, qu’il invite à rejoindre son mouvement de « l’écologie réformatrice », à La Rochelle (Charente-Maritime).
« J’ai trop cru à la force des partis, j’ai longtemps cru […] aux accords intermédiaires, aux protocoles. Je crois que c’est totalement fini tout ça. EELV, on y est ou on n’y est pas […], mais au fond, c’est déjà une structure morte. »
Ces annonces s’inscrivent dans un mouvement de départ continu dans le parti depuis un an. En septembre 2014, la sénatrice du Nord et figure de l’écologie politique, Marie-Christine Blandin, avait quitté le mouvement sur la pointe des pieds. Trois mois plus tard, sa collègue de la Seine-Saint-Denis Aline Archimbaud faisait de même. Plus récemment, la compagne de M. de Rugy, Emmanuelle Bouchaud, vice-présidente du conseil régional des Pays de la Loire, annonçait qu’elle rejoignait le Front démocrate de Jean-Luc Bennahmias. Au même moment, Christophe Cavard, député du Gard, rendait sa carte.
* Le Monde.fr avec AFP | 28.08.2015 à 00h12 • Mis à jour le 28.08.2015 à 11h26
http://abonnes.lemonde.fr/politique/article/2015/08/28/pour-jean-vincent-place-eelv-est-une-structure-morte_4738811_823448.html
EELV : « Le départ de Rugy n’est pas une scission, c’est une trahison »
On attendait Jean-Vincent Placé, c’est finalement François de Rugy qui a franchi le pas le premier. Le coprésident du groupe écologiste à l’Assemblée nationale a annoncé, jeudi 27 août au Monde, son départ d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV). Tenant d’une ligne réformiste, il regrette que « le cycle ouvert par Daniel Cohn-Bendit en 2008 soit arrivé à son terme ». « Aujourd’hui, on n’arrive plus à avoir les débats, ni de fond ni stratégiques, au sein d’un parti qui s’enfonce dans une dérive gauchiste », dénonce-t-il.
La secrétaire nationale du parti, Emmanuelle Cosse, a simplement dit « regretter » le départ de M. Rugy dans une déclaration à l’AFP. Les écologistes doivent « plus que jamais se rassembler pour agir à tous les niveaux contre le réchauffement climatique et pour la qualité de vie de nos concitoyens », a-t-elle ajouté. Une des deux porte-parole du parti, Sandrine Rousseau, a, de son coté, pointé « un plan personnel assez fort ».
« Annoncer sa démission et une candidature éventuelle à une primaire le même jour, ce n’est pas anodin », a-t-elle ajouté. Dans son entretien, François de Rugy a plaidé pour une primaire avec les socialistes dans laquelle il entend représenter les « écologistes réformistes » en vue de 2017.
Sur Twitter, cadres et élus du mouvement ne semblent pas regretter son choix.
Son départ n’est pas vraiment une surprise. Cela fait plusieurs mois que le député de la Loire-Atlantique exprime des positions différentes de celles de son parti, que ce soit sur la loi renseignement ou le positionnement économique du gouvernement. Aux journées d’été d’EELV, du 19 au 22 août à Villeneuve-d’Ascq (Nord), François de Rugy a fait un passage éclair pendant lequel il a multiplié les critiques.
« Jean-Vincent Placé va partir »
Aux côtés de Jean-Vincent Placé et de plusieurs autres parlementaires, il défendait un retour au gouvernement et dénonçait les alliances du parti qui se dessinent pour les régionales de décembre, notamment avec le Front de gauche. Une position aujourd’hui minoritaire que sa décision va contribuer à affaiblir.
Depuis un an, les départs se sont multipliés à EELV. En septembre 2014, la sénatrice du Nord et figure de l’écologie politique, Marie-Christine Blandin, a quitté le mouvement sur la pointe des pieds. Trois mois plus tard, sa collègue de la Seine-Saint-Denis Aline Archimbaud faisait de même. Plus récemment, la compagne de M. de Rugy, Emmanuelle Bouchaud, vice-présidente du conseil régional des Pays de la Loire, a annoncé qu’elle rejoignait le Front démocrate de Jean-Luc Bennahmias. Au même moment, Christophe Cavard, député du Gard, rendait sa carte.
Dans l’entourage de Cécile Duflot, on a cherché à minimiser ce départ. « Ce n’est pas une scission mais une démission », a ainsi relativisé David Cormand, numéro deux d’EELV. Pour l’heure, aucun autre dirigeant ou parlementaire d’EELV n’a annoncé son intention de suivre M. de Rugy. « Jean-Vincent Placé va partir », a cependant prophétisé sur Europe 1 Daniel Cohn-Bendit. La semaine dernière, le président du groupe écologiste au Sénat a menacé de s’en aller si les alliances avec le Front de gauche se confirmaient. « On voulait faire de la politique autrement, Europe Ecologie-Les Verts est devenue une caricature de ce que font tous les autres », a déploré M. Cohn-Bendit.
Chez les socialistes, la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, ne s’est pas privée pour souligner que « le gouvernement fait énormément sur l’écologie » quand « Europe Ecologie-Les Verts ne parle plus beaucoup d’écologie ». Pour Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS, ce départ est lié à la « mélenchonisation rampante de l’écologie ». Quant à Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement, il a salué un « homme de talent », avant d’ajouter : « Je serais heureux qu’il puisse bientôt nous rejoindre. »
* Le Monde.fr | 27.08.2015 à 14h52 • Mis à jour le 27.08.2015 à 19h45 :
http://abonnes.lemonde.fr/politique/article/2015/08/27/a-eelv-on-minimise-le-depart-de-francois-de-rugy_4738512_823448.html