C’était une promesse de campagne de Mariano Rajoy, une concession à l’aile dure du Parti populaire (PP) et à l’Eglise. Le gouvernement espagnol a annoncé, vendredi 20 décembre, une nouvelle « loi de protection de la vie du conçu et des droits de la femme enceinte ». Cette loi mettra fin à l’avortement conçu comme un droit, introduit en Espagne par le gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero et entré en vigueur en 2010.
La législation antérieure autorisait les interruptions volontaires de grossesse (IVG) durant les quatorze premières semaines de gestation, jusqu’à vingt-deux semaines en cas de malformation du foetus.
Le projet présenté en conseil des ministres limite les IVG à deux cas : lorsqu’il existe des risques pour la santé physique ou psychique de la mère ou lorsque la grossesse est le fruit d’un viol. C’est un retour aux principes en vigueur entre 1985 et 2010, lorsque 90 % des avortements étaient pratiqués sur des femmes qui contournaient l’interdiction en invoquant un risque pour leur santé mentale.
Mais la nouvelle loi sera plus sévère encore, « la plus restrictive depuis la fin de la dictature », assurent les associations féministes et la gauche, quand l’IVG était purement et simplement interdite.
« LOI INUTILE, CYNIQUE ET INJUSTE »
D’une part, le projet de loi ne prend plus en compte la malformation du foetus pour autoriser l’avortement, « car il n’y a pas de conçus non nés de première et de deuxième catégorie », a expliqué le ministre de la justice, Alberto Ruiz Gallardon. Une malformation ne sera un motif accepté que si elle a des conséquences sur la santé psychique de la mère. Si elle est détectée après la vingt-deuxième semaine de grossesse, date limite pour avorter, les médecins ne pratiqueront pas d’avortement mais provoqueront l’accouchement, « car, à partir de cette date, selon l’OMS le foetus est capable de se développer hors de l’utérus », a expliqué M. Gallardon, auteur de la réforme.
D’autre part, la future loi multiplie les obstacles pour les femmes qui invoquent un risque pour leur santé psychique. Elles devront obtenir deux rapports médicaux favorables de psychiatres n’ayant aucun lien avec la clinique où aurait lieu l’IVG. Elles se verront expliquer les alternatives existantes et devront respecter un délai de réflexion d’une semaine. Enfin, les cliniques qui pratiquent les IVG n’auront plus le droit de faire de la publicité ou d’annoncer leur spécialité.
Près de 120 000 femmes ont avorté en 2011 en Espagne et près de 90 % d’entre elles le font durant les quatorze premières semaines, sans donner de motif, essentiellement dans des cliniques privées où elles ne risquent pas de tomber sur des médecins objecteurs de conscience.
« Aujourd’hui, il sera pratiquement impossible à ces femmes d’avorter, s’inquiète Francisca Garcia, présidente des cliniques accréditées pour l’interruption de la grossesse (ACAI). Nous nous attendions à une mauvaise loi, mais celle-ci est la pire que nous pouvions imaginer. » Même consternation au Parti socialiste espagnol (PSOE), dont la numéro deux, Elena Valenciano, a dénoncé une « loi inutile, cynique et injuste qui porte un coup à l’autonomie des femmes » et demandé aux 76 députées du PP de s’y opposer.
Pour M. Gallardon, le projet est « une grande avancée » qui prend en compte à la fois « l’intérêt de la mère » et la « défense du conçu non né », expression utilisée dans le Code civil pour qualifier l’embryon et le foetus. M. Gallardon a insisté sur la dépénalisation de l’avortement, expliquant que « les femmes qui avortent sont toujours des victimes ». Des déclarations qualifiées de « paternalistes » par les associations féministes.
Les médecins qui pratiquent un avortement ou falsifient un rapport médical risqueront jusqu’à trois ans de prison. Le président du Planning familial, Luis Enrique Sanchez, craint « que les Espagnoles qui en ont les moyens soient contraintes d’aller en France ou en Angleterre pour avorter ».
PHOTOS GÉANTES DE FOETUS MORTS, COUVERTS DE SANG
Seul le très conservateur Forum des familles, qui prône l’interdiction de l’IVG, a exprimé sa satisfaction. « C’est une avancée importante qui comporte des garanties sérieuses que la loi ne sera pas une passoire comme l’était celle de 1985, a déclaré Benigno Blanco au Monde. Et nous serons très vigilants quant à son application. »
Les associations anti-avortement sont très puissantes en Espagne. Début décembre, un autobus affrété par l’organisation ultraconservatrice américaine Centre pour la réforme bioéthique, qui a une succursale en Espagne, a circulé sur la Castellana, l’artère principale de Madrid. Sur ses flancs, on pouvait voir des photos géantes de foetus morts, couverts de sang, après onze et douze semaines de gestation. Le 17 novembre, plusieurs milliers de personnes avaient manifesté dans une cinquantaine de villes espagnoles à l’appel de l’association Droit de vivre.
Cependant, dans la société espagnole, le sujet ne faisait plus débat. Selon un sondage Metroscopia publié en novembre par le quotidien El Pais, 53 % des Espagnols soutiennent la loi sur l’avortement encore en vigueur. Dans la soirée de vendredi, plusieurs centaines de personnes ont manifesté devant le ministère de la justice à Madrid.
Sandrine Morel (Madrid, correspondance)