En Espagne, l’opposition au projet de loi sur « la protection de la vie de l’être conçu et des droits de la femme enceinte », dont l’adoption supprimerait le droit à l’avortement, s’organise. Le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) a réuni, mercredi 8 janvier, son conseil de politique européenne pour préparer un programme commun à tous les partis socialistes du Vieux Continent avant les élections européennes de mai. Plusieurs députés européens ont participé à la réunion, mais il y a surtout été question de la stratégie à adopter pour faire pression sur le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy afin qu’il retire le texte polémique.
Au-delà du débat espagnol, « l’Europe est le théâtre d’un conflit idéologique entre ceux qui veulent renforcer la démocratie et ceux qui veulent utiliser l’Union européenne pour l’affaiblir », a affirmé Elena Valenciano, numéro deux du PSOE, lors d’une conférence de presse commune avec l’eurodéputée hongroise Zita Gurmai, qui préside la section des femmes du Parti socialiste européen. L’élue hongroise s’est « inquiétée » du projet de réforme « conçu par l’extrême droite du Parti populaire ».
Les manifestations en Espagne et à l’étranger, en particulier en France où le Planning familial est particulièrement mobilisé, seront suivies par un Sommet européen pour la liberté des femmes le 29 mars à Madrid, « pour démontrer, nous autres, socialistes et femmes européennes, notre grande solidarité » avec les Espagnoles, a affirmé Zita Gurmai.
Le PP disposant de la majorité absolue au Parlement, la tâche de l’opposition est ardue. Mais les socialistes pourraient avoir trouvé des alliés au sein même du PP, où de plus en plus de voix discordantes se font entendre.
CRISE INTERNE DU PARTI POPULAIRE
Mercredi, la vice-présidente du Congrès des députés, Celia Villalobos, s’est exprimée lors d’une réunion du comité exécutif du PP pour demander une liberté de vote lorsque le texte sera discuté au Parlement. « Je représente beaucoup de membres du PP qui ne sont pas d’accord avec la réforme présentée », a-t-elle affirmé, selon les journalistes présents à la sortie.
Cette députée conservatrice s’était déjà distinguée en s’abstenant de voter contre le droit à l’avortement durant les quatorze premières semaines de grossesse institué par la majorité socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero en 2010. Pour cette entorse aux consignes du parti, elle avait été sanctionnée économiquement par le groupe populaire.
Son intervention témoigne de la crise interne provoquée par un texte élaboré par et pour une frange minoritaire et ultraconservatrice du PP. Lors de la réforme des interruptions volontaires de grossesses (IVG) conduite par M. Zapatero, les députés populaires avaient principalement critiqué une disposition : celle qui permettait aux mineurs de plus de 16 ans d’avorter sans le consentement de leurs parents. Mais le texte actuel rédigé par le ministre de la justice, Alberto Ruiz-Gallardon, va bien plus loin qu’une simple retouche de la loi sur ce point polémique.
Le projet ne permet de recourir à une IVG que dans deux cas : s’il y a eu viol, attesté par le dépôt de plainte, et s’il existe un risque « durable ou permanent » pour la santé physique ou psychique de la mère, certifié par deux médecins différents, étrangers à l’établissement où serait pratiquée l’IVG. La malformation du foetus n’est plus considérée comme un motif acceptable.
DES AMÉLIORATIONS À VENIR SELON M. RAJOY
Au sein du PP, plusieurs barons régionaux, comme le président du gouvernement régional de Galice, Alberto Nuñez Feijoo, n’ont pas hésité à demander ces derniers jours une modification du projet pour le rapprocher d’une loi qui pourrait faire « consensus ». Pour le président d’Estrémadure, José Antonio Monago, « personne ne peut nier à une femme son droit d’être mère ni obliger qui que ce soit à l’être ». Son homologue de Castille et Léon a avoué sa « préoccupation au sujet de la suppression des malformations » comme motif d’IVG. Le président de la section basque du PP, Borja Semper, est allé plus loin en disant « ne pas croire en un Etat qui s’immisce dans la vie des gens au point de les empêcher de prendre des décisions sur leur propre vie ». Et le secrétaire général du mouvement de jeunes du PP, Javier Dorado, a publié sur Twitter son opinion : « Je crois que la femme qui porte dans son ventre un foetus est la mieux préparée pour protéger le non-né, bien plus que l’Etat. Aujourd’hui, le sentiment majoritaire n’est pas favorable à l’avant-projet de loi. »
La rébellion est telle que lors de la réunion du comité exécutif du PP, mercredi, la réforme a monopolisé les discussions. Mariano Rajoy y a certes réaffirmé son engagement à la mener à bien, mais il a aussi ouvert la porte à des « améliorations », enjoignant au ministre de la justice de se réunir avec les dirigeants régionaux pour les écouter.
Sandrine Morel (Madrid, correspondance)
Journaliste au Monde